Accueil / Les différences entre les aliments cellulaires et les produits animaux issus de l’élevage

Les différences entre les aliments cellulaires et les produits animaux issus de l’élevage

Publié en ligne le 25 avril 2025 - Alimentation -

Accroître le niveau de production des ressources alimentaires pour satisfaire les besoins de la population humaine croissante, tout en protégeant notre environnement et les animaux, sont les objectifs majeurs de notre système agro-alimentaire d’aujourd’hui. Dans ce contexte, l’élevage, surtout intensif, fait face à de nombreuses critiques, en lien notamment avec le respect de l’environnement, de la santé et du bien-être à la fois de l’animal et du consommateur de produits animaux.

Pour répondre à ces enjeux, différentes solutions sont envisagées, notamment la production d’aliments cellulaires. Permettant la production des produits carnés à partir de cellules animales plutôt que d’animaux, cette innovation propose diverses techniques, dont la culture de cellules musculaires pour produire de la « viande ». La question est donc de savoir si cette technologie s’inscrit dans une alimentation saine et durable, cette dernière étant définie, selon la FAO, comme « saine, ayant de faibles impacts sur l’environnement, acceptable sur le plan socioculturel et accessible à tous sur le plan économique » [1].

Qu’est-ce que la « viande de culture » ?

La production de « viande de culture » a été décrite en détails dans différents articles scientifiques (voir par exemple [2]). Elle repose sur une importante multiplication de cellules musculaires dans des bioréacteurs qui contiennent un milieu de culture riche en nutriments, et en hormones et facteurs de croissance nécessaires à la prolifération puis à la différentiation des cellules. L’objectif est d’obtenir une quantité importante de « viande » à partir d’un nombre limité de cellules grâce à leur multiplication élevée dans un milieu favorable et contrôlé. Les cellules ainsi cultivées peuvent provenir soit de biopsies régulières pratiquées sur des animaux d’élevage (poulet, bovin, porc ou autre), soit de lignées cellulaires, c’est-à-dire de cellules possédant la capacité de se reproduire indéfiniment suite à une transformation génétique.

Toutefois, le résultat obtenu ressemble davantage à un muscle imparfait car il manque a minima les nerfs et les vaisseaux sanguins, voire le collagène (protéine structurale à l’origine de la matrice extracellulaire qui confère une résistance mécanique aux tssus animaux), mais aussi plusieurs micronutriments comme le fer. Il ressemble encore moins à de la viande car il manque l’étape de maturation qui conduit à la transformation du muscle en viande (phénomène qui s’accompagne de coupures des protéines, et donc d’attendrissement naturel de la viande).

Ferme en Provence, Vincent van Gogh (1853-1890)

Depuis 2015, de nombreuses entreprises ont été créées et la recherche est essentiellement entre les mains de ces entreprises privées. Alors que plus de 25 000 articles de presse parlent de « viande de culture », seulement de l’ordre d’un millier d’articles scientifiques ont été recensés jusqu’à début 2024, ce qui est très peu. C’est donc une activité qui manque de transparence sur le plan scientifique. Actuellement, seuls Singapour, et plus récemment les États-Unis et Israël, ont approuvé la commercialisation de la « viande de culture » destinée à la consommation humaine et pour trois entreprises seulement (Good Meat, Upside Foods, Aleph Farms) [3].

La « viande de culture » est-elle bonne pour l’environnement ?

La production de « viande de culture » est présentée par ses promoteurs comme moins impactante sur l’environnement et le climat et plus durable que celle de la viande, dans la mesure où elle émettrait moins de gaz à effet de serre, consommerait moins d’eau et, surtout, utiliserait moins de terres. Qu’en est-il réellement ? Nous rapportons ici les conclusions d’un article de synthèse que nous avons publié en 2024 [4].

D’une façon générale, les rares études réalisées sur ce sujet sont assez contradictoires et peu fiables (le produit étant peu commercialisé, son impact carbone est difficile à évaluer à l’heure actuelle, sauf par modélisation). Toutefois, il est généralement admis que la production de « viande de culture » consommerait plus d’énergie que la production conventionnelle de viande de volailles ou de porcs. Cela est dû principalement à la fabrication des milieux de culture et au chauffage des bioréacteurs. Par rapport aux ruminants, la culture de cellules musculaires va générer davantage de dioxyde de carbone (CO2), certes avec un pouvoir réchauffant inférieur, mais largement plus persistant dans l’atmosphère à long terme que le méthane (CH4) produit par les herbivores [5].

