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La sûreté des installations nucléaires en période de guerre

Publié en ligne le 27 janvier 2023 - Nucléaire -

L’invasion de l’Ukraine par des troupes russes fait émerger des inquiétudes sur la sûreté des installations nucléaires civiles exploitées dans ce pays et sur les conséquences d’un éventuel accident nucléaire, pour l’Ukraine mais aussi pour les pays limitrophes.

La sûreté des installations nucléaires

Les exploitants sont responsables de la sûreté de leurs installations, notamment du strict respect des exigences de sûreté. Ils rendent compte aux autorités compétentes. En France, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) assure le contrôle de la sûreté des installations en s’appuyant sur les compétences techniques de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). En Ukraine, ces fonctions sont respectivement assurées par l’Inspection nationale de la réglementation nucléaire d’Ukraine (SNRIU, State Nuclear Regulatory Inspectorate of Ukraine) et le Centre scientifique et technique d’État sur la sûreté nucléaire et la radioprotection (SSTC, State Scientific and Technical Center on Nuclear and Radiation Safety).

La conception des installations nucléaires prévoit l’interposition de plusieurs barrières, dites de confinement, indépendantes, entre les produits radioactifs et l’environnement. Elle se base sur le principe de défense en profondeur comprenant cinq niveaux successifs (voir encadré). Il s’agit d’une approche appliquée au niveau international pour tout type d’installation (réacteur, laboratoire, usine…) et décrite par exemple dans les documents publiés par l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA).

Gopak, Ilia Répine (1844-1930)
Le gopak (ou hopak) est une danse traditionnelle ukrainienne dont l’origine remonte aux Cosaques zaporogues, comme le montre ici le peintre Ilia Répine. Organisée autour de sauts acrobatiques, d’accroupissements et autres tours de force, cette danse virtuose se situe à mi-chemin entre une pratique artistique et un art martial.

En 2011-2012, après l’accident de Fukushima Daiichi, des stress tests ont été organisés sur les réacteurs nucléaires européens sous l’égide des autorités de sûreté européennes et de la Commission européenne (ENSREG – European Nuclear Safety Regulators Group), de manière à évaluer et renforcer leur résilience en cas d’événement naturel d’ampleur extrême (séisme, inondation…) et de la défaillance de l’ensemble des moyens de refroidissement et des sources électriques, de façon simultanée sur plusieurs réacteurs d’un même site. Ces stress tests ont concerné les États membres de l’Union européenne et également l’Arménie, la Biélorussie, la Suisse, la Turquie, l’Ukraine et le Royaume-Uni. Des démarches similaires ont été organisées dans la plupart des autres pays nucléarisés. Ces stress tests ont conduit dans chaque pays à des plans d’actions renforçant la sûreté des installations nucléaires vis-à-vis des pertes totales et durables de refroidissement potentiellement dues à des événements naturels extrêmes. De nouveaux équipements fixes ont été installés, de nouveaux équipements mobiles (pompes, générateurs électriques…) ont été mis à disposition sur les sites et les équipes d’intervention ont été renforcées. En France, EDF a ainsi créé une Force d’action rapide nucléaire (Farn) qui regroupe des moyens humains et matériels pouvant rapidement porter assistance à un site en difficulté.

Contexte des situations de guerre

L’état de guerre soulève plusieurs problématiques à l’égard de la sûreté des installations, par exemple :

  • une problématique d’agression externe dont les effets peuvent, pour partie, être similaires à ceux associés à d’autres types d’agression externe, naturelle ou résultant d’actions humaines (anthropiques) ;
  • une problématique interne liée aux dégradations de conditions d’exploitation, conditions qui concourent très directement à la sûreté.

Plus globalement, c’est l’ensemble du système de gouvernance de la sûreté qui peut être affecté.

De nombreuses questions se posent : l’exploitant d’une installation nucléaire occupée par des forces militaires est-il en mesure d’exercer ses responsabilités, notamment assurer la gestion courante des systèmes (maintenance, réparation…), prendre les décisions nécessaires au maintien de la sûreté et appliquer les procédures prévues ? Les conditions de travail des opérateurs (stress lié à la situation, inquiétude pour des proches, anxiété…) sont-elles encore compatibles avec l’exploitation d’une installation nucléaire ? L’autorité de sûreté étant vraisemblablement dans l’incapacité d’exercer pleinement sa mission, quel contrôle est encore exercé sur l’installation ? Les dispositions des niveaux quatre et cinq de la défense en profondeur, relevant en partie des pouvoirs publics, ne sont-elles pas caduques ? Quelle décision doit être prise concernant le maintien en production des installations, eu égard aux besoins d’électricité et à la situation de la centrale ?

