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Les contaminations radioactives au tritium

Publié en ligne le 7 juin 2023 - Nucléaire -

Les associations anti-nucléaires communiquent régulièrement de façon anxiogène sur la contamination par le tritium rejeté par les installations nucléaires et son impact potentiel sur la santé. Ainsi, l’Acro affirme que « la présence quasi systématique de tritium dans les eaux en aval des installations nucléaires nous inquiète », ou le réseau Sortir du nucléaire « les mesures réalisées en novembre et en décembre ont montré une contamination au tritium très importante » [1, 2, 3]. L’information est souvent relayée sans filtre par les médias [4, 5] : un taux de tritium anormalement élevé a été détecté dans les eaux quelque part en France ; la référence au travail de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est rarement faite alors que les contaminations au tritium et leurs impacts ont été largement étudiés par cet organisme [6]. Cette présentation superficielle, voire orientée, de l’information est préjudiciable à la qualité du débat public.

Qu’est-ce que le tritium ?

Un élément chimique existe dans la nature sous la forme de différents isotopes : deux isotopes d’un même élément chimique ont des noyaux atomiques avec le même nombre de protons, mais avec des nombres de neutrons différents. Ainsi, l’élément hydrogène existe dans la nature sous trois isotopes :

  • Le protium (ou hydrogène-1, de symbole H) est l’isotope le plus répandu. Par commodité, on utilise le terme « hydrogène » qui désigne à la fois l’élément chimique et cet isotope. Il comporte un seul proton et aucun neutron. C’est un isotope stable qui n’est donc pas radioactif. C’est lui qu’on retrouve dans l’eau dite « légère », H2O.
  • Le deutérium (ou hydrogène-2, de symbole D) comporte un proton et un neutron. On le retrouve dans l’eau lourde (notée D2O), utilisée dans certains types de réacteurs nucléaires fonctionnant avec de l’uranium naturel – non enrichi (les réacteurs Candu principalement utilisés au Canada). Le deutérium est également un isotope stable.
  • Le tritium (ou hydrogène-3, de symbole T) enfin, est composé d’un proton et de deux neutrons. Il est radioactif avec une demi-vie de 12,3 ans. Cela signifie que pour une quantité initiale de tritium donnée, la moitié du tritium se sera transformée en hélium-3 par décroissance radioactive au bout de cette période.

Comme pour l’eau légère (H2O) et l’eau lourde (D2O), le tritium se combine à l’oxygène pour former de l’eau tritiée (HTO ou T2O). C’est principalement sous cette forme qu’on le retrouve dans la nature. Il est généré naturellement dans la haute atmosphère (sous l’effet du rayonnement cosmique de haute énergie) et contribue de l’ordre de 0,1 à 0,6 becquerel par litre (Bq/L) [7] à la radioactivité de l’eau de pluie. L’essentiel du tritium présent aujourd’hui dans la nature est d’origine artificielle, et l’activité typique du tritium dans l’eau de pluie est de 1 à 4 Bq/L. C’est là le résidu des essais atmosphériques des armes nucléaires qui ont conduit à un maximum de concentration en 1963 dans l’hémisphère nord avec 470 Bq/L. La concentration du tritium produit par ces bombes a maintenant considérablement diminué par décroissance radioactive et par dilution dans les océans. L’essentiel de l’activité du tritium dans les eaux de surface est désormais issu des centrales nucléaires via différents mécanismes (action du flux de neutrons sur le deutérium de l’eau du modérateur et fission d’un isotope du bore utilisé pour réguler la réaction en chaîne, etc.).

Allégorie de la Patience (détail), Giorgio Vasari (1511-1574)

Les caractéristiques spécifiques du tritium

L’eau tritiée a les mêmes propriétés chimiques que l’eau « légère ». Il est donc difficile et coûteux de séparer ces deux formes. Le procédé le plus simple pour débarrasser l’eau d’une contamination au tritium consiste à l’entreposer et à attendre plusieurs décennies que la radioactivité ait suffisamment diminué (division par 2 tous les 12,3 années). Des procédés plus élaborés permettant de récupérer directement le tritium sont développés dans le cadre du projet Iter (réacteur à fusion nucléaire), et pour le traitement de l’eau lourde issue des réacteurs Candu [8].

L’impact sanitaire de la radioactivité


Activité nucléaire et impact sur les tissus
Le nombre de désintégrations radioactives par seconde (en becquerel, ou Bq) est une quantification de l’activité nucléaire, mais elle n’est pas suffisante pour estimer l’impact sanitaire potentiel. Il y d’autres données à prendre en compte :

  • la quantité d’énergie portée par la particule ou le rayonnement ionisant issu de cette désintégration,
  • les différentes formes de radioactivité (alpha, bêta, gamma) dont le potentiel pénétrant dans les tissus est très variable,
  • la nature de l’exposition : externe (rayonnement ambiant), ou interne suite à l’ingestion ou l’inhalation d’une substance radioactive.

