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L’homéopathie en questions

Publié en ligne le 14 juin 2005 - Homéopathie -

À l’occasion de la prise de position de l’Académie de médecine, il nous a semblé utile de revenir sur ce qu’est l’homéopathie, une doctrine élaborée par le médecin autrichien Samuel Hahnemann et exposé en 1810 dans son ouvrage Organon de l’art de guérir et dont le principe de similitude, les dilutions extrêmes et la dynamisation sont les principes de base.

Qu’est-ce que le principe de similitude ?

Ce principe (homéo en grec signifie semblable) stipule que « les semblables sont guéris par les semblables » (Similia similibus curantur) : une substance qui provoque des symptômes analogues aux symptômes d’une pathologie donnée devra guérir ladite pathologie. Hahnemann et ses collègues vont donc essayer sur eux-mêmes pendant 6 ans de nombreuses substances et noter soigneusement les premiers symptômes d’intoxication pour les rapprocher ensuite de ceux observés chez leurs patients. À ces derniers, ils vont alors administrer la drogue qui chez eux avait provoqué ces signes semblables.

Pourquoi la dilution ?

Le principe de dilution est venu en complément. Voulant essayer sur des malades des substances connues comme toxiques (l’arsenic ou le sel de mercure), Hahnemann eut l’idée de les diluer. La technique de fabrication des médicaments homéopathiques était née.

Que signifie dynamisation ?

Devant les dilutions extrêmes utilisées et donc l’absence évidente de matière active, Hahnemann a l’idée d’imprimer à chaque étape de la dilution de fortes secousses au mélange du produit et de l’excipient retenu (les succussions). Il postule que cette dynamisation va permettre, paradoxalement, malgré les dilutions successives, d’avoir un produit de plus en plus efficace.

Pourquoi parle-t-on aussi de personnalisation ?

Aux trois principes de base, la pratique homéopathique va ajouter la loi d’individualisation du patient : « il n’y a pas de maladies, il n’y a que des malades ». Chaque patient est unique, et un traitement homéopathique correspondra plus au tempérament du patient qu’aux symptômes de sa maladie.

Que signifie CH ?

CH signifie « Centésimale Hahnemanienne ». Toute la pharmacopée homéopathique est associée à un niveau de dilution exprimé en CH. Un CH correspond à la dilution d’une part de produit actif pour 99 parts d’excipient. 2CH correspond à la dilution d’une part du produit à 1 CH dans 99 parts d’excipient. On a alors une dilution égale à 100x100 soit 10 000. À 3 CH on est à un million. À la quatrième dilution, nous avons une goutte de produit actif pour 5 000 litres, à la sixième dilution, une goutte pour 50 millions de litres. À la trentième dilution, les chiffres sont proprement indescriptibles : une goutte pour 5 1055 (5 suivi de 55 zéros) litres... Ainsi, l’unique goutte initiale « se trouverait alors étendue dans une sphère de liquide dont le rayon serait plus grand que la distance du Soleil à la Terre... » 1

Que vient faire dans tout cela le « nombre d’Avogadro » ?

L’hypothèse atomique du temps d’Hahnemann n’était... qu’hypothèse. Les chimistes discutaient âprement entre eux sur la divisibilité infinie ou non de la matière, sur l’existence ou non de particules insécables (les atomes). Cette conjecture énoncée en 1811 par Avogadro stipulait qu’à conditions égales de température et de pression, deux gaz contiennent un nombre égal de molécules, un nombre fini. Une méthode de calcul rigoureuse de ce nombre a valu le Prix Nobel de Physique à Jean Perrin en 1926. Concrètement, pour les dilutions hahnemaniennes, cela signifie que la probabilité de trouver encore une molécule du produit initial dans les dilutions successives va rapidement décroître. Passé un certain seuil de dilution, il y aura obligatoirement des « doses vides », sans plus aucune molécule autre que celles de l’excipent. À partir de 9 CH, il devient bien problématique d’espérer avoir, dans « sa dose », la moindre molécule active. À plus de 15 CH, cela devient mission impossible. Gagner le gros lot au loto relève à côté de ça d’un jeu d’enfant... Si la théorie atomique n’était qu’hypothèse en 1810, elle est maintenant à la base de toute notre chimie.

La « mémoire de l’eau » n’expliquerait-elle pas l’homéopathie ?

