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La diversité des arbres protège les forêts contre les attaques d’insectes herbivores

Publié en ligne le 5 juillet 2021 - Information scientifique -

Les forêts piègent le dioxyde de carbone, un des principaux gaz à effet de serre. De par leur étendue (30 % de la surface des terres), leur gestion et leur préservation représentent donc d’importants leviers dans les stratégies d’atténuation visant à contenir la température moyenne du globe à 1,5 °C au-dessus de celle de l’ère préindustrielle [1]. De fait, planter un arbre est vu comme un acte engagé auquel se livrent de nombreuses municipalités, entreprises, fonds d’investissements ou ONG. Mais un arbre, ce n’est pas une forêt, et toutes les forêts n’ont pas les mêmes caractéristiques.

Olgierd Pstrykotwórca CC BY 2.0 via Wikimedia Commons

Selon la FAO [2], alors que la surface totale des forêts décroît régulièrement à l’échelle mondiale (178 millions d’hectares, soit 4 %, ont été perdus depuis 1990), la surface des forêts de plantation ne cesse d’augmenter. Les forêts gérées pour la production industrielle de bois représentent aujourd’hui 3 % du couvert forestier mondial et fournissent près de 50 % du volume de bois d’œuvre [3]. Elles sont caractérisées par leur homogénéité : ce sont des monocultures denses et équiennes (tous les arbres ont le même âge) généralement établies à partir d’un petit nombre de genres ou d’espèces à croissance rapide et très productives (eucalyptus, pins, épicéa, peuplier, hévéa, teck). Mais une synthèse récente de la littérature [4] indique que cette homogénéité peut entraîner une plus grande vulnérabilité aux perturbations liées aux événements climatiques extrêmes et aux risques que constituent les attaques d’insectes ravageurs.

Pour évaluer ce risque, nous avons conduit une méta-analyse de la littérature scientifique [5]. Une méta-analyse est un traitement statistique des données issues de la littérature scientifique permettant de produire une synthèse quantitative et reproductible des connaissances sur un sujet donné [6]. Concrètement, à partir d’un ensemble prédéfini de mots-clés, nous avons interrogé la base de données Web of Science et avons identifié 988 articles scientifiques susceptibles d’avoir comparé des dégâts d’insectes herbivores sur une espèce d’arbre, selon que cette espèce était plantée seule, ou en association avec d’autres espèces d’arbres. Après les avoir examinés, nous avons retenu 69 articles présentant des données quantitatives exploitables, desquels nous avons extrait 624 comparaisons de dégâts causés par une même espèce d’insecte herbivore sur une même essence selon qu’elle était présente en mélange ou en monoculture.

Les données présentes dans les articles que nous avons analysés étaient exploitables par méta-analyse si elles donnaient la moyenne, la taille de l’échantillon, et une mesure de variabilité autour de la moyenne (variance, écart-type, erreur standard) à la fois pour la monoculture et pour le mélange. La moyenne permet de comparer quantitativement les dégâts d’insectes herbivores dans les deux conditions (monoculture et mélange). La taille de l’échantillon et la variabilité autour de la moyenne permettent de pondérer les moyennes, en donnant plus de poids aux cas d’études les plus robustes, reposant sur un nombre plus élevé d’observations primaires.

Les résultats de cette méta-analyse indiquent que les insectes herbivores causent des dégâts plus importants dans les monocultures que dans les peuplements mélangés dans 65 % des cas. Cela correspond à une moyenne pondérée de 23 % de dégâts en plus sur les arbres d’une essence forestière en monoculture que sur les arbres de la même essence en peuplements mélangés [5]. En l’état actuel des connaissances, il est donc possible de conclure que les forêts mélangées sont en moyenne plus résistantes aux attaques d’insectes herbivores que les monocultures.

Mais ce n’est qu’une moyenne, aussi robuste soit-elle. Restent 35 % de cas pour lesquels le résultat va à l’encontre de cette conclusion. Nous avons donc cherché à modéliser l’hétérogénéité des valeurs autour de cette moyenne pour identifier les facteurs écologiques rendant les mélanges d’essences plus résistants aux attaques d’insectes herbivores. À partir des données extraites de notre corpus de 624 cas, nous avons montré que ce n’est pas tant la diversité des arbres en tant que telle qui favorise la résistance des forêts aux insectes herbivores que la composition des mélanges d’essences, par exemple des mélanges de feuillus et de résineux. En l’état, la méta-analyse ne permet que de faire des recommandations très générales ; il est très probable que l’identité et la proportion relative des espèces d’arbres associées doivent être adaptées aux conditions climatiques et édaphiques (du sol) locales.

Déjà en 1889 Lucien Boppe écrivait dans son traité de sylviculture [7] à propos des ravageurs que « pour empêcher la formation de ces foyers d’invasion, il faut […] donner la préférence aux peuplements mélangés et surtout au mélange de feuillus et de résineux ». Rien de neuf sous le soleil donc ? Peut-être, mais visiblement le bon sens ne suffit pas puisque la monoculture reste le système de plantation industrielle dominant. Face aux enjeux environnementaux que représente aujourd’hui la gestion durable des forêts, il est indispensable de l’asseoir sur des bases quantitatives, transparentes et reproductibles. Scientifiques en somme.

Références


1 | Rogelj J et al., “Mitigation pathways compatible with 1.5 °C in the context of sustainable development”, IPCC special report, 2018. Sur ipcc.ch
2 | FAO, « La situation des forêts du monde », 2020. Sur fao.org
3 | Payn T et al., “Changes in planted forests and future global implications”, For Ecol Manag, 2015.
4 | Jactel H et al., “Tree diversity drives forest stand resistance to natural disturbances”, Curr For Rep, 2017, 3 :223-43.
5 | Jactel H et al., “Tree diversity and forest resistance to insect pests : Patterns, mechanisms and prospects”, Ann Rev Entomol, 2021.
6 | Castagneyrol B, « Méta-analyses : de l’art de bien mélanger torchons et serviettes ». Sur theconversation.com
7 | Boppe L, Traité de sylviculture, Berger-Levrault, 1889.

Publié dans le n° 335 de la revue


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Les auteurs

Bastien Castagneyrol

Chercheur à l’Inrae - institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, UMR (...)

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Hervé Jactel

Chercheur à l’Inrae - institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, UMR (...)

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