Au-delà des questions techniques, ces interrogations renvoient à des dimensions humaine, politique, militaire et juridique concernant l’ensemble des belligérants et qui ne sont pas développées dans le présent article.

Sur le plan technique, les moyens (matériels ou humains) mis en place pour assurer la sûreté d’une installation sont conçus en s’appuyant sur la probabilité d’occurrence des événements naturels ou anthropiques (aléas) : séisme, inondation (crue, tempête, pluie…), canicule, tornade, explosion affectant une installation industrielle ou un moyen de transport... Ces aléas sont définis pour chaque site en fonction, en particulier, de son environnement et de données historiques. Des marges de sécurité sont introduites (aléas majorés).

Une démarche similaire est conduite pour le dimensionnement de ces moyens au regard des aspects liés à la sécurité des installations (agressions malveillantes, voir encadré). Dans ces approches, il n’est pas envisagé d’aléas correspondant à une situation de guerre, même si, par exemple, les dispositions retenues pour limiter les conséquences d’une agression externe peuvent participer à la résilience de l’installation.

Paysage de ruines et d’incendies,
Félix Vallotton (1865-1925)
Les cinq niveaux de la défense en profondeur


Les principes de base de la sûreté de fonctionnement des installations nucléaires reposent sur cinq niveaux successifs, chacun visant à limiter les conséquences de défaillances des niveaux précédents. Les rôles de ces niveaux sont les suivants :

 Niveau 1 : prévenir les événements pouvant affecter le fonctionnement de l’installation (dispositions de conception, qualité de construction et d’exploitation).
 Niveau 2 : détecter la survenue d’anomalies ou d’incidents et mettre en œuvre les actions permettant d’une part d’empêcher que ceux-ci ne conduisent à un accident, d’autre part de rétablir une situation de fonctionnement normal ou, à défaut, d’atteindre puis de maintenir l’installation nucléaire dans un état sûr.
 Niveau 3 : maîtriser les accidents n’ayant pu être évités ou, à défaut, limiter leur aggravation en ramenant et maintenant l’installation dans un état sûr.
 Niveau 4 : gérer les situations d’accident consécutives à l’échec des dispositions des trois premiers niveaux de défense en profondeur, de façon à en limiter les conséquences notamment pour les personnes et l’environnement.
 Niveau 5 : mettre en œuvre les dispositions prévues par les pouvoirs publics pour atténuer les conséquences radiologiques des rejets radioactifs susceptibles de résulter de conditions accidentelles (mise à l’abri ou évacuation, prise d’iode stable, restrictions de consommation de denrées alimentaires…).

Dans le cas d’un réacteur nucléaire, le quatrième niveau de défense vise à limiter les conséquences des situations d’accident avec fusion de combustible tandis que le troisième niveau a pour objectif de prévenir cette fusion. Les niveaux 4 et 5 de la défense en profondeur ont été définis à la suite de l’accident de la centrale de Three Mile Island aux États-Unis, en 1979.

À cet égard, même si certaines parties d’une installation peuvent être bunkerisées, il apparaît difficile de prendre en compte de façon exhaustive, lors de la conception d’une installation nucléaire, les risques d’agression directe (destruction volontaire) associés à un conflit armé En effet, la puissance destructive potentielle des armes peut être très grande et la disponibilité des équipes intervenant sur l’installation peut se trouver compromise par les actes de guerre.

Par ailleurs, les enjeux de sûreté associés à ce type d’agression sont très importants (risques de rejets radioactifs dans l’environnement) du fait que l’ensemble des barrières de confinement peuvent être simultanément agressées. Aussi, en situation de guerre, la compréhension des enjeux de sûreté par les belligérants et leur niveau d’information apparaissent comme des éléments essentiels.

Sûreté et sécurité des installations nucléaires


La sûreté nucléaire recouvre l’ensemble des dispositions techniques et les mesures d’organisation prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. Elles concernent la conception, la construction, le fonctionnement, l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi que le transport des substances radioactives.

La sûreté nucléaire est une composante de la sécurité nucléaire qui comprend, en outre, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actions de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident.

Source : IRSN

Ces aspects sont pris en compte, notamment dans le protocole additionnel aux conventions de Genève 1 (voir encadré ci-dessous).