La « mémoire de l’eau » du Professeur Benveniste, chercheur français à l’INSERM, a fait couler beaucoup d’encre. Jacques Benveniste affirmait avoir mis en évidence l’effet d’un produit transmis par une molécule d’eau ayant été au préalable en contact avec ce produit (d’où la formule de « mémoire de l’eau »). Sa « découverte » aurait permis de réconcilier les affirmations des homéopathes et la chimie d’Avogadro. Ces travaux, commencés en 1985, auxquels les laboratoires homéopathiques ont contribué financièrement, n’ont jamais pu être reproduits. Depuis, Jacques Benveniste a proposé des théories encore plus incroyables de transmission d’effets moléculaire par les ondes. Mais plus aucun crédit n’est accordé à ces affirmations qui, du reste, auraient remis en cause toute la physique et la chimie modernes, physique et chimie, qui font la preuve tous les jours de leur efficacité.

Qu’est-ce que l’« allopathie » ?

Il s’agit du « nom de la médecine traditionnelle, dans le langage des homéopathes » (Paul-Emile Littré (1801-1881), Dictionnaire de la langue française). Ce terme est également signalé dans le Larousse de la Langue française de 1838 2 Il a été forgé à partir du grec « autre » et « souffrance » par Samuel Hahnemann pour désigner la méthode thérapeutique opposée à l’homéopathie dont il fut le créateur (Brockhaus Enzyklopädie, s.v. Allopathie et Hahnemann), et ainsi créer une fausse symétrie entre sa doctrine et la médecine classique, au niveau de laquelle il voulait se placer.

Les produits homéopathiques sont-ils vraiment des médicaments ?

La réglementation en vigueur pour les spécialités pharmaceutiques prévoit un triple contrôle avant autorisation de mise sur le marché (AMM) :

  1. l’analyse confirme qu’il s’agit bien du produit annoncé ;
  2. les essais animaux prouvent son absence de toxicité ;
  3. le produit doit avoir montré son efficacité.

L’homéopathie échappe en grande partie à la loi. En effet, à cause de la dilution, évoquée plus haut, l’analyse ne retrouve que le diluant, ce qui du même coup prouve l’absence de toxicité. En ce qui concerne l’efficacité, les médicaments homéopathiques contournent la difficulté grâce à une dérogation qui stipule que « compte tenu de la spécificité de ce médicament, le demandeur est dispensé de produire tout ou partie des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques 3... »

Des chiffres ?

Chiffre d’affaires mondial des laboratoires homéopathiques 4 : 6 milliards de francs en l’an 2000. Chiffre d’affaires en France : 1,5 milliard de francs. Nombre de généralistes à orientation homéopathique : 5 000 sur 82 000 5. Selon un sondage IPSOS de 1997, 36 % des français auraient recours à l’homéopathie. Répertoire de références pléthorique : 1 000 000 6. 3000 souches, 60 dilutions, 19 formes galéniques. La société Boiron, leader mondial du produit homéopathique, est cotée en bourse et emploie de l’ordre de 2 500 salariés.

Qu’en est-il à l’étranger ?

Comme l’indiquent les chiffres ci-dessus, l’homéopathie est une spécificité française, puisque le chiffre d’affaires français est le quart de celui du monde entier. Seule l’Inde est en voie de nous faire concurrence. L’homéopathie est totalement négligée aux États-Unis ou dans les pays nordiques ou elle se vend et se prescrit comme un produit banal. Pourtant, sous l’effet de l’activisme des laboratoires et cultivant une image de « médecine naturelle », elle est en train de prendre de l’essor en Allemagne (ou elle reste cependant non remboursée) et dans certains pays développés 7.

Comment évaluer l’efficacité d’un traitement ?

Pas plus que son médecin, un patient, ne peut déterminer avec exactitude la cause de sa guérison. Ce n’est pas parce que cette dernière intervient à l’issue d’un traitement qu’elle en est automatiquement ou exclusivement la conséquence. La guérison peut s’être produite spontanément, être influencée par l’effet placebo 8. D’autres facteurs encore peuvent interférer. C’est pourquoi les études cliniques doivent suivre des protocoles rigoureux (existence de groupes témoins, répartition aléatoire, double aveugle contre placebo, nombre suffisant de participants, analyse statistique) afin de bien identifier les différentes causes et attribuer au médicament évalué sa réelle efficacité.. C’est à ces seules conditions que les résultats de ces études peuvent être acceptées par des journaux internationaux à comité de lecture et constituer une référence valable. Un traitement a une action lorsqu’il est statistiquement plus efficace qu’un simple placebo. L’homéopathie n’a jamais fait la preuve d’une efficacité spécifique dans ces conditions.

L’homéopathie a-t-elle été évaluée ?