Après prise en compte de ces paramètres, on peut calculer une « dose efficace » en sievert (Sv) qui quantifie l’impact de la radioactivité sur les tissus [1].

La radioactivité naturelle induit une dose annuelle de 2,9 mSv en moyenne en France [2]. Des effets sanitaires sont observables à long terme à partir d’une dose de 100 mSv. Pour une dose de 1 000 mSv, on constate des effets directs sur la santé (syndrome d’irradiation aiguë) et il y a risque de mort en quelques jours ou semaines.

Le tritium dans l’eau

Les quantités généralement mises en avant dans les articles rapportant une contamination au tritium sont de l’ordre de 100 Bq/L. Essayons d’évaluer à quoi correspond ce niveau et l’impact qu’il peut avoir en termes sanitaires. L’IRSN publie pour chaque isotope radioactif présent dans l’environnement, et donc pour le tritium [3], une estimation de l’impact de la radioactivité sur les tissus humains liée à l’ingestion d’une substance contaminée (ce que l’on appelle la « dose efficace »). Pour un enfant entre un et deux ans (cas le plus défavorable), il ressort que boire un litre d’eau tritiée à 100 Bq/L conduit à une dose vingt fois inférieure à celle correspondant à l’ingestion d’une banane.

Boire chaque jour un litre de cette eau tritiée pendant un an conduit à une dose 1 000 fois plus faible que celle due à l’exposition à la radioactivité naturelle. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé considère qu’une eau est potable pour une utilisation quotidienne si sa concentration en tritium ne dépasse pas 10 000 Bq/L. En France, la réglementation fixe un seuil à 100 Bq/L au-delà duquel une investigation doit être menée, mais sans dire que l’eau devient impropre à la consommation.

Références
1 | IRSN, « Les bases de la radioactivité. Les concepts de dose ». Sur irsn.fr
2 | IRSN « La radioactivité et ses effets. L’exposition aux rayonnements ionisants ». Sur irsn.fr
3 | IRSN, « Tritium », fiche radionucléide, août 2001. Sur irsn.fr

La désintégration radioactive du tritium conduit à la formation d’un isotope de l’hélium (l’hélium-3), avec émission d’un électron peu énergétique (19 kilo-électron-volt ou keV), beaucoup plus faible que celle portée par d’autres isotopes artificiels tels que le césium-137 (512 ou 1 174 keV) ou le cobalt-60 (2 823 keV). C’est donc une radioactivité peu énergétique. Par ailleurs, le tritium ne s’accumule pas dans les tissus ou les os comme d’autres isotopes radioactifs, tels que l’iode-131, le potassium-40 ou le plutonium-239. Ainsi, le temps pendant lequel du tritium absorbé pourrait provoquer des dommages est relativement court (quelques jours) en comparaison à sa demi-vie.

Pour ces deux raisons, le coefficient d’équivalent de dose du tritium est très faible : pour que la radioactivité du tritium présente un risque, il en faudrait une grande quantité (voir encadré ci-dessus).

La gestion du tritium

Si les niveaux relevés dans les eaux sont sans risque pour la santé, la présence de tritium est néanmoins un marqueur intéressant pour détecter un incident nucléaire. En effet, cet isotope est difficile à confiner et sa présence peut faire soupçonner une pollution par des éléments plus radiotoxiques. C’est pourquoi en France, il a été défini un seuil d’alerte à 100 Bq/L, au-delà duquel une enquête est diligentée pour déterminer l’origine de cette présence anormale de tritium.

Fille romaine à la fontaine, Léon Bonnat (1833-1922)

Comme indiqué plus haut, l’industrie nucléaire est une source de production de tritium et la séparation de cet élément est difficile et coûteuse. Du fait de son faible impact environnemental, des autorisations de rejet dans l’environnement ont donc été accordées. Ainsi, la plupart des rejets de tritium ne sont pas liés à des incidents, mais sont réalisés dans un cadre volontaire et contrôlé. Ces rejets sont locaux et conduisent parfois à des activités jusqu’à 50 Bq/L en aval des centrales nucléaires [9]. Ils permettent de ne pas avoir recours à un difficile stockage du tritium radioactif. L’ordre de grandeur de la radioactivité rejetée volontairement par une centrale nucléaire associée à du tritium correspond à 32 TBq/an [10] soit environ 96 mg de tritium. Ces rejets sont faibles en comparaison à ceux du site de traitement des combustibles usés de l’entreprise Orano situé à La Hague dans la Manche. Les autorisations annuelles de rejet en mer sous forme liquide y sont de 18 500 TBq [11]. En pratique, les rejets sont de l’ordre de 10 000 Tbq/an, soit 30 g de tritium pur. Le tritium rejeté à La Hague se dilue ensuite dans l’environnement. L’impact radiologique sur les populations du tritium issu de l’usine de La Hague est alors moindre que celui de l’ingestion d’une banane [12] et est donc négligeable. De manière générale, l’impact radiologique de l’usine est faible devant la radioactivité naturelle [13].

