Accueil / Les chercheurs peuvent nous faire rire et réfléchir

Les chercheurs peuvent nous faire rire et réfléchir

Publié en ligne le 18 septembre 2025 - Science et médias -

Le monde de la recherche peut être vu comme austère, sérieux et concentré sur des objectifs pour faire avancer la science. Les chercheurs sont des personnes normales qui savent se détendre et n’hésitent pas à imaginer des expériences étonnantes. Des articles à la fois originaux et humoristiques peuvent avoir des retombées inattendues, ou au moins générer des hypothèses ou théories apparemment farfelues, mais pourtant parfois intéressantes.

Ainsi, des articles scientifiques publiés dans des revues très sérieuses concluent que « James Bond souffre d’un grave problème d’alcoolisme chronique [et] devrait envisager de demander l’aide d’un professionnel et de trouver d’autres stratégies pour gérer le stress au travail » [1] ou traitent des problèmes de santé de Tintin et du capitaine Haddock [2]. La remise des prix IgNobel (prononcez ignoble en anglais) réalisée chaque année en est une autre illustration.

Les prix IgNobel 2024

Les prix IgNobel ont été fondés en 1991 par Marc Abrahams, rédacteur en chef et cofondateur de la revue Annals of Improbable Research dont la devise est « la recherche qui fait rire… puis réfléchir les gens ». Nous avons déjà décrit deux précédentes cérémonies de remise des prix (2020 et 2022) [2]. Elles se déroulent dans des établissements prestigieux, l’université Harvard ou le Massachusetts Institute of Technology. Les prix sont des objets dérisoires comme un cendrier, une brosse à dents, un mug pour le café et, surtout, la copie d’un billet de 10 000 milliards de dollars zimbabwéens, billet qui a bien existé.

Le thème général pour l’année 2024 était la « loi de Murphy », adage qui prévoit que tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal. Ou, dit autrement, s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une d’entre elles peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie [3]. Des intermèdes en chanson ont illustré cette théorie lors de la cérémonie, qui peut être visionnée sur le site de l’association organisatrice [4].

Voici une description succincte des dix prix 2024, avec quelques détails pour les trois prix impliquant des chercheurs français [5].

Paix (États-Unis). Prix attribué à titre posthume pour des expériences publiées dans le journal American Psychologist en 1960 et visant à déterminer s’il est possible d’héberger des pigeons vivants à l’intérieur de missiles afin de guider les trajectoires de vol de ces derniers.

Botanique (Allemagne, Brésil, États-Unis). Une simple expérience consistant à placer un modèle de vigne artificielle au-dessus des plantes vivantes a montré que ces dernières tentent d’imiter les feuilles artificielles. Ceci fait supposer que la « vision végétale » est plausible. Cet article étonnant de 2022 est paru dans Plant Signaling and Behavior.

Anatomie (France, Chili). Prix décerné pour un travail visant à déterminer si les cheveux des habitants de l’hémisphère nord tournent dans le même sens (horaire ou antihoraire ?) que ceux des habitants de l’hémisphère sud. Cet article de 2024 est paru dans Journal of Stomatology, Oral and Maxillofacial Surgery, et Marjolaine Willems (département de génétique médicale, CHU de Montpellier) en est la première autrice. L’étude a porté sur 74 jumeaux (37 paires) et 50 enfants de la population générale dans chaque hémisphère (France et Chili). Une différence a été observée : dans l’hémisphère sud, les cheveux avaient plus tendance à tourner dans un sens antihoraire, contrairement au nord. Les auteurs plaident en faveur d’évaluations épidémiologiques à grande échelle des boucles de cheveux dans plusieurs populations des deux hémisphères, afin de confirmer ces résultats qui suggèrent des modulations significatives du développement crânio-facial par des effets géographiques. Parmi les dix auteurs, deux sont chiliens et huit français (Bordeaux, Montpellier, Paris) [6].

Médecine (Suisse, Allemagne, Belgique). Le travail récompensé a conclu que les médicaments contrefaits qui provoquent des effets secondaires douloureux peuvent être plus efficaces que les médicaments contrefaits qui ne provoquent pas d’effets secondaires douloureux. Il s’agit d’un article de 2024 paru dans Brain.

