Oligo-éléments et métaux lourds dans les tissus : une méthode miracle de mesure ?
Publié en ligne le 17 novembre 2025 - Médecines alternatives -
Il existe dans les milieux de soins non conventionnels des appareils plus ou moins sophistiqués présentés comme des dispositifs d’analyse et de diagnostic fiables. C’est ainsi le cas de l’Oligoscan lancé en 2013 et de sa version plus récente, l’Oligocheck, deux appareils électroniques fabriqués par Physioquanta, une entreprise française basée à Montpellier. Ces dispositifs seraient capables, par « spectrophotométrie à réflectance », de « déterminer la biodisponibilité tissulaire des minéraux et des oligo-éléments et la présence de métaux lourds dans le corps » afin d’établir un « bilan complet et personnalisé pour optimiser la prise des compléments nutritionnels » [1]. Ils sont notamment utilisés en France ou ailleurs par certains naturopathes ou dans des centres de « bienêtre » [2], voire des structures de soins [3], et sont parfois promus sans aucun recul critique dans la presse régionale (voir par exemple La Dépêche du Midi [4, 5]). Les deux appareils sont très similaires, ont la taille d’un gros thermomètre auriculaire, et leur utilisation est très simple : il suffit d’appliquer l’embout du capteur en quatre points de la paume de la main, et un logiciel fournit un rapport complet en quelques instants, là où ces mesures nécessitent normalement un prélèvement de sang ou d’un autre liquide de l’organisme. La promesse est même d’obtenir des mesures dans les tissus, ce qui est infaisable en médecine de routine.
Une mise en garde est affichée en bas du site Internet du fabricant : ce ne serait pas un produit médical mais un « produit “lifestyle”, permettant à chacun de potentialiser son hygiène de vie ». Néanmoins, un usage médical est tout de même sous-entendu par endroits (« ce site est réservé aux professionnels de la santé », résultats « directement dans votre cabinet », etc. ).
Qu’est-ce qui est vraiment mesuré ?
En médecine, lorsque l’on souhaite quantifier des minéraux ou des molécules dans le sang ou dans un autre liquide, on mesure presque toujours leur concentration, qu’on peut exprimer en grammes par litre (une masse par volume), en millimoles par litre (un nombre de molécules ou d’atomes par volume), ou éventuellement en unités internationales par litre (représentant une activité biologique, par exemple pour les enzymes, les hormones ou certaines vitamines quand celles-ci existent sous plusieurs formes n’ayant pas la même activité). Exceptionnellement, d’autres façons de mesurer la quantité de substances peuvent être pertinentes, comme dans les urines où l’on mesure surtout la quantité éliminée par jour (qui reflète mieux le fonctionnement des reins puisque la concentration dépend aussi de la quantité d’eau éliminée ce jour-là).
Alors, à quoi correspondent les valeurs fournies par l’Oligoscan ? Eh bien, on ne sait pas : aucune unité n’est précisée. Par exemple, dans le rapport montré sur le site du produit [6], on peut voir un calcium à « 550, 2 ». Mais 550, 2 quoi ? Ce n’est pas dit. On pourrait s’attendre à une concentration puisqu’on mesure les quantités de minéraux et métaux lourds 1 dans les tissus. L’absence d’unité empêche de comparer ces valeurs avec celles des analyses réalisées en laboratoire, mais il y a tout de même quelques anomalies. Tout d’abord, les fourchettes de valeurs qui sont fournies sont toutes beaucoup trop larges : par exemple entre 21, 0 et 89, 0 pour le sodium, et entre 9, 0 et 39, 0 pour le potassium (soit un facteur 4 dans les deux cas). Dans la réalité, les concentrations de tous ces minéraux sont très finement régulées. Par exemple, dans le plasma sanguin la concentration de sodium est normalement entre 135 et 145 millimoles par litre, et celle du potassium entre 3, 5 et 4, 5 millimoles par litre. C’est aussi le cas (avec des valeurs différentes), dans les autres liquides de l’organisme ou à l’intérieur des cellules. En fait, ces valeurs de l’Oligoscan ne peuvent tout simplement pas représenter une concentration de minéraux avec de telles fourchettes.
Par ailleurs, même si l’on ne connaît pas les unités utilisées, les différences entre minéraux ne sont pas cohérentes : par exemple, les fourchettes de valeurs normales du magnésium et du sodium selon l’Oligoscan sont très proches, alors que ces deux minéraux ont en réalité des concentrations très différentes dans tous les liquides du corps, et que leurs quantités totales dans l’organisme sont aussi très différentes. Ces valeurs ne peuvent donc pas non plus représenter leur quantité totale dans l’organisme. Mais puisque le fabricant n’explique pas ce que chaque valeur est censée représenter, impossible d’en dire plus.