Protection des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses
  • Les ouvrages d’art ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique, ne seront pas l’objet d’attaques, même s’ils constituent des objectifs militaires, lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile. Les autres objectifs militaires situés sur ces ouvrages ou installations ou à proximité ne doivent pas être l’objet d’attaques lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de forces dangereuses et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile.
  • La protection spéciale contre les attaques prévues au paragraphe 1 ne peut cesser :
    • pour les barrages ou les digues, que s’ils sont utilisés à des fins autres que leur fonction normale et pour l’appui régulier, important et direct d’opérations militaires, et si de telles attaques sont le seul moyen pratique de faire cesser cet appui ;
    • pour les centrales nucléaires de production d’énergie électrique, que si elles fournissent du courant électrique pour l’appui régulier, important et direct d’opérations militaires, et si de telles attaques sont le seul moyen pratique de faire cesser cet appui ; […]
  • Il est interdit de faire de l’un des ouvrages, de l’une des installations ou de l’un des objectifs militaires mentionnés au paragraphe 1 l’objet de représailles.
  • Les Parties au conflit s’efforceront de ne pas placer d’objectifs militaires à proximité des ouvrages ou installations mentionnés au paragraphe 1. Néanmoins, les installations établies à seule fin de défendre les ouvrages ou installations protégés contre les attaques sont autorisées et ne doivent pas être elles-mêmes l’objet d’attaques, à condition qu’elles ne soient pas utilisées dans les hostilités, sauf pour les actions défensives nécessaires afin de répondre aux attaques contre les ouvrages ou installations protégés et que leur armement soit limité aux armes qui ne peuvent servir qu’à repousser une action ennemie contre les ouvrages ou installations protégés […].

Source : extraits de l’article 56 du protocole additionnel aux conventions de Genève.

Le Chant des vainqueurs cosaques,
Józef Brandt (1841-1915)

Enfin, des effets indirects d’un conflit sur la sûreté d’une installation nucléaire ne peuvent être écartés, par exemple la destruction partielle d’une zone du fait d’une erreur de tir ou la perte des alimentations électriques du site sans possibilité d’intervention de moyens extérieurs à l’installation.

Pour ces cas, il est vraisemblable que les moyens fixes ou mobiles présents sur les sites permettent aux équipes d’agir sur la situation, si leurs actions ne sont pas entravées. Sur ce point, les renforcements matériels et organisationnels implémentés après l’accident de la centrale Fukushima Daiichi, dans le cadre des stress tests précités ont augmenté les capacités des exploitants dans ce domaine. Toutefois, ces renforcements reposent à terme sur un appui extérieur au site, par exemple pour réalimenter en carburant des groupes électrogènes de secours. La mise en place de cet appui dans un contexte de conflit armé pourrait présenter un objectif particulier pour les belligérants, s’ils sont soucieux d’éviter l’accident nucléaire.

Le cas de la guerre en Ukraine

L’Ukraine dispose de quinze réacteurs électronucléaires en fonctionnement répartis sur quatre sites. Il s’agit de réacteurs de conception russe de type VVER 440 ou VVER 1000 sur les centrales de Rivne (4 réacteurs), Khmelnitskyi (2 réacteurs), South Ukraine (3 réacteurs), Zaporizhzhya (6 réacteurs) [3].

L’ensemble de ces installations a fait l’objet de stress tests en 2012 et de renforcements des dispositions de sûreté pour faire face à des événements naturels extrêmes ou à une fusion du cœur [1].

L’Ukraine dispose également de réacteurs de recherche à Sébastopol et Kiev ainsi que d’installations d’entreposage ou de traitement de déchets radioactifs à Kiev, Kharkiv, Odessa, Lviv, Dnipropetrovsk et Donetsk [3].

La centrale de Tchernobyl
Le dernier réacteur de la centrale de Tchernobyl a été arrêté définitivement en 2000. Le réacteur accidenté en 1986 a été recouvert d’un sarcophage, lui-même recouvert d’une arche de confinement en 2017 (structure de 250 m de large et 160 m de long, pour une hauteur de 100 m). Par ailleurs, l’ensemble des assemblages combustibles (environ 20 000) utilisés par les réacteurs du site ont été placés dans une piscine d’entreposage. Ces assemblages sont en cours de transfert dans une nouvelle installation d’entreposage à sec (environ 2 000 assemblages ont déjà été transférés [2]).

La centrale de Tchernobyl a fait l’objet d’inquiétudes dès le début du conflit à la suite de l’arrivée des forces russes et d’une augmentation de la radioactivité de l’air (par rapport au bruit de fond), détectée par des balises à proximité des installations. Cette augmentation a été attribuée par le SNRIU à une possible remise en suspension de la contamination présente dans l’environnement depuis l’accident de 1986 au passage de chars russes ou à un dysfonctionnement de certaines balises [3].