Physique (Etats-Unis). Le prix récompense deux études de 2006 qui ont analysé les capacités de nage d’une truite morte. Une truite morte peut se déplacer dans l’eau grâce à la propulsion passive, en récupérant l’énergie des tourbillons. Une truite morte attachée à un bâton peut battre de la queue au rythme du courant, simulant le mouvement d’un poisson vivant.

Physiologie (Japon, États-Unis). Le travail récompensé montre que plusieurs mammifères peuvent respirer à travers leurs intestins en utilisant leur anus. Des souris, rats et cochons peuvent bénéficier d’une oxygénation supplémentaire en cas de détresse respiratoire. L’oxygène est délivré sous forme gazeuse ou dissout dans les fluides corporels, avec des résultats prometteurs pour une utilisation potentielle chez l’Homme. Est-ce une alternative aux respirateurs en cas de pénurie ? Est-ce une thérapie innovante pour la détresse respiratoire ?

Probabilité (Pays-Bas, Suisse, Belgique, France, Allemagne, Hongrie, République tchèque). Les chercheurs récompensés ont réalisé 350 757 expériences pour montrer qu’une pièce de monnaie a tendance à retomber sur le même côté que celui où elle a été lancée [7]. Les méthodes très rigoureuses sont bien décrites, avec 44 monnaies différentes, des séquences de 100 lancers, et un début avec 15 000 lancers par cinq étudiants préparant leur thèse. L’article est signé de 51 auteurs, dont un Français, Thomas Bastelica (5 000 lancers), basé à Lyon. L’ordre des auteurs dans la signature est par ordre décroissant des lancers de pièces ! Le résultat n’est pas flagrant : 178 079 pièces sont retombées du même côté. Des analyses exploratoires supplémentaires ont révélé que le biais du même côté au sein d’une même personne diminuait à mesure qu’un plus grand nombre de pièces étaient retournées, à partir de 10 000 lancers (environ 10 heures).

Chimie (Pays-Bas, France). Dans le cadre de leurs recherches sur la science des polymères, des auteurs ont utilisé la chromatographie pour séparer des vers de terre ivres de vers sobres [8]. Les vers étaient rendus « ivres » en les plongeant dans une solution d’éthanol et de colorant. Cette méthode a permis de comparer leur activité dans un labyrinthe de piliers hexagonaux. Les vers sobres étaient plus actifs et naviguaient mieux. Les vers ivres, bien que moins actifs, ont été utilisés pour étudier la dynamique des polymères. Cette recherche, bien qu’humoristique, contribue à la compréhension des systèmes complexes. Les quatre chercheurs sont basés en Hollande, et deux d’entre eux sont français, originaires de Bordeaux et détachés du CNRS. Un communiqué sur ce prix signale que l’article avait été téléchargé 200 fois avant le prix et 10 000 fois après la cérémonie [9].

Démographie (Australie, Royaume-Uni). Un article de 2024, qui a valu la récompense à leurs auteurs, nous apprend que de nombreuses affirmations concernant l’existence de supercentenaires et d’autres records d’âge extrême proviennent de régions où il n’y a pas d’actes de naissance et où les erreurs d’écriture et les fraudes à la retraite sont fréquentes.

Biologie (États-Unis). La découverte primée montre qu’en plaçant un chat sur le dos des vaches et en faisant exploser des sacs en papier toutes les dix secondes pendant deux minutes, celles-ci produisent moins de lait.

L’édition de fin d’année du British Medical Journal

Le numéro de Noël du British Medical Journal (BMJ) est toujours attendu, mélangeant articles farfelus, hypothèses surprenantes et réflexions originales, ainsi que des appels pour des actions caritatives. Le dernier numéro de chaque année laisse parfois des souvenirs qui questionnent. C’est ainsi le cas d’un article de 2013 sur le lien entre le nombre de naissances et des événements sportifs s’étant déroulés neuf mois auparavant [10]. Une augmentation de 16 % des naissances a été observée en février 2010 en Catalogne (par rapport à la moyenne des naissances de février 2007, 2008, 2009 et 2011). Cette augmentation a donc été observée neuf mois après un but de Andrés Iniesta (6 mai 2009) à la dernière minute du match qui a qualifié le FC Barcelone pour la finale de la coupe de l’UEFA (les médias avaient même rapporté 45 % d’augmentation des naissances dans cinq hôpitaux de Catalogne). Les exploits des champions français lors des jeux olympiques de juillet 2024 à Paris vont-ils se voir dans le taux de natalité de mars 2025 ?