D’une façon générale, différentes études suggèrent donc un bilan carbone plutôt élevé pour la « viande de culture » [6], au moins par rapport à celle de poulet [7] en raison à la fois de l’immaturité de la technologie et de fortes émissions indirectes (dues notamment à la préparation en amont du matériel, des équipements et du milieu de culture ou encore au chauffage à température physiologique des bioréacteurs) [8].

Il est reproché à l’élevage d’occuper beaucoup de terres (au moins 70 % des terres agricoles), mais la valorisation des terres non arables en pâturage ne peut se faire que grâce aux animaux d’élevage herbivores qui convertissent l’herbe et les fourrages en produits laitiers et carnés, utilisables par l’Homme. La concurrence entre alimentation humaine et animale est donc faible par rapport aux terres agricoles totales [9].

Par ailleurs, il est fréquent de lire que 15 000 litres d’eau douce seraient nécessaires pour produire un kilogramme de viande bovine. Ce chiffre ne doit pas être utilisé pour établir une comparaison avec la consommation d’eau pour la production de « viande de culture », car 95 % de ces 15 000 litres correspondent à de l’eau évapotranspirée (évaporée à partir des sols et de la transpiration des végétaux, et donc restituée à l’atmosphère dans le cycle de l’eau) par les surfaces destinées à l’élevage, telles que les prairies et les pâtures. L’eau serait de toute façon évapotranspirée, avec ou sans élevage. Ainsi, en ne prenant en compte que l’eau effectivement nécessaire pour la production de viande bovine, il faudrait entre 550 et 700 litres par kg [10].

Le milieu de culture des cellules doit contenir des sources énergétiques (glucides, lipides) permettant aux cellules de vivre, des acides aminés nécessaires à la synthèse de protéines, et plus généralement des facteurs de croissance et des hormones dans des concentrations bien précises pour permettre aux cellules de se multiplier, puis de se différencier en cellules musculaires. Dans ce contexte, se pose la question de la qualité de l’eau, car le rejet dans la nature de molécules organiques issues des milieux de culture à la sortie des bioréacteurs n’est pas à exclure, bien que cela puisse être contrôlé. Les coûts de gestion des nutriments résiduels dans le milieu de culture, liés au traitement des eaux usées et à l’épandage sur les terres, sont estimés comme étant plus élevés que pour la production de viande « conventionnelle » [11].

Les principaux obstacles au développement de la filière « viande de culture »

La comparaison de la « viande de culture » avec l’élevage est généralement incomplète, car l’élevage ne se limite pas à la seule fonction d’approvisionnement des aliments [12]. Par sa présence sur le territoire, il participe ainsi au maintien d’une population rurale dans les campagnes, et donc notamment au maintien d’emplois direct ou indirect dans les régions (élevage, entretien des paysages, mais aussi agrotourisme). De plus, si l’élevage décroît, il sera nécessaire d’accroître la production des intrants industriels (engrais de synthèse) pour fertiliser les sols en remplacement des déjections animales (utilisées comme engrais naturels), ce qui serait associé à des risques accrus de pollution pour la production des engrais. Plus généralement, on parle d’« externalités positives » de l’élevage dans le domaine économique (emplois, vitalité rurale…), social (tourisme, identité des terroirs...), culturels (patrimoine gastronomique, loisirs…) et environnementaux (maintien de la biodiversité, valorisation des coproduits, limitation de l’érosion, maintien des prairies…) [13], qui seraient mises à mal en cas de remplacement même partiel par la filière « viande de culture ».

Comme il est indiqué dans des articles récents [2, 3, 4, 14], il existe un flagrant manque de connaissances concernant les qualités sanitaires, nutritionnelles et sensorielles de ce nouveau produit alimentaire, ce qui n’est pas fait pour rassurer les consommateurs.

Une récente expertise de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a conclu, sur la base d’une revue de la littérature scientifique, que « la plupart des dangers potentiels pour la sécurité sanitaire, tels que la contamination microbiologique et les problèmes de résidus et d’allergènes, ne sont pas nouveaux, de sorte que des outils d’atténuation des risques sont disponibles » [15]. Néanmoins, certains auteurs ont souligné le fait que « le manque de recherche approfondie liée à la caractérisation des dangers et des risques de la “viande de culture” est considéré comme le plus grand obstacle à la commercialisation du produit » [16].

