Vive les microbes, le film documentaire et le livre de Marie-Monique Robin
Publié en ligne le 9 septembre 2025Un nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, Vive les microbes (2024), a été diffusé récemment sur Arte [1], recevant un accueil très positif dans les médias. Comme pour chacune de ses enquêtes, la réalisatrice accompagne ce documentaire d’un livre [2]. L’objectif de cette enquête est de montrer l’importance des microbes, leur diversité, et le rôle que la réduction de l’exposition à ces microbes pourrait jouer dans l’augmentation des allergies et maladies inflammatoires. Le reportage aborde un sujet méconnu du grand public et qui fait l’objet d’un développement important dans la recherche scientifique. Une qualité indéniable du documentaire est de rendre accessible et télégénique le travail des chercheurs. Le livre privilégie le plaisir de la lecture. Les affirmations y sont généralement référencées mais les conclusions qui en sont tirées ne sont pas toujours pertinentes et l’explication de la démarche scientifique manque de rigueur.
La présentation du documentaire donne le ton [1]. Il est affirmé que « depuis 50 ans, le taux d’incidence de l’asthme et des allergies a explosé dans les pays industrialisés », constituant ainsi « une énigme pour les responsables de la santé publique ». Les microbes seraient la clé de l’énigme : « L’absence d’exposition précoce à une grande diversité microbienne (bactéries, virus et parasites, comme les vers intestinaux) – en raison de la bétonisation, l’aseptisation des aliments et l’hyperhygiénisme – appauvrit le microbiote intestinal des enfants, ce qui contribue à l’affaiblissement de leur système immunitaire et fait le lit des pathologies inflammatoires, y compris l’obésité, le diabète, la maladie de Crohn et même des troubles psychiatriques comme la dépression. » Le documentaire et le livre se concentrent essentiellement sur des éléments soutenant les hypothèses présentées, sans les remettre en perspective dans le contexte plus large des maladies multifactorielles, ni évoquer les objections ou limites des travaux mentionnés ou évoquer d’autres hypothèses complémentaires.
Des informations plus ou moins étayées
La première partie du documentaire explore le risque réduit d’asthme et d’allergies chez les enfants ayant grandi dans un environnement agricole dès leur petite enfance. Elle présente notamment les études des régions de Carélie [3] et l’étude Pasture [4]. Ici, le message est globalement conforme au consensus scientifique. On peut toutefois regretter que ces études ne soient pas mises en perspective avec d’autres travaux concordants [5, 6]. En épidémiologie, il est rare qu’une ou deux études suffisent à établir une affirmation solide ; il est indispensable d’accumuler des preuves convergentes.
Les sujets suivants sont abordés avec la même conviction alors qu’ils présentent des hypothèses beaucoup plus discutables.
Microbiote intestinal et obésité
Dans le documentaire (1 :06 :20), la voix off présente Erick Carson comme ayant « montré que l’obésité était liée à une dysbiose, c’est-à-dire un appauvrissement du microbiote intestinal ». Cette phrase, très simplificatrice, ne reflète pas l’état actuel de la recherche. Si le microbiote constitue une piste prometteuse pour la prévention et la prise en charge de l’obésité, il s’agit d’un facteur parmi d’autres dans un processus complexe intégrant également des déterminants génétiques, alimentaires et comportementaux [7, 8].
Bien que le livre donne une vision un peu plus nuancée que le documentaire, il omet des facteurs culturels et surtout sociaux, qui sont pourtant essentiels à considérer dans ce contexte.
La mortalité en Afrique pendant la crise de Covid-19
Une autre partie du reportage évoque l’effet protecteur présumé de la biodiversité microbienne en Afrique sur la mortalité due à la Covid-19, constatant un nombre de morts déclarés pour cette infection plus faible en Afrique par rapport aux pays européens ou nord-américains. Une population très jeune, comme le rappelle le reportage, est un des facteurs explicatifs. Mais il ne suffit pas à expliquer la différence avec les pays européens. Les États africains aux populations jeunes et moins vulnérables à la Covid-19 n’ont pas développé les mêmes politiques de dépistage et de remontée d’information que les pays européens. Une proportion importante des décès par Covid-19 n’a pas été comptabilisée. Les données d’espérance de vie indiquent une baisse de l’espérance de vie en Afrique en 2020 et 2021, suivie d’une remontée similaire à celle observée sur d’autres continents [9]. Cela suggère que les personnes les plus âgées ont été impactées par le virus de façon au moins aussi importante en Afrique qu’ailleurs.