Les Mitaines, Ralph Hedley (1848-1913)

Le numéro de décembre 2024 du BMJ contient 29 articles, dont un sur le nouvel ordre du monde de la santé (selon Trump), et un autre avec des conseils pour transporter un ours polaire en hélicoptère en situation d’urgence ! Un essai randomisé montre que les moufles chauffantes comparées aux moufles de contrôle n’ont pas apporté de bénéfices supplémentaires sur l’évaluation globale des problèmes liés à l’arthrose de la main et sur la force de préhension. Un petit bénéfice a été détecté pour la douleur de la main, mais il pourrait avoir été surestimé.



Trois autres articles méritent d’être mentionnés.

Conduire un taxi protégerait de la maladie d’Alzheimer

En 2006, la revue Hippocampus a publié un article montrant des modifications de l’hippocampe (visibles grâce à des imageries cérébrales) chez les chauffeurs de taxis londoniens. Cette région du cerveau est impliquée à la fois dans la création de cartes cognitives spatiales et dans le développement de la maladie d’Alzheimer (atrophie de l’hippocampe). Cette constatation suggère l’hypothèse que les professions qui exigent un traitement spatial fréquent, comme la conduite d’un taxi, pourraient être associées à une diminution de la mortalité due à la maladie d’Alzheimer. Remarquons qu’en 2003, cette hypothèse avait déjà reçu un prix IgNobel.

En 2024, des chercheurs américains ont analysé près de neuf millions de certificats de décès et compilé les causes de décès pour 443 professions [11]. Ils ont comparé les chauffeurs d’ambulances (0,7 % de décès par Alzheimer) et de taxis (1,0 %) avec des professions voisines comme conducteurs de bus (3,1 %), pilotes d’avion (4,6 %), capitaine de bateaux (2,8 %) et d’autres comme directeurs de sociétés (4,1 %). Il y a beaucoup de données et des différences significatives. Mais aucune relation causale n’a été identifiée, donc prudence ! Peut-on comparer des chauffeurs de taxis londoniens et américains ? Est-ce que les GPS font disparaître cet effet ?

Les risques de santé des princesses de Disney

Des chercheurs hollandais ont considéré sept princesses : Blanche-Neige, Jasmine (Aladdin), Cendrillon, Pocahontas, Aurore (La Belle au bois dormant), Raiponce et Belle [12]. S’il existe une littérature scientifique sur les impacts des princesses de Disney sur les enfants, que ce soient les idéaux peu réalistes qu’elles peuvent inspirer ou les risques divers liés à des addictions ou autres comportements, peu d’attention a été accordée aux risques de santé de ces princesses. Les analyses de leurs supposés problèmes de santé ont été faites avec des références aux pathologies supposées (35 citations dans l’article).

La Belle au bois dormant, Edward Burne-Jones (1833-1898)
À l’instar d’autres peintres du mouvement anglais des « préraphaélites », Burne-Jones propose un mélange novateur entre des thèmes de contes anciens, à connotation médiévale, et une esthétique inspirée de l’art italien classique. Il traite notamment du thème de la princesse endormie à travers plusieurs séries de toiles où tout n’est que silence et sommeil : il faudra attendre Walt Disney, presque un siècle plus tard, pour voir la Belle se réveiller.

Ainsi, Blanche-Neige, la plus belle des princesses (selon le miroir sur le mur) envoûte le public grâce à son charme intemporel. En tant que servante de sa méchante belle-mère, elle illustre un mode de vie avec des possibilités d’interactions sociales limitées. Des revues de la littérature ont montré un lien positif entre le manque d’interaction sociale et les maladies cardiovasculaires, la dépression, l’anxiété et la mortalité toutes causes confondues. Heureusement, dans ce conte, Blanche-Neige rencontre les sept nains qui la protègent des dangers de la solitude. Cependant, la princesse mange une pomme empoisonnée, ce qui la plonge dans un état de « mort endormie ». Pour Blanche Neige, le proverbe anglais « une pomme par jour éloigne le médecin » n’est pas vérifié.