À Fukushima

L’eau contaminée de Fukushima a aussi fait l’objet d’un traitement médiatique trompeur. En effet, de l’eau issue de la nappe phréatique s’est retrouvée en contact avec le réacteur accidenté, et s’est donc chargée en matières radioactives. Si un traitement chimique permet d’extraire l’essentiel de ces matières, l’eau tritiée n’est pas éliminée par le procédé. Elle est donc stockée dans d’immenses réservoirs totalisant plus d’un million de mètres cubes [14]. La radioactivité totale du tritium contenu dans ces cuves correspond à des concentrations d’environ cent fois supérieures à la limite de potabilité fixée par l’OMS. De tels chiffres peuvent effrayer. Mais d’une part, personne ne va consommer directement cette eau et, d’autre part, l’activité totale de l’eau stockée est inférieure d’un facteur 10 environ aux rejets annuels de l’usine d’Orano à La Hague, pour lesquels aucune conséquence environnementale n’a été mise en évidence [13]. Même si le site de La Hague est particulièrement favorable du fait des très forts courants marins qui permettent de disperser les rejets, un rejet contrôlé des effluents de Fukushima permettra d’atteindre des concentrations bien en dessous des seuils de potabilité. Il est malheureusement difficile de convaincre de ce fait objectif, en particulier les pêcheurs qui, quoi qu’il arrive, subiront un effet d’image.

Conclusion

L’industrie nucléaire produit un isotope radioactif, le tritium, qui est très peu abondant naturellement. Tout rejet, contrôlé ou pas, conduit donc à des concentrations qui dépassent largement les valeurs naturelles. Cela en fait ainsi un élément facilement anxiogène. Mais, du fait des propriétés physiques du tritium, cet élément n’a pas d’impact sanitaire significatif aux doses que l’on rencontre, même en cas de rejet accidentel. Aucun impact sanitaire n’a pu être mis en évidence suite à une contamination au tritium, et même les concentrations les plus élevées mesurées dans l’environnement sont plusieurs ordres de grandeur en dessous des seuils de potabilité fixés par l’OMS. Le tritium est un excellent marqueur pour détecter des anomalies méritant des investigations mais n’est pas une problématique de santé publique.

Références


1 | Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, « Contamination anormalement élevée à Saumur en janvier 2019 : du tritium à 310 Bq/L dans la Loire », communiqué, 18 juin 2019. Sur acro.eu.org
2 | Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, « Tritium dans la Loire : la surveillance officielle défaillante », communiqué, 1er juillet 2021. Sur acro.eu.org
3 | Réseau Sortir du nucléaire, « France : Tricastin, pollution radioactive de l’eau sous la centrale », 22 janvier 2022. Sur sortirdunucleaire.org
4 | Delporte F, « À Choisy-le-Roi, la “présence régulière” de tritium dans l’eau potable continue d’inquiéter », Le Parisien, 14 octobre 2022. Sur leparisien.fr
5 | Garrat-Valcarcel R, « Eau potable : doit-on s’inquiéter de la contamination radioactive au tritium ? », 20 minutes, 18 juillet 2019. Sur 20minutes.fr
6 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Tritium et environnement », fiche radionucléide environnement, décembre 2010. Sur irsn.fr
7 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Tritium et environnement », fiche radionucléide, juin 2014. Sur irsn.fr
8 | Autorité de sûreté nucléaire, « Evaluation des procédés de séparation et de récupération du tritium  » in Livre blanc du tritium, ASN, 2022, chapitre 2, 132-3. Sur asn.fr
9 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Mesures de tritium dans la Loire », note d’information, 20 juin 2019. Sur irsn.fr
10 | Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, « Tritium : limites de rejets et impact », rapport n° 26, 2009. Sur irsn.fr
11 | Autorité de sûreté nucléaire, « La Hague : limites de rejets », consultation du public, novembre 2021. Sur asn.fr
12 | « L’eau contaminée au tritium de Fukushima : point de situation au Japon », blog, 24 novembre 2019. Sur doseequivalentbanana.home.blog
13 | Orano Recyclage, « Orano La Hague », rapport d’information, 2021. Sur orano.group
14 | Société française d’énergie nucléaire, « Fukushima, 10 ans après », dossier, 2020. Sur sfen.org