L’analyse de la mortalité totale montre que l’Afrique du Sud – seul pays d’Afrique subsaharienne où les données de surmortalité hebdomadaire sont disponibles – a connu des pics bien plus élevés qu’en Europe [10]. Précisons que la surmortalité est l’excédent de mortalité observée au moment de l’épidémie par rapport à la mortalité habituelle à la même période les années précédentes. L’avantage de cet indicateur est qu’il ne dépend pas du dépistage de la maladie et du système d’information sur les causes de décès.
Le faible nombre de morts par Covid-19 en Afrique semble pouvoir s’expliquer simplement par des raisons démographiques et un biais dans le recensement des cas [11]. Le reportage et le livre rejettent au contraire péremptoirement le biais statistique, lui préférant une explication biologique beaucoup plus spéculative, celle d’une exposition à une plus grande biodiversité.
Parasites et système immunitaire
Le reportage évoque aussi les parasites et leur potentiel bénéfice sur le système immunitaire, mais il ne met jamais en balance les bénéfices hypothétiques avec les risques avérés de ces parasites.
Un passage du livre illustre bien l’écueil dans lequel tombe souvent M.-M. Robin d’une survalorisation d’éléments de preuve très fragiles. Par exemple, on peut lire dans son livre, à propos d’une étude qu’elle invoque à l’appui de sa thèse : « Cette étude montre qu’à la date du 4 mai 2020, l’Afrique totalisait 0,45 % des décès dus à la Covid enregistrés mondialement et l’Europe 59 %. Pour les infections à schistosomes, le taux était respectivement de 89 % et de... zéro, tandis que, pour les helminthiases, il était de 25 % et 0,55 %. Conclusion des chercheurs : les pays où les helminthiases sont endémiques présentent un taux de mortalité très faible de la Covid en raison probablement de la modulation immunitaire induite par les parasites » [12]. Déduire une quelconque causalité de cette corrélation est évidemment très imprudent. Il est à noter que les auteurs de l’étude citée par M.-M. Robin soulignent eux-mêmes les limites de leur travail et, en particulier, la non-prise en compte de l’âge des populations. De plus, ce travail a été mis en ligne dans medRxiv, un site qui accueille des prépublications non évaluées par les pairs. Quatre ans après, il n’a toujours pas été publié.
Une revue de la littérature publiée en 2021 [13] conclut au contraire : « Les recherches indiquent que la co-infection par les helminthes peut avoir un effet synergique ou antagoniste sur l’évolution de la Covid-19 », même si, compte tenu de « l’état actuel des connaissances et [du] petit nombre de co-infections décrites, il est difficile de définir clairement l’influence de l’infection parasitaire sur la Covid-19 ».
Sylvothérapie et renforcement du système immunitaire
La sylvothérapie s’intéresse aux effets bénéfiques de la proximité d’arbres et de forêts sur le bien-être et la santé. Le reportage la présente comme une « nouvelle science ». Il mentionne à l’appui de son efficacité une augmentation du taux sanguin de lymphocytes NK associée aux « bains de forêt » dans certaines études expérimentales. Cette augmentation est présentée dans le documentaire comme un marqueur du renforcement du système immunitaire.
Les lymphocytes NK sont des cellules du système immunitaire qui sont capables de reconnaître des virus ou des bactéries pathogènes et de les éliminer (d’où leur nom « NK » pour « natural killer »). Le fait que l’augmentation du taux sanguin de lymphocytes NK soit toujours un marqueur d’effet positif sur la santé est discutable. Par exemple, des substances comme les PFAS (substances organiques fluorées utilisées dans de nombreux process industriels) sont également associées à une augmentation du taux sanguin de lymphocytes NK, qui est dans ce cas considérée comme un marqueur d’effet délétère des PFAS [14, 15].
Cela dit, la végétalisation urbaine est effectivement liée à des bénéfices documentés sur la santé mentale et la mortalité [16, 17] et constitue un réel enjeu de santé publique. Il faut néanmoins être prudent avec l’utilisation du terme « sylvothérapie » qui est souvent associé à des pratiques pseudo-scientifiques sans lien direct avec les travaux présentés dans le documentaire.
Appels à la nature
Un biais récurrent dans le travail de M.-M. Robin est l’a priori répandu selon lequel tout ce qui est naturel est bénéfique et ce qui est synthétique est nocif, conduisant à un traitement asymétrique des risques.

Par exemple, elle évoque dans son livre (page 192) des effets possibles du glyphosate sur les maladies neuropsychiatriques en citant une analyse de la littérature scientifique basée sur des études animales à des doses très supérieures à celles observées chez l’humain [18].
En revanche, elle vante (page 219) les mérites des produits fermentés, tels que le saucisson et le vin, bien qu’ils soient tous deux des cancérogènes avérés aux quantités habituellement consommées et que le Programme national nutrition santé recommande d’en limiter la consommation [19].
