La psychologie française dans l’impasse
Publié en ligne le 6 février 2018Du positivisme de Piéron au personnalisme de Fraisse
Françoise Parot
Éditions Matériologiques, 2017, 294 pages, 24 €

Françoise Parot est professeur émérite d’histoire et d’épistémologie de la psychologie à l’université Paris Descartes. Son ouvrage est du plus haut intérêt pour celui qui s’intéresse aux débuts de la psychologie universitaire en France. Elle a réalisé un très minutieux travail d’archiviste pour les écrits de Paul Fraisse (la liste de ces documents fait ici trente pages). Elle présente beaucoup de détails sur les carrières de Ribot, Piéron, Janet, Binet, Meyerson, Lagache et le philosophe Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit. On en apprend beaucoup sur les réseaux de relations et les compromissions qui font des carrières académiques. Le contenu du livre correspond au sous-titre : il y est avant tout question de Piéron, le fondateur de l’Institut de psychologie de l’université de Paris en 1921, et de la double vie intellectuelle de Fraisse : à la fois catholique militant, vivant dans la communauté « personnaliste » avec Mounier, et psychologue expérimentaliste « positiviste » dans son laboratoire.
Françoise Parot n’envisage guère l’ensemble de la psychologie française : elle parle peu de Wallon, quasiment pas de Zazzo et pas du tout d’autres nombreux psychologues qui ont fait avancer la psychologie scientifique en France. L’impasse dont il est question dans le titre est le conflit, virulent et permanent en France, entre la psychologie scientifique et les psychologies philosophiques et psychanalytiques. De façon plus générale, l’impasse concerne l’existence même de la psychologie scientifique, discipline qualifiée d’incapable de « tenir compte de la part des valeurs et des choix subjectifs, qui sont singuliers et infiniment variables et labiles » (p. 241).
Françoise Parot ne croit guère à l’intérêt de la psychologie expérimentale. Elle adhère à cette célèbre critique de George Canguilhelm : les comportements étudiés en laboratoire sont « pathologiques » (p. 240). Ce n’est évidemment pas l’avis des milliers de psychologues qui, à travers le monde, pensent que les comportements dans un laboratoire peuvent certes être différents de ceux dans des milieux dits « naturels », mais que les observations réalisées dans chacun de ces environnements sont instructives et complémentaires, le laboratoire présentant l’avantage d’une meilleure identification de variables en jeu.
Se fondant sur la thèse que « la psychologie est radicalement chargée de valeurs » (p. 15), F. Parot conclut : « les valeurs qui la “chargent” l’exposent aux variations des systèmes de valeurs, aux variations culturelles. Et à sa disparition » (p. 15). D’autre part, selon elle, « aujourd’hui, la psychologie scientifique est lentement absorbée par les différentes neurosciences » (p. 15), alors que celles-ci ne sont nullement en mesure d’expliquer les comportements concrets. F. Parot montre que, suite au succès de la psychanalyse, dont « la France est devenue une terre d’élection », « la psychologie est à présent partout, mais pour finir, comme science, elle n’est nulle part » (p. 183). Enfin, elle estime qu’en l’absence d’une « métapsycholinguistique » cohérente, la psychologie reste à faire (p. 224s). À ses yeux, le bilan de la psychologie, pas seulement en France, est catastrophique et apparaît quasi sans espoir : « Les problèmes se résument à une impossibilité de faire des progrès en psychologie plus qu’en philosophie » (p. 216). L’ouvrage, qui sera un régal pour les détracteurs de la psychologie, m’a déçu par son extrême pessimisme pour ma discipline.
Publié dans le n° 322 de la revue
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