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Recherche scientifique et médias : comment mieux se comprendre

Publié en ligne le 25 août 2022 - Science et médias -

Comment trouver « le trait d’union » entre les chercheurs scientifiques et le grand public ? C’est un peu la quadrature du cercle, et cela ne date pas d’hier. À une époque où la manipulation de l’information prolifère grâce au numérique, bien des chercheurs sont tentés de mettre en cause la qualité des médias, la compétence, voire la bonne foi des journalistes. Mais ne serait-ce pas trop simple ? Adoptons une approche plus posée – quoique sans prétention scientifique – pour simplement décrire quelques éléments constitutifs de la dispute.

Du côté de la recherche, oserais-je vous dire, amis scientifiques, que le paysage est quelque peu flou, complexe, bref peu lisible pour le commun des mortels ? Quand bien même on a saisi (à peu près) le principe des études, des méta-analyses, etc., on peut s’interroger sur un système qui ne sanctionne guère des études fantaisistes, portant sur des échantillons peu représentatifs, voire bâclées. De plus, à une échelle planétaire, la recherche connaît une grande variété de cadres réglementaires, et plus encore éthiques. Bref, vu de l’écran d’ordinateur du journaliste depuis sa salle de rédaction, la recherche de la vérité peut vite ressembler à celle d’une aiguille dans une botte de foin.

Qui est donc ce journaliste qui, du haut de son incompétence – car le journaliste (même s’il se spécialise de plus en plus) ne devient pas expert –, va décréter que tel professeur à la tête d’une respectable institution n’est plus digne de confiance ? Comment peut-il, de la même manière, soupçonner que telle publication, dans une revue scientifique internationale de grand renom, cette fois-là, n’est pas bonne ?

Science et médias : les « ratés »

La lecture du numéro 338 de Science et pseudosciences m’a semblé éclairer la question. Je m’y suis arrêté sur l’article concernant l’Influence de la Lune : une histoire à dormir debout ! Les auteurs parlent d’études reprises par les médias et dénoncent en particulier « les paradoxes » de ces derniers qui relaient des études de mauvaise qualité, alors qu’ils « n’ont fait que citer des articles publiés dans une revue scientifique estimée ». Mais alors pourquoi ont-elles été publiées par une « revue scientifique estimée » ?

Ainsi donc, le monde scientifique n’est pas exempt de « ratés ». Prenons-en acte ! De l’autre côté, le monde médiatique est lui aussi plus qu’imparfait. D’autant qu’il est en mutation accélérée depuis l’irruption d’Internet. Il convient donc avant tout de mieux connaître cet univers en mouvement, si l’on veut que les médias puissent jouer un rôle dans l’amélioration des relations entre la science et le grand public. Ainsi le « journaliste » évoqué plus haut est-il désormais concurrencé sur son propre métier par des « youtubeurs », « influenceurs », etc. Et dans la profusion des productions de contenus, le meilleur côtoie le pire.

Caricature d’Horace Greeley dans Vanity Fair du 20 juillet 1872, Thomas Nast (1840-1902)
Horace Greeley est une figure historique du journalisme américain. Éditeur de presse influent, il fonde en 1841 le New-York Tribune et se lance dans une carrière politique quelque peu hasardeuse, jusqu’à devenir l’adversaire malheureux du président sortant Ulysses Grant à l’élection présidentielle de 1872. Le dessinateur Nast, soutien de Grant, dresse ici un portrait peu flatteur de Greeley en journaliste ahuri.

Sur l’échelle des « ratés » du journalisme, il y a sans doute beaucoup d’erreurs et approximations commises en toute bonne foi. Mais il y a aussi, c’est évident, des fautes et parfois une volonté de nuire… à la vérité, ou disons plutôt à « la réalité en l’état actuel des connaissances scientifiques ». Par malhonnêteté intellectuelle, pour servir une cause ou une autre ? Pour des raisons qu’il serait intéressant de mieux analyser. Car il n’y a pas que les « puissances d’argent » à la manœuvre : la « bonne cause » (celle qu’on défend, bien entendu) peut conduire à faire fi de la réalité, ou à l’accommoder… pour les besoins de la cause, justement.

Mais revenons à l’influence de la Lune. Les auteurs de l’article expliquent ainsi que « pour qu’une étude scientifique se retrouve dans les colonnes de nos journaux, il faut généralement qu’elle soit nouvelle et apporte une information sensationnelle ». Comme on dit dans les écoles de journalisme : « Un chien qui mord un homme, ce n’est pas une information. Un homme qui mord un chien, c’en est une ! » Une information, c’est en effet quelque chose de « nouveau et intéressant ». Et cela ne changera guère…

« Sensationnel ! »

En l’occurrence, il ne me semble pas que ce soit moins « sensationnel » de constater une « absence de lien », dans la mesure où, justement, tout le monde « croit » plus ou moins à cette influence. Et il me semble même qu’il serait tout à fait « sensationnel » de titrer en une de nos journaux : « Non, le glyphosate ne présente pas un danger avéré pour l’alimentation humaine ! » Remplacer librement glyphosate par : OGM, huile de palme…

Mais alors, pourquoi cela ne se fait-il pas, me direz-vous ? Peut-être parce qu’il manque un maillon, que dis-je, un trait d’union, entre la science et les médias. Serait-il possible d’aider les journalistes (dont, rappelons-le, une infime minorité seulement a une formation scientifique) à détecter les « ratés » du monde scientifique, pour ne pas s’extasier sur les résultats d’études fantasques et à se concentrer sur les études qui prouvent, le cas échéant, que la Lune n’a pas d’effet avéré sur notre sommeil ?