Malgré ces réserves, certaines agences sanitaires ont autorisé la vente de « viande de culture » à Singapour, aux États-Unis et à Israël pour des processus particuliers proposés par des entreprises spécifiques. En France, il est recommandé de mieux encadrer la technologie [17].

Par ailleurs, sur le plan nutritionnel, il est supposé que ce produit aurait nettement moins de fer que la viande [18], ce qui présenterait une faiblesse majeure par rapport à la viande rouge connue pour apporter des quantités importantes de fer mieux assimilable que celui des aliments végétaux.

Au-delà de ces aspects objectivables, plusieurs acteurs du monde agricole craignent non seulement des impacts environnementaux négatifs (par exemple le rejet de déchets dans l’environnement) mais aussi la disparition de l’élevage. En effet, le développement de la « viande de culture », s’il se faisait à des coûts compétitifs, serait de nature à entraîner une compétition économique accrue entre les élevages traditionnels. On avance que les élevages traditionnels les plus vertueux (comme par exemple l’élevage des ruminants dans les pâturages) seraient les premières victimes de cette compétition car plus fragiles économiquement. Au contraire, l’élevage intensif, fortement décrié, serait plus résistant car il a été optimisé pour une meilleure rentabilité économique [19].

La croissance d’entreprises high-tech multinationales produisant de la « viande de culture » à un prix abordable et compétitif fragiliserait la rentabilité économique des petits éleveurs qui assurent la souveraineté alimentaire dans les pays en voie de développement. C’est une question de choix de société entre une multiplicité de petits producteurs ou la concentration de la production agricole entre quelques mains, susceptible d’induire un pouvoir de négociation déséquilibré, ainsi qu’une accentuation des inégalités entre milieux urbains et ruraux et entre pays développés et pays pauvres.

La « viande de culture » est parfois présentée comme une étape sur le chemin menant à la fin de l’exploitation animale (en raison de la disparition de l’élevage) [20].

Pour certains, ce serait en même temps une disparition de tout un aspect de la gastronomie et de la tradition culinaire française. Plus généralement, la « viande de culture » pourrait conduire à une standardisation du produit viande (à l’image de la restauration rapide) et à une perte de la diversité culturelle associée à l’alimentation, mettant ainsi en péril la satisfaction de l’être humain selon la plupart des gastronomes [20].

Le Déjeuner au champ, Rudolf Koller (1828-1905)

Tous les éléments décrits ci-dessus sont associés à une compétition frontale entre la viande et la « viande de culture » accentuée par l’utilisation volontaire d’un vocabulaire en grande partie commun (emploi du mot « viande » ou « agriculture cellulaire » par exemple). De ce fait, les consommateurs s’attendent à retrouver une copie quasi identique de la viande, sans passer par l’élevage. Les professionnels de la filière viande traditionnelle réagissent en utilisant des outils juridiques pour éviter l’utilisation d’un vocabulaire qui serait trompeur pour le consommateur.

Que conclure ?

Compte tenu des incertitudes décrites ci-dessus, la « viande de culture » pourrait d’abord être un marché de niche plutôt haut de gamme car encore chère, avec des bénéfices potentiels concernant la protection des animaux et de la planète [21]. Les acheteurs seraient principalement des consommateurs plutôt aisés, très sensibles à ces questions. Ultérieurement, moyennant des investissements plus massifs et un soutien des gouvernements et des consommateurs, la « viande de culture » pourrait se développer sur le marché de masse.

D’une façon générale, la filière « viande de culture » est plutôt encouragée dans les pays avec une culture « high-tech » (ou de culture anglo-saxonne), soucieux des questions environnementales et de protection animale (comme par exemple certains pays du nord de l’Europe), ou encore avec des problèmes de souveraineté alimentaire en raison de la grande taille de leur population (Chine) ou de leur surface agricole modeste ou réduite (Singapour). À l’inverse, la « viande de culture » n’est pas encouragée dans des pays à forte culture gastronomique, avec une agriculture (et surtout un élevage) développés et avec un très fort ancrage dans la ruralité (cas de la France ou de l’Italie par exemple). Dans chaque pays, les citoyens connaissant le mieux l’élevage ou en lien avec le monde rural, sont également les plus réticents.

