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Conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima

Publié en ligne le 7 juin 2023 - Nucléaire -

Le 11 mars 2011, un violent séisme de magnitude 9,1 sur l’échelle de Richter est survenu au large des côtes de la région du Tōhoku au Japon, provoquant un tsunami particulièrement meurtrier (environ 18 000 morts et disparus). Cette catastrophe naturelle a causé une perte durable des alimentations électriques et de la source froide à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, conduisant à la fusion des cœurs de trois des six réacteurs du site et une baisse importante, par évaporation, du niveau d’eau d’une des piscines contenant du combustible usé, très radioactif. Ces événements ont été classés au niveau 7 sur l’échelle INES, donc à son échelon maximum (voir l’article sur l’échelle INES dans ce dossier).

De nombreuses études ont été menées pour évaluer les conséquences sanitaires, d’origine radiologique ou non, de cet accident. Les rapports de l’Unscear (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, ou Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants) compilent la littérature scientifique sur le sujet et présentent l’état des connaissances que l’on peut en déduire. Son mode de fonctionnement est analogue à celui du Giec à propos du climat (voir l’encadré sur l’Unscear dans l’introduction de ce dossier). Ce comité a rédigé en 2013 un premier rapport sur les conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima Daiichi [1], un suivi de l’évolution des connaissances sur la période 2015-2020, et un nouveau rapport en 2020-2021 [2] – ce dernier confirmant globalement les conclusions du premier. Il a aussi réalisé en 2020 une synthèse à destination du grand public faisant le résumé de ses travaux au sujet des conséquences de l’accident de Fukushima Daiichi [3].

L’impact radiologique sur les populations

Dans son rapport de 2013 [1], l’Unscear notait qu’« aucun décès ni aucune maladie aiguë liés aux rayonnements n’ont été observés parmi les travailleurs et le grand public exposés aux radiations de l’accident » 1. Le comité confirmait en 2020 qu’« aucun effet négatif sur la santé parmi les résidents de Fukushima n’a été documenté comme pouvant être directement attribuable à l’exposition aux radiations provenant de l’accident » [3]. Les estimations des doses reçues par les populations sont relativement faibles, ce qui fait que, pour le comité, « les effets futurs sur la santé associés aux rayonnements ne seront probablement pas détectables ». En effet, note le rapport, « dans le cas du cancer par exemple, il n’est généralement pas possible de distinguer par l’observation ou par des tests si la maladie d’un patient spécifique a été causée ou non par l’exposition aux rayonnements ».

Il a certes été observé une hausse du nombre de cas de cancers de la thyroïde chez les enfants, à l’instar de ce qui a été observé chez les populations suite à l’accident de Tchernobyl. Mais les études scientifiques [4, 5] concluent que cette hausse est due à un effet de dépistage : des campagnes massives de dépistage ont cherché et trouvé des anomalies qui, sans cela, seraient restées invisibles car sans symptômes cliniques, ou auraient été détectées plus tard, mais suivant une épidémiologie similaire à celle des zones non contaminées. En effet, des campagnes de dépistage comparant les populations japonaises exposées et non exposées aux rejets radioactifs ont montré une prévalence similaire ([3], section 226-d).

L’impact radiologique sur les travailleurs de la centrale

Certains travailleurs du site de Fukushima Daiichi (notamment dans les premiers jours après le tsunami) ont reçu des doses nettement supérieures à celles reçues par les populations touchées par la dispersion de radionucléides. Cependant, comme pour celles-ci, aucun impact sanitaire imputable aux rejets radioactifs n’a été observé. Un petit nombre de travailleurs (174 sur près de 25 000) ont reçu des doses supérieures à 100 mSv (avec un maximum à 678 mSv). Pour de telles doses, la probabilité de déclencher un cancer augmente d’environ 0,5 % par 100 mSv supplémentaires [6], qui s’ajoute à une incidence naturelle moyenne de 30 % environ sur la vie entière. Peu de travailleurs ont été affectés par ces niveaux de dose, ce qui fait qu’une éventuelle augmentation des cancers dans cette population ne sera pas statistiquement perceptible dans le futur.