Les mesures fournies par l’Oligocheck sont présentées de façon un peu différente : elles sont toutes exprimées en pourcentages [7]. Pour chaque élément, le rapport définit une « zone idéale » : plus de 60 % pour les vitamines, moins de 33 % pour les métaux lourds, et entre – 100 % et + 100 % pour les minéraux. On ne sait toujours pas à quoi cela correspond, et le praticien lui-même doit se contenter de lire si la valeur est normale ou anormale selon le logiciel sans avoir la moindre compréhension de ce que cette valeur représente. L’Oligocheck fournit aussi des données plus floues nommées par exemple « indice de sulfoconjugaison », « équilibre glycémique », « fonctions cognitives » ou encore « équilibre hormonal », et donne aussi des informations sur la chute des cheveux, la présence de cellulite ou la souplesse des articulations, là encore uniquement en inspectant quatre points de la paume de la main. Dans ces cas-là, non seulement on ne sait pas à quoi correspond la valeur fournie, mais on ne sait même pas vraiment ce qui serait mesuré : des quantités de molécules ? des activités enzymatiques ? d’autres paramètres ? La documentation ne le dit pas.
Qu’en disent les études scientifiques ?
Comme gage de sérieux, le fabricant annonce : « Un ensemble de tests et des études comparatives ont été réalisés par des chercheurs mettant en avant une corrélation entre les résultats de l’Oligo/Check et ceux effectués en laboratoire. Les résultats reposent sur nos algorithmes basés sur des mesures physiologiques validées par la communauté scientifique » [1]. Sur les sites des produits, 21 références scientifiques sont citées [1, 6]. Étrangement, aucune d’elles ne mentionne ces appareils : ce sont uniquement des articles sur les besoins en minéraux et oligo-éléments, sur la toxicité des métaux lourds et sur le stress oxydatif. Certains sont issus de revues médicales douteuses, et il y en a un qui a été rétracté pour plagiat en 2020 [8]. Mais surtout, ils semblent avoir été choisis un peu au hasard parmi l’énorme masse d’études sur ces sujets. Le critère de sélection pourrait être simplement la date : presque tous ont été publiés en 2015 (hors deux livres plus anciens et quelques articles de 2014 et 2016).
En plus de cela, le site de l’Oligocheck propose une sous-page avec quatre « articles scientifiques », un sur l’Oligocheck et trois sur l’Oligoscan [9]. Aucun n’a été publié dans une revue scientifique reconnue, et deux sont en fait des publicités insérées dans des revues de médecines alternatives et sont clairement identifiées en tant que publireportages. Aucun des deux autres articles ne cherche à démontrer la fiabilité de l’appareil. L’un d’entre eux, par exemple, se contente de rapporter les résultats de mesures obtenus avec l’Oligoscan chez des patients souffrant d’un psoriasis [10]. Et les références citées dans celui-ci pour soutenir l’utilisation de l’Oligoscan sont du matériel promotionnel issu de sites marchands. On y trouve également la mention de deux billets du site Quackwatch, que les auteurs ont manifestement insérés dans leurs sources sans les avoir lus puisque Quackwatch est un site de dénonciation des fraudes dans le domaine de la santé et que ces billets sont, pour l’un, une critique de l’Oligoscan [11], et pour l’autre, une critique des méthodes de chélation des métaux lourds 2 utilisées de façon inappropriée sans preuve de réelle intoxication [12].
Une recherche plus poussée dans les bases de données de recherche médicale comme PubMed ne permet pas de trouver le moindre article scientifique qui évalue l’efficacité de l’Oligoscan ou de l’Oligocheck.
Est-ce crédible ?
La fiche de présentation contient beaucoup de termes techniques : « le scanner photomètre est une méthode d’analyse […] qui consiste à mesurer la résonance vibratoire », « chaque minéraux [sic] et oligo-élément a une fréquence et une résonance spécifique, et absorbe la lumière », « notre appareil est un scanner permettant de trouver les résonances des minéraux/métaux et oligoéléments », « c’est un photomètre à réflectance qui va mesurer l’intensité du rayonnement électromagnétique des molécules en fonction de leur longueur d’onde », etc. Tout cela peut sembler très sérieux, mais n’a en fait pas beaucoup de sens en physique ou en biologie.
La spectrophotométrie existe, mais rien n’indique qu’elle permette effectivement de telles mesures à l’aide d’un petit détecteur placé sur la paume de la main. Il existe des méthodes de photométrie permettant de détecter, voire quantifier des minéraux, y compris avec des capteurs de contact, mais pas chez un être vivant.