Cependant, à ce jour, la démonstration que la « viande de culture » serait durable, donc saine pour le consommateur, meilleure pour l’environnement, socio-culturellement acceptable et accessible à tous sur le plan économique, n’a pas été faite.

Mise à jour du 4 juin 2025 – Ajout d’une correction sur une phrase portant sur la concurrence de l’usage des terres pour l’alimentation du bétail.

Références


1 | Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, “Sustainable healthy diets : guiding principles”, Rapport, 2019. Sur who.int
2 | Hocquette JF et al., « La “viande de culture” : ce que nous savons et ce qu’il faudrait savoir. Volet A : principes et qualités intrinsèques », Cahiers de Nutrition et de Diététique, 2023, 58 :389-98.
3 | Hocquette JF et al., “Review : will ‘cultured meat’ transform our food system towards more sustainability ?”, Animal, 2024, 101145.
4 | Chriki S et al., « La “viande de culture” : ce que nous savons et ce qu’il faudrait savoir. Volet B : qualités extrinsèques de la “viande de culture” », Cahiers de Nutrition et de Diététique, 2023, 59 :47-56.
5 | Lynch J, Pierrehumbert R, “Climate impacts of cultured meat and beef cattle”, Front. Sust. Food Syst., 2019, 3 :1-11.
6 | Risner D et al., “Environmental impacts of cultured meat : a cradle-to-gate life cycle assessment”, bioRxiv, 2013 (preprint non validé par les pairs).
7 | Smetana S et al., “Meat alternatives : life cycle assessment of most known meat substitutes”, The International Journal of Life Cycle Assessment, 2015, 20 :1254-67.
8 | Rodríguez Escobar MI et al., “Analysis of the cultured meat production system in function of its environmental footprint : current status, gaps and recommendations”, Foods, 2021, 10 :2941.
9 | Mottet A et al., “Livestock : on our plates or eating at our table ? A new analysis of the feed/food debate”, Global Food Security, 2017, 14 :1-8.
10 | Chriki S et al., « Viande in vitro : Intérêts, enjeux et perception des consommateurs », Techniques de l’Ingénieur, 10 décembre 2020.
11 | Myers GM et al., “Nutrient recovery in cultured meat systems : Impacts on cost and sustainability metrics”, Frontiers in Nutrition, 2023, 10.
12 | Ryschawy J et al., « Comment évaluer les services rendus par l’élevage ? Une première approche méthodologique sur le cas de la France », Inrae Productions Animales, 2015, 28 :23-38.
13 | Inrae, « Rôles, impacts et services issus des élevages européens », actualités, 30 novembre 2016. Sur inrae.fr
14 | Olenic M, Thorrez L, “Cultured meat production : what we know, what we don’t know and what we should know”, Italian Journal of Animal Science, 2023, 22 :749-53.
15 | Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, “Food safety aspects of cell-based food”, rapport, 2023.
16 | Ketelings L et al., “The barriers and drivers of a safe market introduction of cultured meat : a qualitative study”, Food Control, 2021, 130 :108299.
17 | Sénat, « Aliments cellulaires : être vigilant pour mieux encadrer et maîtriser la technologie », rapport d’information n° 504, 5 avril 2023. Sur senat.fr
18 | Fraeye I et al., “Sensorial and nutritional aspects of cultured meat in comparison to traditional meat : much to be inferred”, Frontiers in Nutrition, 24 mars 2020.
19 | Hocquette JF et al., « Une alimentation sans agriculture demain : la “viande” produite en laboratoire ? », in Le Démeter 2023 : agriculture et alimentation, la durabilité à l’épreuve des faits, IRIS éditions, 2023, 141-59. Sur hal.science
20 | Fournier T, Lepiller O, « Se nourrir de promesses : enjeux et critiques de l’introduction de deux innovations dans le domaine alimentaire : test nutri-génétique et viande in vitro », Socio, 2019, 73-95.
21 | Hocquette JF et al. « La “viande cellulaire” : est-ce possible ? Est-ce bon ? Est-ce acceptable ? », Viandes et Produits Carnés, 10 janvier 2022. Sur hal.science