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Positiver les résultats négatifs : l’art de ne pas perdre la face

Publié en ligne le 9 octobre 2019 - Intégrité scientifique -
Rédaction médicale et scientifique

Retrouvez plus d’informations sur le thème de l’intégrité scientifique sur le blog : redactionmedicale.fr

En médecine, la pratique des essais cliniques dits « randomisés » est nécessaire pour montrer la supériorité d’un traitement par rapport à un comparateur, par exemple un autre médicament ou un placebo ( « randomisé » signifie que les malades sont affectés au hasard dans les groupes). C’est la procédure de référence en matière de développement des médicaments et ce type d’essais est à la base des décisions d’autorisation de mise sur le marché. Cependant, bien que les protocoles soient conçus pour montrer la supériorité d’un médicament nouveau, les essais ne sont pas toujours concluants (on parle alors d’un résultat « négatif »). Comment alors rendre compte d’un tel essai sans donner l’impression d’un échec ? Cette question peut paraître incongrue ou absurde, mais c’est une préoccupation réelle d’entreprises du secteur de la santé qui cherchent à donner une impression positive de travaux infructueux. Le British Medical Journal, qui voue traditionnellement son numéro de Noël à des thèmes plus légers ou hors du champ strict de la recherche médicale, a publié un court article destiné à lever le voile sur les stratagèmes rhétoriques mis en œuvre [1].

Les auteurs de l’article ont passé en revue cinq ans de comptes rendus des trois principaux congrès mondiaux de cardiologie. Leur attention s’est portée sur les essais dont les résultats peuvent être considérés comme négatifs, à savoir qu’un objectif majeur de l’étude n’a pas été atteint. Par ailleurs, ils ont identifié des « leaders d’opinion » – des chercheurs académiques connus souvent sollicités par les journalistes médicaux – qui ont fait, au sujet de ces études, des déclarations destinées à accompagner la publication des résultats. Ils ont alors constaté que, dans une très large majorité des cas, les commentaires visaient à faire passer l’idée que la méthodologie de l’essai était inadéquate plutôt que d’avouer que le médicament testé ne marche pas (ce qui est pourtant la conclusion logique de certains essais).

De façon plus précise, l’échantillon étudié se composait de 127 essais à résultats négatifs et de 438 déclarations de leaders d’opinion. Parmi ces études, 85 % ont fait l’objet de commentaires faisant appel à des prétextes afin d’excuser les résultats négatifs. Les auteurs ont classifié ces prétextes en 17 catégories. La liste est longue : le suivi des malades était trop court, les malades étaient sélectionnés de façon trop laxiste ou bien trop restrictive, ils étaient trop âgés, trop masculins ou de la mauvaise ethnie, la posologie du médicament a été mal choisie, l’intervention n’était pas la meilleure ou bien était proposée trop tôt ou trop tard, le médicament n’a pas été administré correctement, d’autres médicaments ont interféré avec le traitement…

Guide du conférencier [1], avec nos remerciements au BMJPublishing Group

Avec tout de même deux grands classiques : l’échantillon était trop petit (31 % des études) et d’autres études sont nécessaires (21 %). Mais le message reste toujours le même : le médicament doit probablement être efficace et d’autres essais pourront le montrer !

Les auteurs de cette étude incriminent une habitude des principaux leaders d’opinion à promouvoir les résultats positifs des essais plus qu’à procéder à une analyse dépassionnée des données. Ils s’interrogent également sur la crédibilité des prétextes avancés concernant des travaux réalisés par une industrie peu susceptible d’engloutir des millions dans un essai sans s’assurer de sa bonne conception et de sa mise en œuvre rigoureuse. Dans un esprit ludique, ils ont créé, sur la base de leur classification, un petit Guide du conférencier recensant les différents prétextes mobilisables afin d’aider les leaders d’opinion à positiver en toute situation (voir figure).

Référence

1 Hartley A et al., “Key opinion leaders’guide to spinning a disappointing clinical trial result”, BMJ, 2018, 363 :k5207.

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Publié dans le n° 328 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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