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Quelles protéines dans notre assiette ?

Publié en ligne le 2 mai 2025 - Alimentation -

Un humain est constitué d’environ 50 000 milliards de cellules réparties en environ 250 types différents, qui vivent de 3 à 5 jours (muqueuse intestinale) à très longtemps (neurones) [1]. Il héberge aussi presque autant de micro-organismes formant un microbiote spécifique et variable, au rôle crucial [2]. Notre génome est formé d’environ 22 000 gènes qui ont le potentiel de produire jusqu’à un million de protéines différentes, mais chaque cellule n’en exprimerait que de 10 à 20 000.

Les protéines sont les « molécules actives » d’une cellule et elles exécutent le programme codé par les gènes. Leurs actions se divisent en « dynamiques » (catalyse de réactions enzymatiques, transport de molécules, transfert d’informations, contraction musculaire, immunité, etc.) et « structurelles » (matrice des os, tendons, tissus conjonctifs, etc.).

Les protéines comptent pour environ 20 % du poids total de notre organisme. Elles sont fabriquées (synthétisées) en plusieurs étapes. Tout d’abord, l’information contenue dans un gène est transcrite sous forme d’ARN messager. Ensuite, cet ARN est utilisé comme guide pour assembler une chaîne d’acides aminés, structure de base des protéines. Enfin, des modifications indispensables pour l’activité de la protéine vont souvent survenir sur la chaîne d’acides aminés ainsi formée : coupure, ablation de certains segments (pour obtenir l’insuline par exemple), addition de sucres (pour la structure des anticorps, des protéines de membrane cellulaire, etc.), mais aussi des modifications réversibles cruciales pour la régulation de l’activité de certaines protéines (enzymes par exemple).

Structure des protéines

Ainsi, chaque protéine est l’assemblage spécifique d’un nombre variable d’acides aminés : de trois (on parle alors de peptide, comme par exemple dans l’hormone thyréotrope qui joue un rôle clé dans la régulation du métabolisme en stimulant la glande thyroïde) à 30 000 (comme dans la titine, une protéine musculaire). L’image classique est celle d’un collier de perles, mais formé à partir de vingt types de « perles » différentes : les acides aminés. Pour qu’une protéine exerce sa fonction, au-delà de cet enchaînement – la structure primaire –, elle doit se replier de manière programmée et acquérir des structures souples dites secondaire et tertiaire, voire quaternaire, par association de plusieurs protéines. La manière dont les protéines se replient est un problème scientifique complexe et la prédiction de la forme qu’elles prendront permettrait de grandes avancées, par exemple dans le domaine de la conception des médicaments. Le prix Nobel de chimie 2024 a été attribué à trois chercheurs (Royaume-Uni et États-Unis) pour leurs contributions majeures dans le domaine, à l’aide de programmes d’intelligence artificielle.

En fonction de l’« usure » des protéines ou d’impératifs de régulation, leur durée de vie va de quelques heures (certains enzymes contrôlant des voies métaboliques) à plusieurs mois (hémoglobine). Pour un adulte, environ 400 grammes de protéines se renouvellent chaque jour ; les trois quarts des acides aminés libérés sont recyclés, le reste participe au métabolisme énergétique et leur azote est éliminé sous forme d’urée.

Besoins nutritionnels

Les besoins nutritionnels de l’organisme ont été décrits dans le dossier « Alimentation » du précédent numéro de Science et pseudo-sciences [3]. Comme précisé ci-dessus, en conséquence de la dégradation physiologique des protéines, environ 100 g d’acides aminés doivent être remplacés chaque jour. Pour satisfaire ces besoins, les autorités de santé ont fixé les apports quotidiens recommandés d’un adulte à 0,83 g de protéines par kg de poids corporel, valeur qui doit être augmentée chez les enfants et adolescents, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes malades (polytraumatisés, grands brûlés, cancéreux…) et les sujets âgés [4]. Notons que la consommation moyenne de protéines en France est de 1,4 g de protéines par kg de poids corporel et par jour, constituant environ 17 % de l’apport énergétique, et qu’environ 65 % des protéines consommées sont d’origine animale [5]. A priori, dans nos contrées, du point de vue quantitatif, les besoins en protéines sont donc, en moyenne, couverts, mais avec malgré tout des carences individuelles (précarité sociale, grand âge, etc.).

Comparaison des protéines animales et végétales

Tous les organismes vivants ont impérativement besoin de protéines pour leur structure et leurs activités. Certaines sont présentes dans tous les êtres vivants (on les qualifie d’ubiquitaires), avec des structures très proches, comme les enzymes des voies métaboliques principales ; d’autres sont spécifiques, par exemple celles catalysant la synthèse des polyphénols (chez les végétaux) ou assurant la contraction musculaire (chez les animaux).