Recommandations finales
Enfin, le livre formule un certain nombre de recommandations. Certaines, comme celle affirmant que « [les enfants] n’ont pas besoin de se laver les mains après avoir tripoté la terre » (page 238), posent question. La qualité du sol, qui peut contenir des polluants comme des métaux toxiques [20], et l’importance du lavage des mains pour prévenir des épidémies comme la gastro-entérite ne doivent pas être négligées [21]. Le bénéfice du lavage des mains pour la prévention des infections chez l’enfant a aussi été retrouvé dans un essai randomisé [22].
Conclusion
En conclusion, le travail de M.-M. Robin aurait dû bénéficier d’une approche critique soulignant les niveaux de certitude et d’incertitude des points abordés. À défaut, il est difficile pour les lecteurs ou les spectateurs de discerner la pertinence des informations. Le dossier de presse mentionne vingt-deux chercheurs consultés, mais aucun expert en épidémiologie ou santé publique. Pour une thématique de santé publique, consulter un expert du domaine aurait probablement aidé à mettre en perspective, à nuancer les propos et à être pertinent dans les éventuels messages de prévention délivrés.
1 | Robin MM, Vive les microbes, documentaire Arte, 2024.
2 | Robin MM, Vive les microbes ! Comment les microbiomes protègent la santé planétaire, coédition La Découverte et Arte Éditions, 2024.
3 | Von Mutius E, Schmid S, "The PASTURE project : EU support for the improvement of knowledge about risk factors and preventive factors for atopy in Europe", Allergy, 2006, 61:407-13.
4 | Haahtela T et al., "Hunt for the origin of allergy : comparing the Finnish and Russian Karelia", Clinical & Experimental Allergy, 2015, 45:891-901
5 | Indolfi C et al., "The primary prevention of atopy : does early exposure to cats and dogs prevent the development of allergy and asthma in children ? A comprehensive analysis of the literature", Life, 2013, 13:1859
6 | Kantomaa MT et al., "Influence of farm environment on asthma during the life course : a population-based birth cohort study in Northern Finland", International Journal of Environmental Research and Public Health, 2023, 20:2128
7 | Clément K, "Le microbiote intestinal : un nouvel acteur de la nutrition ?", Cahiers de Nutrition et de Diététique, 2015, 50:6S22-9
8 | Clément K, Aron-Wisnewsky J, " Microbiote et obésité" in Microbiote intestinal et santé humaine, Elsevier, 2021, chapitre 14.
9 | Dattani S et al., "Life expectancy", Our World in Data, 2021
10 | Bradshaw D et al., "Underestimated COVID-19 mortality in WHO African region", The Lancet Global Health, 2022, 10:e1559
11 | McKay T et al., "The missing millions : uncovering the burden of covid-19 cases and deaths in the african region", Population and Development Review, 2024, 50:7-58
12 | Ssebambulidde K et al., "Parasites and their protection against COVID-19 : ecology or immunology ?", Preprint, 2020
13 | Gluchowska K et al., "The new status of parasitic diseases in the COVID-19 pandemic : risk factors or protective agents ?", Journal of Clinical Medicine, 2021, 10:2533
14 | Lopez-Espinosa MJ et al., "Perfluoroalkyl substances and immune cell counts in adults from the Mid-Ohio Valley (USA)", Environment International, 2021, 156:106599
15 | Narni-Mancinelli E et al., "Les cellules natural killer : adaptation et mémoire dans le système immunitaire inné", Med Sci, 2013, 29:389-95
16 | Bonaccorsi G et al., "Impact of built environment and neighborhood on promoting mental health, well-being, and social participation in older people : an umbrella review", Annali di Igieni, 2013, 35:213-39
17 | Gascon M et al., "Residential green spaces and mortality : a systematic review", Environment International, 2016, 86:60-7
18 | Barnett JA et al., "Is the use of glyphosate in modern agriculture resulting in increased neuropsychiatric conditions through modulation of the gut-brain-microbiome axis ?", Frontiers Nutrition, 2022, 9:827384
19 | Ministère des solidarités et de la santé, "Programme national nutrition santé 2019-2023".
20 | Glorennec P et al., "French children’s exposure to metals via ingestion of indoor dust, outdoor playground dust and soil : contamination data", Environment International, 2012, 45:129-34
21 | Ejemot RI et al., "Cochrane review : hand washing for preventing diarrhoea", Evidence‐Based Child Health, 2009, 4:893-939
22 | Luby SP et al., "Effect of handwashing on child health : a randomised controlled trial", The Lancet, 2005, 366:225-33
Publié dans le n° 352 de la revue
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