La centrale a été occupée par les militaires russes du 24 février au 31 mars 2022. Les rotations du personnel de l’exploitant de la centrale ont été empêchées, de même que les actions de maintenance des installations. Le SNRIU était dans l’incapacité d’exercer ses missions de contrôle. Pendant cette période, la gestion de la centrale était extrêmement dégradée et préoccupante, comme cela a été souligné par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Il faut en particulier souligner les difficultés auxquelles les équipes d’exploitation de la centrale ont été confrontées et le stress auquel elles ont été soumises.

En ce qui concerne les installations, en cas de perte des alimentations électriques externes, des groupes électrogènes de secours permettent d’alimenter les systèmes nécessaires à la sûreté du site, notamment les moyens de refroidissement de la piscine d’entreposage du combustible. Les groupes électrogènes de secours ont de l’ordre de 48 heures d’autonomie en carburant. La centrale a fonctionné dans cette configuration autour du 20 avril 2002, avec une restauration de l’alimentation électrique externe en quelques heures.

Si une perte totale et prolongée des alimentations électriques du site intervenait, tous les systèmes de la centrale s’arrêteraient. Se produirait alors un échauffement progressif de l’eau de la piscine d’entreposage du combustible, jusqu’à environ 65 °C (la stabilisation à cette température serait liée à l’évaporation de l’eau). Cette situation a été étudiée dans le cadre des stress tests [1]. À moyen terme (plusieurs jours), un appoint d’eau pour maintenir le niveau d’eau dans la piscine (compenser l’évaporation) devrait être réalisé. S’il ne l’était pas, en cas de dénoyage du combustible entreposé, celui-ci s’échaufferait mais sans atteindre son point de fusion (stocké depuis longtemps, le combustible a perdu une partie de sa radioactivité). Cela entraînerait un niveau d’irradiation très important au niveau du site, mais pas ou peu de rejets radioactifs à l’extérieur.

La centrale de Zaporizhzhya
Cette centrale est située au sud de l’Ukraine, à proximité d’une zone faisant l’objet de combats. Deux réacteurs sur six étaient en fonctionnement en mai 2022.

La centrale est occupée par les troupes russes depuis le 4 mars 2022, ainsi que la ville proche d’Enerhodar. À l’évidence, cette situation affecte la gestion opérationnelle de la centrale et pourrait perturber de manière importante le respect des règles de sûreté. Par ailleurs, l’autorité de sûreté ukrainienne ne peut plus exercer son rôle de contrôle. L’AIEA a souligné le 11 mai 2022 le caractère non soutenable de la situation.

La centrale est connectée au réseau électrique par quatre lignes de 750 kV et une ligne de 330 kV, sur laquelle sont connectées, à proximité, la centrale thermique de Zaporizhzhya et les centrales hydroélectriques de Dnipro et Kakhovka. Lorsque les réacteurs de la centrale électronucléaire sont à l’arrêt, ce réseau alimente notamment des systèmes importants pour la sûreté, dont ceux nécessaires au refroidissement du combustible et à la surveillance des réacteurs. La disponibilité de ces alimentations électriques externes présente donc un important enjeu de sûreté. En cas de perte de ces alimentations, le personnel de la centrale pourrait utiliser un des réacteurs de la centrale, en ajustant sa puissance pour subvenir aux besoins propres du site en électricité [4]. En cas d’échec de cette procédure (si tous les réacteurs sont arrêtés), les moyens prévus permettraient aux équipes du site de faire face à une absence totale d’alimentation électrique externe sur une durée d’au moins dix jours. Cette conclusion dépend de la fiabilité de ces moyens locaux, de leur approvisionnement initial en carburant et de la disponibilité des équipes pour les mettre en œuvre.

La centrale étant proche des zones de combats, elle pourrait être touchée par un tir accidentel. Les parties les plus sensibles (réacteurs et piscines de désactivation du combustible) sont protégées par une enceinte de confinement robuste, capable de résister à la chute de certains avions. Selon les armes utilisées, il pourrait toutefois y avoir des conséquences importantes sur la sûreté des réacteurs.

Les équipes du site sont formées à la gestion de crise et disposent d’équipements destinés à gérer les situations accidentelles, qui ont été renforcés à la suite des stress tests menés après l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi. Toutefois, dans le contexte de la guerre, avec des communications qui peuvent s’avérer difficiles entre les acteurs de la gestion de crise (équipes locales et nationales de l’exploitant, autorité de sûreté, support technique, autorités locales et nationales) et de potentielles difficultés dans la mise en œuvre des équipements (défaillance, destruction, absence des opérateurs formés…), il n’est pas acquis que la gestion d’une telle situation soit possible.

