Quand l’Ordre des médecins sanctionne la raison
Publié en ligne le 10 septembre 2025 - Homéopathie -
Collectif NoFakeMed
Communiqué commun
10 septembre 2025
Le 19 mars 2018, une tribune, signée par 124 médecins et publiée dans Le Figaro [1] demandait au conseil de l’Ordre des médecins et aux pouvoirs publics de ne plus reconnaître des pratiques dont l’efficacité n’aurait pas été scientifiquement démontrée. La ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, décidait alors de saisir la Haute Autorité de santé pour une évaluation de l’homéopathie. Les recommandations de l’agence, rendues publiques en septembre 2019 [2], ont été suivies par le gouvernement : les médicaments homéopathiques ne sont plus remboursés depuis le 1er janvier 2021. En cause, non seulement leur absence d’efficacité propre, mais aussi leur absence d’intérêt pour la santé publique. Les consultations homéopathiques, réalisées par des médecins, restent autorisées et remboursées.
Mais l’affaire n’en est pas restée là. Les procédures disciplinaires se sont multipliées à l’initiative de syndicats et d’associations de médecins homéopathes [3]. Au total, une soixantaine de signataires de la tribune ont fait l’objet de plaintes devant les chambres disciplinaires régionales de l’ordre des médecins. Certains ont été relaxés, d’autres ont été condamnés (du simple avertissement à une suspension du droit d’exercer pour une durée de trois mois avec sursis). Les jugements en appel commencent à être prononcés par la chambre disciplinaire nationale. En février 2024, un premier médecin généraliste installé en Bretagne s’est vu confirmer sa condamnation à un avertissement [4]. Par la suite, deux médecins bordelais ont également été condamnés, sans même avoir été convoqués devant le tribunal [5]. Le 29 juillet 2025, un quatrième médecin a vu son avertissement confirmé. Des dizaines d’autres jugements sont à venir.
Ce qui est reproché aux médecins sanctionnés, c’est une « non confraternité ». Dans l’ordonnance du 29 juillet, on peut par exemple lire que certains propos figurant dans la tribune excèderaient, par leur ton, « la pondération attendue de médecins lorsqu’ils s’expriment publiquement sur un sujet, même polémique ». Le jugement met précisément en cause les formules suivantes : « [les] charlatans en tout genre qui recherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire », « les codes de déontologie (de médecine et le code de la santé publique) interdisent ce charlatanisme et la tromperie, imposent de ne prescrire et de distribuer que des traitements éprouvés », « le conseil de l’ordre doit veiller à ce que les médecins ne deviennent pas les représentants du commerce d’illusions bénéfiques », « Ils doivent sanctionner ceux ayant perdu de vue l’éthique de leur exercice », « ces pratiques (...) ne sont ni scientifiques ni éthiques mais irrationnelles et dangereuses ».
La chambre disciplinaire estime que ces propos ne « peuvent être perçus par les intéressés que comme offensants », qu’ils « manquent au devoir de prudence et de prise en compte des répercussions auprès du public » et « méconnaissent l’obligation de confraternité comme les obligent le code de déontologie de la profession » [6].
Ces considérations interrogent. Il est fait référence à plusieurs articles du code de déontologie : obligation du médecin, lorsqu’il participe à une action d’information du public, de « ne faire état que de données confirmées » (article 13), de « veiller à ce que les informations données au public soient exactes, claires et appropriées » (article 20). L’article 31 du code de déontologie est également invoqué : « Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ». Ici, ceux qui s’appuient sur des données invalidées en faisant la promotion de pseudo-thérapies obtiennent gain de cause, et ceux qui font état des connaissances scientifiques et réclament une approche rigoureuse sont condamnés.
En revanche, pratiquer une médecine du XIXe siècle, invalidée scientifiquement, en faire la promotion, alors que l’article 39 du même code de déontologie stipule que « toute pratique de charlatanisme est interdite », ne semble poser aucun problème. La « déconsidération » de la profession invoquée par la chambre disciplinaire nationale n’est-elle pas plutôt dans la complaisance de l’Ordre des médecins avec de telles pratiques ? Le « charlatanisme » n’est pas une invention des signataires, mais bien une pratique que le code de déontologie proscrit. Il serait alors interdit de le dénoncer quand il est constaté ?
La chambre disciplinaire nationale est présidée par un conseiller d’État (magistrat administratif indépendant) et les recours ultimes se font devant le Conseil d’État. Mais force est de constater l’absence de réaction de l’Ordre des médecins. Il valide ainsi implicitement ce qui peut apparaître comme des procédures-bâillons.
Au nom de la « confraternité », des pratiques pseudo-scientifiques sont couvertes par une autorité qui, de par sa mission, devrait les dénoncer. Elles contribuent à propager auprès du public des informations erronées et préjudiciables en termes de santé publique. Et ceux qui les dénoncent se voient condamner.
Association française pour l’information scientifique (Afis) : www.afis.org
Collectif NoFakeMed : nofakemed.fr
1| « L’appel de 124 professionnels de la santé contre les "médecines alternatives" ; », Collectif NoFakeMed, Le Figaro, Le 27 juillet 2018.
2| « Évaluation des médicaments homéopathiques – Avis défavorable au maintien du remboursement », Haute autorité de santé, septembre 2019.
3| Krivine JP, « L’Ordre des médecins et l’homéopathie », Science et pseudo-sciences n°348, avril 2024.
4| « Un médecin sanctionné en appel par son ordre pour avoir signé une tribune contre l’homéopathie », Le Figaro, 26 février 2024
5| Benz S, « Jeunes médecins versus homéopathes : l’étonnante décision de l’Ordre des médecins », L’Express, le 06 septembre 2025.
6| Code de déontologie médicale, édition de février 2021. Sur www.conseil-national.medecin.fr
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Homéopathie
L’homéopathie est une pratique thérapeutique non validée reposant sur quatre principes : la similitude, la dilution, la dynamisation et la personnalisation.
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