Le risque inhérent à l’information « nouvelle et intéressante  » est de négliger le savoir accumulé, «  l’état de l’art  »… La démarche du journaliste, sans être à même de déceler les faiblesses d’une étude sans doute, devrait mettre en balance ce qu’on sait et si la nouvelle étude «  tient le coup  » pour faire évoluer ce que l’on pensait jusqu’ici. Pour «  ce qu’on sait  », quand il est question de risque (santé, environnement), il y a des agences sanitaires, des sociétés savantes. On peut a minima lire ce qu’elles disent et le mentionner. Or c’est ce travail que les journalistes, bien souvent, ne font pas. Et qui est pourtant à portée de leur souris : un simple clic sur le site des agences. Cela relève certainement de la vitesse médiatique (il faut aller toujours plus vite). Et aussi, sans aucun doute, de la « recette » d’un bon papier : certainement, ne pas être exhaustif.

La caractéristique première du journaliste est de ne pas savoir : il doit se mettre à la place de son lecteur, expliquer, rendre compréhensible au plus grand nombre des choses complexes. Savoir dire à son interlocuteur scientifique : « Excusez-moi, je n’ai pas compris ! Essayez de me dire ça comme si j’avais cinq ans ! »

Au passage, et sans entrer dans les détails, rappelons que les conditions économiques de la production de contenus d’information sont telles que le journaliste (quel que soit son nouveau nom) n’aura pas les moyens de pousser bien loin ses recherches, et cela quels que soient les médias, en France comme ailleurs. Il vaut donc mieux, pour le scientifique qui veut faire passer son message, en tenir compte… et lui faciliter la tâche.

Les guerres perdues

On peut aussi se poser une autre question que le média se posera nécessairement avant de publier : est-il encore possible de détricoter une « croyance » installée ? Il ne semble plus « audible » aujourd’hui pour le grand public que les OGM autorisés pour la consommation soient sans effet prouvé sur la santé humaine, que le glyphosate soit jugé par les agences sanitaires sans risque dans les conditions d’utilisation préconisées ou que le « bio » ne soit pas assurément meilleur pour la santé que le non-bio.

Or cela ouvre à une dimension de la communication qui dépasse très largement l’information et l’univers médiatique : aujourd’hui ce sont les « marques » qui font la promotion de ces « croyances ». Au point que l’un des mots les plus à la mode actuellement en matière publicitaire est « zéro » : zéro OGM, zéro pesticide, zéro gluten, zéro colorant, zéro conservateur… Pour le dire autrement, sur un autre exemple, peut-on encore lutter contre le charlatanisme des pseudo-médecines quand celui-ci est promu en argument publicitaire par les assurances complémentaires santé ? Cela reste possible, certes…

Il y a des guerres qui semblaient perdues, en communication comme ailleurs, mais peuvent ne pas avoir dit leur dernier mot. De ce point de vue, l’issue du débat actuel sur les énergies décarbonées pourrait être éclairante : le nucléaire, voué aux gémonies, va-t-il retrouver une honorabilité ? Si oui, le camp de la raison scientifique pourra fourbir ses armes pour repartir à l’assaut sur un autre front : le glyphosate ? les OGM ? le bio ? ou l’influence de la Lune ?

Sans vouloir être désespérant, la tâche est immense. Et il va falloir reprendre les choses par le commencement : l’instruction, l’éducation, la formation. Qu’est-ce que la science, qu’est-ce que l’information, qu’est-ce que la communication, la publicité, le marketing ? Qu’est-ce que croire, qu’est-ce que savoir ? Zététique et esprit critique, dites-vous, oui, mais en commençant très tôt à l’école, et en assurant une formation continue tout au long de la vie !

Un nécessaire « trait d’union » entre la science et le grand public

Nous voici revenu à la nécessité d’un « trait d’union » entre la science et le grand public. L’Association française pour l’information scientifique en est évidemment un grand, avec ses médias, publications et événements.

L’exercice même de la publication dans Science et pseudo-sciences, pour un scientifique, lui permet déjà de mettre le doigt sur la difficulté à expliquer en langage courant et de façon concise le fruit d’années de travail et parfois des acquis de toute une discipline. Il lui faut, entre autres, accepter les commentaires et suggestions de la rédaction : faute de pouvoir tout dire, il faut bien choisir un angle. Et il convient d’accompagner les auteurs scientifiques dans cette démarche de communication : comment réécrire à partir d’éléments déjà publics (article, conférence, etc.), et même comment réécrire encore ce qui ne semble pas compréhensible à un ou plusieurs membres de la rédaction ?

On approche alors d’une fiche de poste, celle de chargé de communication scientifique, lequel, pour le compte des chercheurs, pourrait préparer des dossiers aussi à destination des journalistes, youtubeurs et autres médiateurs. Entre autres ! Une idée simple… On peut aussi rêver beaucoup plus ambitieux : une agence de presse spécialisée qui vende ses infos aux médias généralistes.


Thème : Science et médias

Mots-clés : Science

Publié dans le n° 340 de la revue


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L' auteur

Olivier Lepoutre

Ancien journaliste, il fait toute sa carrière en presse régionale, surtout dans des hebdomadaires, qui sont ce que (...)

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