La mesure de la saturation en oxygène de l’hémoglobine à l’aide d’un saturomètre (ou oxymètre de pouls) pourrait sembler s’apparenter à ce genre d’appareil. Il s’agit d’un petit appareil placé au bout d’un doigt ou d’un orteil, ou encore sur une oreille. L’hémoglobine transportant de l’oxygène ayant une couleur légèrement différente de celle n’en transportant pas, l’appareil peut déterminer les proportions de chacune. Mais cet appareil ne permet pas de mesurer la quantité d’hémoglobine dans le doigt, ni même sa concentration dans le sang : il permet seulement de mesurer l’absorption de la lumière à différentes longueurs d’onde et d’en déduire la saturation en oxygène de l’hémoglobine du sang artériel par comparaison à des courbes de référence. Et cette méthode est nettement moins fiable que celle reposant sur l’analyse en laboratoire d’un prélèvement de sang artériel. Elle est possible parce que l’hémoglobine est la substance la plus abondante dans le sang, après l’eau (au moins 120 grammes par litre, alors que le minéral le plus abondant dans le sang est le chlorure à hauteur d’environ 3,5 g/L, les autres minéraux étant présents dans des quantités encore plus faibles). Mais à travers la matière, où il y a un effet de diffusion des rayons lumineux émis par le dispositif (c’est-à-dire que leur longueur d’onde est modifiée), repérer avec fiabilité le signal spécifique d’un minéral présent en faible abondance et le quantifier est très délicat : ce signal est mélangé avec celui de tous les autres minéraux présents dans les tissus de la main, avec celui des molécules pigmentées comme l’hémoglobine, la myoglobine musculaire et la mélanine cutanée (qui sont présentes dans des quantités bien plus grandes que les minéraux), et surtout avec tous les signaux diffusés qui résultent des précédents, et ce signal est lui-même atténué par l’effet de diffusion. Quantifier un élément parmi tous les autres à l’aide de ses longueurs d’onde signatures paraît donc peu probable, et mériterait des preuves, qui pour le moment n’existent pas.
Une succession d’affirmations sans preuve
Mais même si le fabricant pouvait apporter la preuve de la fiabilité des mesures de l’Oligoscan et de l’Oligocheck, il faudrait encore prouver que les fourchettes de valeurs normales sont pertinentes. La médecine conventionnelle a depuis longtemps établi les valeurs normales de certains éléments, comme les minéraux ou les vitamines, dans le sang. En revanche, ces repères n’existent pas forcément pour leurs concentrations dans les tissus, car celles-ci ne sont pas mesurées en médecine de routine. Et même si les fourchettes de l’Oligoscan avaient aussi été démontrées, il faudrait encore prouver qu’il y a un intérêt médical à modifier, sur la base de ces résultats, ses habitudes alimentaires, prendre des compléments alimentaires ou des suppléments de minéraux, oligo-éléments ou vitamines, ou prendre des chélateurs de métaux lourds. En médecine, même quand une valeur biologique est en dehors de la normale statistique, il n’est pas toujours nécessaire de faire quoi que ce soit : tout dépend du contexte médical du patient et à quel point la valeur est anormale.
Rien de tout cela n’a été fait, et il n’y a donc absolument aucune raison d’utiliser ces appareils, et encore moins de suivre les conseils prodigués par ceux qui utilisent leurs résultats. Le risque serait d’être faussement rassuré ou inquiété par les valeurs fournies, et de prendre de mauvaises décisions sur la base de cellesci, par exemple en se supplémentant pour une carence inexistante.
1 | Physioquanta, « Oligo/check une application innovante : bilan nutritionnel immédiat non invasif », 2025. Sur so-check. com
2 | Alliance Pornic, « Consultation diététique avec impédancemétrie et Oligoscan », 2025. Sur thalaaopornic. com
3 | Hôpital universitaire international Cheikh Khalifa, « L’Oligoscan, un bilan rapide et indolore », 2018. Sur hck. ma
4 | « L’Oligoscan, une solution high-tech prometteuse pour connaître ses besoins en oligo-éléments », La Dépêche, 25 avril 2018.
5 | « Graulhet : la naturopathe adopte la méthode Oligoscan », La Dépêche, 16 novembre 2021.
6 | Site web oligosan
7 | « Oligocheck », bilans, 2025. Sur so-check. com
8 | “Retracted : Biomedical implications of heavy metals induced imbalances in redox systems”, BioMed Research International, 2020, 1913853.
9 | So check, page « Articles scientifiques », 2025. Sur so-check. com
10 | Mocanu LE, Nedelcu I, “Main modification of the body functions found by contact spectrophotometric analysis, under the influence of trace element imbalances and tissue heavy metals in psoriasis”, Dermato Venerol, 2020, 65 : 13-8.
11 | Barett S, “A skeptical look at the OligoScan”, Consumer Health, 17 novembre 2013. Sur devicewatch. org
12 | Barett S, “Be wary of “board certification” in clinical metal toxicology”, Consumer Health, 20 mai 2023. Sur quackwatch. org
1 Le terme « métaux lourds » est encore très utilisé mais tend à être abandonné par les scientifiques au profit du terme « éléments-traces métalliques », car la densité des métaux n’est pas en elle-même un indicateur de toxicité.
2 Méthodes consistant à administrer des substances chimiques visant à capter et éliminer certains métaux lourds du corps.
Publié dans le n° 353 de la revue
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L'auteur
Valentin Ruggeri
Médecin au service de médecine nucléaire du CHU de Grenoble et président de l’Observatoire zététique.
Plus d'informationsMédecines alternatives
Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.
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