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La saga CRISPR

Publié en ligne le 9 avril 2023
La saga CRISPR
Aline Richard Zivohlava
Flammarion, 2021, 365 pages, 22,90 €

Commençons par expliquer le titre de ce livre. CRISPR est l’acronyme de « Cluster of Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats », traduit en français par « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ». Associée à une protéine appelée « cas 9 » (pour « CRISPR associated protein 9 »), c’est une propriété de l’ADN qui peut être exploitée, avec la protéine cas 9, pour modifier (« éditer ») le génome. Ce système est un mécanisme de défense naturel des bactéries contre les virus.

Cette technique de modification de génome a été mise au point par la chercheuse française Emmanuelle Charpentier et la professeure américaine Jennifer Doudna et publiée en 2012 dans la prestigieuse revue scientifique Science. Leurs travaux leur ont valu le prix Nobel de chimie en octobre 2020.

Dans la littérature non spécialisée, le système CRISPR-cas 9 est couramment appelé « ciseau moléculaire ». Il constitue une avancée majeure dans les techniques de modification de génomes car il permet aisément et à faible coût de couper un gène afin de l’éliminer et de le remplacer ultérieurement par une autre séquence génomique.

Le livre La Saga CRISPR de Aline Ricard Zivohlavha, rédactrice en chef du magazine Le Figaro Santé et ancienne directrice de la rédaction de La Recherche, retrace l’histoire de la découverte de cette technique, de ses applications actuelles et futures ainsi que des dangers et problèmes éthiques que soulève l’édition de génomes.

CRISPR-cas 9 est utilisé par les scientifiques dans différents domaines. Ont déjà été créés par cette technique des champignons qui ne brunissent pas après être coupés en morceaux, des tomates enrichies en antioxydants, des porcs modifiés pour les rendre plus résistants à la peste porcine ou des vaches sans cornes afin qu’elles ne se blessent pas. Certains scientifiques envisagent même d’utiliser cet outil pour faire revivre les mammouths.

En ce qui concerne la santé humaine, CRISPR a été largement mis à contribution dans la lutte contre la Covid-19 puisque c’est cet outil qui est employé pour détecter la présence du virus SARS-CoV-2 dans les prélèvements nasaux (auto-tests). Ces quelques exemples illustrent également bien le potentiel financier généré par cet outil moléculaire. Les brevets déposés par les équipes qui ont découvert CRISPR-cas 9 sont d’ailleurs au cœur d’une bataille juridique concernant son exploitation commerciale.

Après avoir franchi l’étape de l’édition de génomes complexes de mammifères ruminants, certains scientifiques se sont attachés à éditer des génomes humains. C’est ainsi qu’en octobre 2018 sont nées en Chine deux petites filles jumelles, dont les pseudonymes étaient Lulu et Nana, résultant du travail du scientifique chinois He Jianki. Cette expérience visait à conférer à ces « bébés CRISPR », durant toute leur vie, une résistance au virus du sida (VIH). Réalisée après fécondation in vitro pour un couple dont le père était infecté par le VIH, cette manipulation génétique sur des embryons humains a été largement décriée et a généré un tollé dans la communauté scientifique. De plus, il s’est avéré par la suite que l’acquisition d’une résistance au VIH par ces jumelles n’a en aucun cas été démontrée et qu’elles auraient acquis des mutations à d’autres endroits de leur génome que celui qui était désiré, avec la possibilité de conséquences ultérieures sur leur santé.

Ainsi, tout en présentant les bénéfices que CRISPR pourrait apporter, le livre d’A. R. Zivohlava ne cache rien des erreurs et des ratés que cet outil moléculaire peut engendrer. L’auteur souligne aussi les problèmes éthiques qu’une telle technique soulève lorsqu’on parle d’humanité augmentée ou d’application dans le secteur militaire. Mais, comme elle le dit à la fin de son ouvrage, « le pire n’est jamais sûr ».

Le livre d’A. R. Zivohlava se veut didactique afin de « susciter l’intérêt du plus grand nombre sur une technologie qui est en train de transformer notre avenir ». Le texte est illustré par Diane Rottner, illustratrice médicale, de schéma explicatifs facilitant sa compréhension. Un glossaire des principaux termes techniques complète l’ouvrage qui a obtenu en 2022 le prix Roberval, concours international francophone qui récompense des œuvres consacrées à l’explication de la technologie. Cependant, même s’il est écrit dans un style fluide, on aurait tort de sous-estimer la complexité du sujet. La compréhension du livre exige par endroits de solides bases de biologie moléculaire et il n’intéressera probablement que les lecteurs avides de mieux comprendre les derniers développements de l’édition de génome et leurs applications potentielles.