Les publications et les sites qui font la promotion de l’homéopathie publient de longues listes d’études prétendument scientifiques qui montrent l’efficacité de l’homéopathie dans diverses situations. Pourtant, après une longue étude de ces différentes publications, le journal Prescrire 9 concluait : « Rien ne permet d’affirmer que les médicaments homéopathiques ont une action thérapeutique spécifique. Ils peuvent, au mieux, avoir un intérêt, comme d’autres placebos, chez certains patients et pour certaines affections placebosensibles... » 10. Une autre étude publiée en 1999 et portant cette fois sur l’« impact de la qualité des études sur les résultats dans les études contrôlées d’homéopathie » 11 vient éclairer cette apparente contradiction. S’appuyant sur 89 études contrôlées, elle conclut : « De l’analyse de l’ensemble des études nous tirons la preuve indiscutable que les études qui présentent la meilleure qualité méthodologique fournissent les résultats les moins positifs. ». En clair : plus le travail d’investigation est mal fait, plus l’étude a de chance d’être favorable à l’homéopathie.

Finalement, ce n’est pas si dangereux, donc pas très grave ?

Le seul véritable danger de l’homéopathie est l’absence ou le retard dans la mise en place de soins appropriés. Ce danger est très faible dans les pays développés. Si l’homéopathie est prise en automédication, le patient qui voit les symptômes persister se tourne rapidement vers la médecine scientifique. Si, par contre, la prescription est faite par un homéopathe extrémiste cela peut avoir de graves conséquences, comme on l’a vu dans le cas d’homéopathes proches des sectes. Le problème est différent dans les pays en voie de développement ou l’homéopathie donne l’illusion de véritables traitements. C’est pourquoi des initiatives comme celles de l’association « Homéopathes sans frontières », qui cherche à développer l’homéopathie dans les pays pauvres, doivent être condamnées 12 : l’homéopathie ne peut constituer une solution pour des populations que déciment le SIDA, le paludisme et le choléra.

Faut-il empêcher les gens de se soigner avec l’homéopathie ?

Il n’y a évidemment aucune raison d’empêcher les gens de se soigner avec l’homéopathie. Chacun est libre de ses choix, s’il les fait librement et en toute connaissance de cause. Ce que nous contestons, c’est le remboursement sur des fonds publics alors même qu’on dérembourse des spécialités dont on ne peut pas dire, pour elles, que le service médical rendu est insuffisant. Ce qui est grave aussi, c’est que l’homéopathie véhicule une idéologie antiscientifique et irrationnelle avec la complicité intéressée d’authentiques médecins. L’appropriation de sa santé, des soins à mettre en œuvre, passe par une information, par la connaissance, pas par la magie ou les révélations.

Références

1 | Michel Rouzé, Mieux connaître l’homéopathie, éditions La Découverte, 1989.
2 | Jean Brissonnet, Les pseudo-médecines, éditions book-e_book, 2003.

1 Leçon à l’hôpital Beaujon du professeur A. Gubler, rapportée p. 43-44 par Michel Rouzé dans son ouvrage Mieux connaître l’homéopathie », éd. de la Découverte, 1989. En fait, ce calcul est erroné puisque le diamètre de la sphère atteint 48 années-lumière, soit beaucoup plus que la distance Terre-Soleil

3 JO N° 25 du 30/01/1998

4 Quid 2000

5 Ordre des médecins, 2004.

6 La Recherche n° 310, juin 1998.

7 En réaction, Amadeo Sarma, président du GWUP (l’association sœur de l’AFIS en Allemagne) et de l’ECSO (l’association européenne) proposait début d’août 2004 « d’inscrire la lutte contre l’homéopathie dans les priorités stratégiques jusque fin 2005 ». Il ajoutait : « J’espère convaincre d’autres organisations sceptiques de faire de même afin qu’un effort à l’échelle européenne ou même mondiale éclaire les enjeux réels de l’homéopathie et ses allégations ».

8 Voir L’effet placebo et ses paradoxes, SPS n° 252, mai 2002.

9 Seule revue médicale refusant toute publicité des laboratoires, pour conserver une totale indépendance.

10 Aulas J.-J., « Homéopathie, actualisation 1995 du dossier d’évaluation », Prescrire, 1995 ; 15(155) : 674-684.

11 Linde K. et al., “Impact of study quality on outcome in placebo-controlled trials of homeopathy”, J. Clin Epidemiol, 1999 Jul, 52 (7) : 631-6.


Thème : Homéopathie

Mots-clés : Homéopathie - Médecine

Publié dans le n° 264 de la revue


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