Au moment de l’écriture de cet article, la centrale vient de faire l’objet de trois bombardements les 5 et 6 août 2022, heureusement sans provoquer d’accident nucléaire mais en endommageant des zones clés pour la sûreté, notamment les alimentations électriques externes [5]. Les équipes du site ont pu gérer les conséquences de ces bombardements mais la situation est extrêmement précaire.

L’AIEA a émis une alerte sur la dégradation actuelle de la situation qui met en cause les fondements de la sécurité nucléaire.

Kolo, Matija Jama (1872-1947)
Le kolo est une danse traditionnelle slovène qui se pratique en chaîne circulaire. Cette danse a longtemps joué, et joue encore, un rôle social communautaire important en Slovénie. Elle est inscrite par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2017.

Autre exemple en Europe : la centrale de Krsko en 1991

La guerre d’indépendance de la Slovénie a opposé la Yougoslavie à la Slovénie après la déclaration d’indépendance de cette dernière durant l’été 1991. Un article de l’Institut slovène Jozef Stefan [6] résume les enjeux. Au début du conflit, la puissance du réacteur de la centrale a été réduite à 75 % pour faire face à une éventuelle perte du réseau électrique externe. La centrale a ensuite été survolée par des avions de combat, ce qui a conduit l’exploitant à arrêter le réacteur. Des analyses ont été menées pour choisir l’état du réacteur le plus sûr en cas d’attaque aérienne et anticiper les actions de remédiation à mener. La centrale n’a finalement pas été touchée et a pu redémarrer, d’abord à puissance réduite à cause d’attaques sur le réseau électrique, puis à pleine puissance.

Conclusion

La présence d’une centrale nucléaire dans une zone de conflit, a fortiori son invasion par des forces militaires, posent d’importantes questions s’agissant des risques de destruction, volontaire ou accidentelle, de ses installations mais aussi des conditions de maintien de sa sûreté, qu’elle continue ou non à produire de l’électricité.

Les installations nucléaires disposent de divers moyens (matériels et humains) permettant de limiter les conséquences d’accidents susceptibles de se produire au cours de leur exploitation. Les actes de guerre ne sont pas pris en compte dans la définition et la conception de ces moyens, même si les dispositions retenues pour limiter les conséquences de certaines agressions naturelles ou humaines peuvent offrir un certain niveau de protection. Ces dispositions ne sauraient couvrir l’ensemble des situations associées aux actes de guerre et il apparaît peu réaliste de les faire évoluer dans ce sens, au moins pour une partie d’entre elles. Seule la responsabilité des belligérants du conflit peut permettre d’éviter des situations aux conséquences graves.

Au-delà des risques de destruction, les perturbations engendrées par un conflit armé sur les conditions d’exploitation des installations sont très importantes – que l’on se place d’un point de vue technique, social ou organisationnel – et affectent donc directement le système de gouvernance des risques. Ces perturbations sont de nature à mettre en cause le maintien de la sûreté des installations et la capacité des exploitants à gérer les anomalies qui se produisent en fonctionnement normal ainsi que les situations incidentelles ou accidentelles. Au moment de la rédaction de cet article, il s’agit d’un risque majeur sur la centrale de Zaporizhzhya.

Références


1 |National report on Stress Test results” State Nuclear Regulatory Inspectorate of Ukraine, 10 septembre 2020. Sur snriu.gov.ua
2 | « Situation des installations nucléaires en Ukraine », note d’information de l’IRSN, 25 février 2022. Sur irsn.fr
3 | « Point de situation de l’IRSN sur les risques concernant les installations nucléaires ukrainiennes », note d’information de l’IRSN, 7 mars 2022. Sur irsn.fr
4 | « Dispositions prévues en cas de perte totale des alimentations électriques externes de la centrale de Zaporizhzhya en Ukraine », note d’information de l’IRSN, 22 mars 2022. Sur irsn.fr
5 | « Situation de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya en Ukraine après les bombardements des 5 et 6 août 2022 », note d’information de l’IRSN, 08 août 2022. Sur irsn.fr
6 | Stritar A et al., “Some aspects of nuclear power plant safety under war conditions”, Nuclear Technology, 1993, 101 :193-201.

1 « Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels contiennent les règles essentielles du droit international humanitaire, qui fixe des limites à la barbarie de la guerre. Ces traités protègent les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités »(source : Comité international de la Croix Rouge).