Si les protéines d’une certaine taille contiennent tous les vingt types d’acides aminés, il y a néanmoins des différences en termes de proportion de chacun d’entre eux. Par ailleurs, l’absence d’un seul acide aminé suffit à bloquer la synthèse d’une protéine. Rappelons également que neuf acides aminés sont qualifiés d’essentiels, c’est-à-dire que notre organisme ne peut les produire et qu’ils doivent impérativement être fournis par l’alimentation. Enfin, notons que certains acides aminés interviennent également dans d’autres fonctions physiologiques que la synthèse des protéines (par exemple, le métabolisme énergétique et la synthèse des acides nucléiques).

Partition illustrée par Benjamin Rabier (1864-1935)

Du point de vue quantitatif, le contenu en protéines – exprimé systématiquement en g/100 g d’aliment – est généralement plus faible dans les aliments végétaux qu’animaux (voir par exemple [6]). Les champignons, fruits et légumes en contiennent de 0,5 à 4 g/100 g, les fruits secs oléagineux de 3 à 20 g, les légumineuses de 5 à 20 g, les céréales de 10 à 20 g et les graines de 15 à 30 g. De nombreux produits animaux ont des teneurs plus élevées : de 4 à 40 g pour les produits laitiers, 12 g pour les œufs et de 20 à 25 g pour les poissons, volailles et viandes. Il est aisé de calculer, en fonction de ses paramètres personnels, les quantités de ces aliments nécessaires pour couvrir ses besoins.

Du point de vue qualitatif, si les protéines humaines ont une composition en acides aminés très proche de celles présentes dans l’alimentation carnée, c’est moins le cas des protéines végétales pour les acides aminés essentiels (la lysine est moins présente dans les céréales et les légumineuses et la méthionine dans les légumineuses et les légumes) [5].

Avantages et inconvénients respectifs des protéines animales et végétales

Pour une ration de 100 g, un morceau de viande apportera davantage de protéines (20 à 25 g). Il possèdera une meilleure composition en acides aminés, ne contiendra pas ou très peu de glucides et constituera une source de vitamine B12, de fer héminique biodisponible (assimilable par l’organisme) [7] et d’éléments minéraux en trace (sélénium, zinc…). Mais ce morceau de viande sera assez riche en acides gras saturés et sera dépourvu de fibres [4]. Par ailleurs, un excès de viande rouge et de charcuterie est associé à une augmentation des risques de cancer colorectal [8].

Une même portion de 100 g de végétaux (céréales ou légumineuses) apportera moins de protéines (6 à 10 g), pourra être limitante en certains acides aminés essentiels et en fer biodisponible, mais contiendra beaucoup de glucides (11 à 20 g), très peu de lipides et sera riche en fibres (4 à 12 g), en minéraux et certaines vitamines (sauf la B12 qui joue un rôle essentiel dans plusieurs processus physiologiques tels que la formation des globules rouges, la synthèse de l’ADN ou encore la fonction nerveuse).

Un autre aspect est la digestibilité des protéines, c’est-à-dire la capacité de leurs chaînes à être « découpées » en acides aminés lors du passage par le tractus gastro-intestinal. Dans le cas des protéines animales, elle va de 90 à 99 %, ce qui veut dire que si l’on ingère 100 g de protéines, on obtiendra quasiment 100 g d’acides aminés (en fait plus, car à chaque coupure, une molécule d’eau est ajoutée) ; dans le cas de protéines végétales, ce rendement va de 13 % (graines de lin) à 89 % (pois chiche) et est affecté par les conditions de préparation (cuisson, accompagnement, etc.) des aliments. Cette chute de rendement est liée à la présence de molécules végétales (polyphénols, saponine, etc.) qui inhibent les enzymes de la digestion [5].

Conclusion

Du point de vue de la biochimie nutritionnelle, une alimentation très majoritairement carnée, entièrement végétale ou mixte, permet de couvrir les besoins en acides aminés, pour peu (dans le cas d’une alimentation strictement végétarienne) qu’une diversité des sources soit respectée et que des apports (vitamine B12, acides gras oméga-3 à très longue chaîne, etc.) soient fournis. Ainsi, dans la nature, parmi les mammifères, certaines espèces se sont adaptées à un régime totalement carné (fauves par exemple), d’autres (ruminants par exemples) à un régime totalement végétarien et d’autres encore sont omnivores. Mais cette adaptation a pris beaucoup de temps, comme le montre l’exemple du grand panda, un ursidé, carnivore et omnivore, devenu assez récemment « herbivore par défaut » : selon l’analyse de son génome, un récepteur « au goût de viande » (appelé umami) n’est plus fonctionnel par suite de mutations [9].