Averse soudaine (détail), Hiroshige (1797-1858)

Il apparaît donc que les conséquences radiologiques de l’accident de Fukushima sont réduites, sans commune mesure avec celles de l’accident de Tchernobyl. Concernant la classification INES, l’agence japonaise de sûreté nucléaire et industrielle (Nisa) a indiqué un niveau 3 le jour même de l’accident puis, le lendemain, un niveau 4. Une semaine plus tard, elle le faisait passer au niveau 5 et, le 12 avril, elle le mettait au niveau maximal de 7. André Lacoste, alors président de l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) déclarait lors d’une audition parlementaire en 2012 [7] que ce classement au niveau 7 « n’est pas justifié » et que « l’ASN avait annoncé deux ou trois jours après l’accident qu’elle estimait son importance supérieure à celle de Three Mile Island et inférieure à celle de Tchernobyl et que, si l’accident se produisait en France, elle le classerait au niveau 6 ».

Les impacts sanitaires ne sont pas forcément où on le croit

Le stress et la peur engendrés par la catastrophe naturelle, l’accident nucléaire et l’évacuation des populations associés ont eu, de manière certaine, des impacts sanitaires significativement supérieurs à ceux des rejets radioactifs. La préfecture de Fukushima a reconnu [8] plus de 1 600 morts chez les populations déplacées à la suite de l’accident de Fukushima Daiichi. Ce sont là incontestablement des victimes de l’accident, même si les décès ne sont pas dus aux radiations reçues.

Quantifier la radioactivité et ses conséquences sur l’Homme


La radioactivité caractérise la propriété physique d’un élément chimique instable à se désintégrer en un autre élément afin d’atteindre un état plus stable. Ceci conduit à une émission de rayonnements qui se mesure en becquerels (nombre de désintégrations radioactives par seconde). Cependant tous les types de rayonnement ne provoquent pas des effets similaires sur la santé et chaque organe ne réagit pas de la même manière aux rayonnements ionisants. Ainsi, pour quantifier les effets sanitaires, il est nécessaire de calculer la « dose efficace » reçue par une personne (mesurée en sievert ou Sv), dose efficace qui prend en compte à la fois la nature du rayonnement et la sensibilité des organes et tissus atteints.

On n’a pas démontré d’effet cancérigène avéré pour des doses reçues inférieures à 100 millisieverts (mSv) sur le corps entier. Au-delà, les effets apparaissent de manière aléatoire (effets stochastiques). Pour des doses supérieures à 1 Sv, les effets deviennent déterministes.

Source  : base de connaissance IRSN « Les conséquences des rayonnements ionisants au niveau de l’organisme ». Sur irsn.fr

Irradiation et reconnaissance comme accident du travail au Japon


Dans un souci de protection des travailleurs vis-à-vis de leur employeur et avec la volonté de réduire autant que possible l’exposition collective aux rayonnements ionisants, un texte gouvernemental japonais de 1976 prévoit une compensation financière en cas de cancer contracté au cours de la première année suivant une exposition à la radioactivité pour une dose annuelle cumulée d’au moins 5 mSv [1].

C’est ainsi que plusieurs travailleurs sur le site de la centrale de Fukushima-Daiichi ont développé un cancer qui a été reconnu comme dû aux radiations et donc indemnisé par la société Tepco. C’est là l’application d’une mesure de présomption de responsabilité même si, pour de telles doses reçues, les statistiques indiquent que l’origine de ces cancers n’est vraisemblablement pas de nature radio-induite [2].

Références
1 | IRSN, « Suites de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011 – Point de situation en mars 2016 ». Sur irsn.fr.
2 | Unscear, “Report on Radiological Consequences from the Fukushima Accident”, 2020. Sur unscear.org

Des hausses de l’hypertension et du diabète ont également pu être observées, en lien avec la perte de qualité de vie suite à l’évacuation. Des conséquences sanitaires similaires avaient déjà été mises en évidence parmi les populations touchées par l’accident de Tchernobyl. De nombreux articles scientifiques démontrent un impact important sur la santé mentale et l’état psychologique des personnes affectées, en particulier chez les mères de jeunes enfants et chez les travailleurs de la centrale accidentée [9].