Cendrillon a eu une enfance heureuse jusqu’à ce que son père décède et la laisse avec une bellemère au cœur froid et deux demi-sœurs gâtées. Elle est alors obligée de s’occuper de la maison. L’exposition continue à la poussière induit le risque de développer une maladie pulmonaire liée au travail. Les chercheurs recommandent des mesures préventives pour réduire l’exposition à la poussière, telles que l’utilisation de longs manches à balai, l’aspersion d’eau sur les sols poussiéreux et le port d’équipements de protection individuelle. Bien entendu, aucune de ces mesures n’a été adoptée dans le cas de Cendrillon. Alors que les choses ne pouvaient pas être pires – Bibbidi-bobbidi-boo 1 –, la fée marraine de Cendrillon répand des quantités massives de paillettes magiques – également connues sous le nom de microplastiques enrobés d’aluminium. La capacité de ces microplastiques à pénétrer dans les tissus pulmonaires humains contribue au développement des maladies pulmonaires liées au travail. Plutôt qu’un prince, Cendrillon aurait eu bien besoin d’une thérapie respiratoire continue pour vivre heureuse.

Un auteur décédé ne devrait plus soumettre d’articles à des revues scientifiques

Hors de la science, il y a des exemples comme le légataire littéraire de F. Kafka qui a publié trois livres après la mort de ce dernier, et contre son avis (F. Kafka avait demandé de les brûler). Il existe d’autres cas [13]. En science, peu de recommandations existent pour gérer les situations de chercheurs décédés ayant des articles soumis à des revues ou en cours de publication. Les pratiques sont diverses.

Femmes se coiffant, Edgar Degas (1834-1917)

Le nombre d’articles ayant des personnes décédées au moment de la publication parmi les auteurs n’est pas connu... L’hypothèse d’au moins 10 000 articles existant dans la littérature biomédicale est avancée. Dans le cas du statisticien anglais (D. Altman) décédé en juin 2018, plus de 100 articles ont été publiés après sa mort, et certains ne mentionnent pas le décès. Il existe des observations similaires pour d’autres chercheurs, comme un mathématicien décédé en 2015 et laissant beaucoup de travaux non terminés et cependant cosignataire de 73 articles à titre posthume, ou un prix Nobel décédé en 1919 qui a été co-auteur d’un article publié en 2001. Les auteurs ont énuméré treize situations avec des propositions pour les gérer : bagarres des auteurs vivants pour trouver une solution, que faire pour corriger les épreuves d’articles ayant un seul auteur posthume sans retour des ayants droit, etc. En colligeant quelques idées, ils proposent de ne pas inclure des chercheurs décédés parmi les auteurs, de respecter les critères d’auteurs, d’utiliser l’obèle (croix ou dague) après les noms du mort, de mettre une note de bas de page ou parmi les contributeurs, d’avoir le consentement de la famille.

Références


1 | Wilson N et al., "Licence to swill : James Bond’s drinking over six decades", Med J, 2018, 209:495-500
2 | Maisonneuve H, "De l’humour dans la recherche scientifique", SPS n° 339, juillet 2022
3 | "Loi de Murphy", page Wikipédia.
4 | Improbable Research, "The 34th first annual ig Nobel ceremony", 2024.
5 | Improbable Research, "The 2024 Ig Nobel prize winners".
6 | Willems M et al., "Genetic determinism and hemispheric influence in hair whorl formation", Journal of Stomatology, Oral and Maxillofacial Surgery, 2024, 125:101664
7 | Bartos F et al., "Fair coins tend to land on the same side they started : evidence from 350,757 flips", preprint, 2024
8 | Heeremans F et al., "Chromatographic separation of active polymer-like worm mixtures by contour length and activity", Science Advances, 2022, 8:eabj7918
9 | CNRS, "Ig-Nobel : la science au sérieux", communiqué de presse, 16 décembre 2024
10 | Montesinos J et al., "Barcelona baby boom : does sporting success affect birth rate ?", British Medical Journal, 2013, 347:f7387
11 | Patel VR et al., "Alzheimer’s disease mortality among taxi and ambulance drivers : population based cross sectional study", British Medical Journal, 2024, 387:e082194
12 | Van Dijk SHD et al., "Living happily ever after ? The hidden health risks of Disney princesses", British Medical Journal, 2024, 387:q2497
13 | Nunan D et al., "Ethics of posthumous scholarly authorship in the sciences", British Medical Journal, 2024, 387:e080830

1 La chanson composée pour le long-métrage de Walt Disney.

Publié dans le n° 352 de la revue


Partager cet article


L'auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (…)

Plus d'informations