Les humains sont des omnivores, ce qui veut dire que leur physiologie digestive et leur métabolisme sont adaptés à une alimentation mixte, permettant de couvrir l’ensemble des besoins. Passer d’une alimentation actuelle avec un apport largement majoritaire en protéines animales [4] à un équilibre « animal-végétal », comme le préconise le PNNS [10] semble l’approche la plus raisonnable pour la santé, du point de vue biochimique, mais aussi pour la composante environnementale.

Références


1 | Généthon, « La cellule », fiche d’information. Consultée le 27 novembre 2024.
2 | Inserm, « Microbiote intestinal (flore intestinale) : une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies », dossier, 18 octobre 2021.
3 | Dossier « Alimentation : faut-il avoir peur de manger ? », SPS n° 350, octobre 2024. Sur afis.org
4 | « Quels sont nos besoins en protéines ? », Vidal, 16 septembre 2019.
5 | Inrae, « Les protéines en questions », dossier, octobre 2021.
6 | Dynveo, « Quelles différences entre protéines animales et végétales ? », 27 septembre 2023.
7 | Anses, « Tout savoir sur le fer », dossier Alimentation et nutrition, 27 octobre 2022.
8 | Aguer F, « Nitrates et nitrites dans les produits de charcuterie », SPS n° 350, octobre 2024.
9 | Perrier JJ, « Le panda : un carnivore devenu herbivore », Pour la science, 18 décembre 2009.
10 | Ministère des Solidarités et de la Santé, « Le Programme national nutrition santé (2019-2023) », 2019. Sur sante.gouv.fr

L’avenir des protéines alternatives


L’Académie des technologies a rendu public en novembre 2023 un rapport intitulé « L’avenir des protéines alternatives » [1]. La production de ces protéines alternative se fait à partir de légumineuses, d’insectes, d’algues, de procédés de fermentation de précision 1 ou de cultures cellulaires. Elle s’inscrit dans un contexte « partiellement contradictoire » où l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la production de viande doit doubler d’ici 2050 pour satisfaire les besoins des pays en développement et où, dans le même temps, « pour les climatologues, il convient de restreindre notre consommation de viande afin de réduire l’impact de l’alimentation sur le changement climatique ».

Le rapport analyse la place de l’industrie française et européenne dans le paysage mondial. Ainsi, les États-Unis représentent plus de 70 % des investissements, et 90 % dans le cas de la fermentation de précision. Toutes les grandes entreprises de l’alimentation investissent dans le secteur, en direct et parfois en partenariat avec des start-up. Les protéines d’origine végétale constituent le segment le plus mature.

L’Académie relève un « verrou réglementaire » en Europe avec la catégorie « nouveaux aliments » qui encadre « tout aliment n’ayant pas été consommé de manière significative en Europe avant mai 1997 » [2] (ce qui est le cas général des protéines alternatives). Pour l’Académie des technologies, le niveau de preuves important qui est exigé pour leur autorisation rend le processus onéreux et « prend un temps long et est donc un frein au marché ».

Elle constate que la France n’est que très peu présente dans ce secteur « alors que ces nouvelles sources de protéines alternatives pourraient significativement marquer le paysage de la production de protéines destinées à l’alimentation humaine à partir des années 2030 » et « prend donc le risque d’être absente de ce qui pourrait être demain un secteur industriel majeur au sein du système alimentaire ».

Toutefois, le rapport souligne que l’avenir de cette nouvelle industrie dépendra en grande part de son bilan environnemental (énergie, gaz à effet de serre, eau, etc.) et du prix auquel ces nouvelles protéines seront proposées aux consommateurs. Le rapport regrette que « les données qui permettraient d’établir ces comparaisons environnementales ne [soient] pas aujourd’hui du domaine public ».

L’Académie formule un certain nombre de recommandations en termes d’innovation, de recherche, d’infrastructures et d’investissements publics.

Références
1 | Académie des technologies, « L’avenir des protéines alternatives », juillet 2023.
2 | Efsa, « Nouveaux aliments ». Sur efsa.europa.eu (consulté le 5 décembre 2024).

1 La fermentation de précision utilise des microorganismes (bactéries, levures, champignons filamenteux) pour produire des protéines animales. Elle se fonde sur une réécriture du génome pour conférer la capacité de synthétiser une nouvelle protéine (caséine ou lactalbumine du lait, ovalbumine des œufs) et procède ensuite à la multiplication et la croissance de ces microorganismes dans des bioréacteurs.