Conséquence indirecte plus inattendue : le gouvernement japonais ayant décidé d’arrêter brutalement la quasi-totalité du parc nucléaire du pays (dont une partie des réacteurs demeurait fonctionnelle de manière relativement sûre), il s’en est suivi une hausse brutale des prix de l’énergie (jusqu’à 38 % dans la région de Tokyo sur la période 2011-2015) causant entre 1 300 et 4 500 morts durant les périodes froides entre 2011 et 2014 [10]. Une autre étude japonaise a évalué une hausse de 2,2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) entre 2011 et 2035, et 23 300 morts évitables à cause des impacts sanitaires des combustibles fossiles qui ont été brûlés pour compenser l’arrêt du parc nucléaire [11].

Exode (détail), Alfred Roll (1846-1919)

Du fait des conséquences négatives de ces évacuations, des études montrent que, dans le cadre d’une balance bénéfice-risque, elles n’étaient pas justifiées ou, plus précisément, elles n’auraient pas dû avoir une telle ampleur, aussi bien à Fukushima qu’à Tchernobyl [12].

Conclusion

L’accident de Fukushima Daiichi et les relâchements d’éléments radioactifs associés ont entraîné l’évacuation dans l’urgence de 160 000 personnes. Ces évacuations dans des conditions difficiles ont été des épreuves générant a minima du stress et un indéniable impact sur la qualité de vie de ces personnes, conduisant pour certaines à des décès prématurés. L’impact sanitaire est donc essentiellement psychologique, psychiatrique ou lié aux conditions d’existence des personnes évacuées, bien avant d’être radiologique. Du fait des mesures de mitigation mais aussi en raison d’une communication anxiogène qui engendre une peur de tout niveau de radioactivité, tout accident d’origine nucléaire peut entraîner des conséquences bien au-delà des risques radio-induits au travers des comportements des populations et des autorités. L’accident de Fukushima, son impact sur les populations et le coût social des mesures de prévention (évacuations) sont et seront étudiés pendant encore longtemps afin d’améliorer la gestion d’un toujours possible accident nucléaire.

Références


1 | “Levels and effects of radiation exposure due to the nuclear accident after the 2011 great east-Japan earthquake and tsunami”, Unscear, 2013. Sur unscear.org
2 | “Levels and effects of radiation exposure due to the accident at the Fukushima Daiichi Nuclear Power Station : implications of information published since the UNSCEAR 2013 Report”, Unscear, 2020-2021.
3 | “Report on Radiological Consequences from the Fukushima Accident”, Unscear, 2020.
4 | « État des connaissances sur les conséquences sanitaires après un accident nucléaire », IRSN, 1er mars 2021. Sur irsn.fr
5 | Bogdanova TI et al., “Papillary Thyroid Carcinoma in Ukraine After Chernobyl and in Japan After Fukushima : Different Histopathological Scenarios”, Thyroid, 2020, 31 :1322-34.
6 | « Recommandations 2007 de la Commission internationale de protection radiologique », CIPR, publication 103. Sur irsn.fr
7 | Audition de M. André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (3 avril 2012), dans « Électricité : assumer les coûts et préparer la transition énergétique », Rapport de commission d’enquête parlementaire, 12 juillet 2012. Sur senat.fr
8 | Parungao B, “Post-tsunami deaths due to stress, illness outnumber disaster toll in Fukushima”, JapanToday, 24 février 2014.
9 | Harada N et al., “Mental health and psychological impacts from the 2011 Great East Japan Earthquake Disaster : a systematic literature review”, Disaster Mil Med, 2 septembre 2015.
10 | Matthew Neidell et al., “The unintended effects from halting nuclear power production : Evidence from Fukushima Daiichi accident”, Journal of Health Economics, 2021, 79 :102507.
11 | Kharecha PA, Sato M, “Implications of energy and CO2 emission changes in Japan and Germany after the Fukushima accident”, Energy Policy, 2019, 132 :647-53.
12 | Waddington I et al., “J-value assessment of relocation measures following the nuclear power plant accidents at Chernobyl and Fukushima Daiichi”, Process Safety and Environmental Protection, 2017, 112 :16-49.

1 Les traductions depuis l’anglais sont de la rédaction.