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Santé mentale, psychiatrie et idées reçues

Publié en ligne le 14 novembre 2025 - Information scientifique -

Les troubles psychiques 1 représentent une des principales causes de souffrances et de handicap dans le monde. En 2019, selon l’OMS, cela concernait une personne sur huit dans le monde, soit 970 millions de personnes, les troubles anxieux et les troubles dépressifs étant les plus courants [1]. En France, environ un Français sur cinq sera concerné au cours de sa vie et environ 2,4 millions de personnes sont prises en charge chaque année en établissement spécialisé pour des troubles psychiatriques. Chaque année, environ 7,5 % des Français âgés de 15 à 85 ans souffrent de dépression et l’on recense 9 300 suicides et 200 000 tentatives de suicide par an (le suicide reste la première cause de mortalité chez les 25-35 ans) [2].

Autoportrait, Bryan Charnley (1949-1991)
Charnley était un artiste britannique atteint de schizophrénie. Il a beaucoup exploré les effets de cette maladie mentale dans son travail.

Ces troubles restent souvent incompris et mal traités au sein de la population générale, mais aussi dans le corps médical lui-même qui n’est pas le dernier à tenir des propos stigmatisants à l’encontre des usagers de la psychiatrie. Parfois même, les professionnels de la santé mentale tombent eux-mêmes dans le piège des idées reçues. Souvent considérés comme des oiseaux bizarres par les autres médecins [3], fréquemment dans des services à part des autres spécialités médicales, dans des bâtiments déconnectés du reste de l’hôpital, les psychiatres ont aussi leur part du travail à faire pour rendre leurs pratiques plus transparentes, homogènes et compréhensibles aux yeux du grand public, mais aussi des autres médecins [4].

Petit tour d’horizon de cette jungle de la santé mentale bien trop luxuriante et dans laquelle le patient tente tant bien que mal de se frayer un chemin.

Santé mentale, le grand fourre-tout

L’annonce de la santé mentale grande cause nationale 2025 [5] semble à première vue être une bonne nouvelle : ce sera l’occasion d’évoquer le sujet auprès du grand public. Mais encore faudrait-il définir correctement ce terme. Rappelons qu’il s’agit d’un état de bien-être global que nous essayons tous d’atteindre par différents moyens plus ou moins communs, plus ou moins propres à chacun, dans différents domaines de la vie (voir premier encadré).

Mais pour que cette grande cause ne devienne pas simplement une grande causerie, et pour ne pas gaspiller l’argent public, il faut parler d’abord et avant tout des troubles psychiques et actionner des campagnes qui ont fait la preuve de leur efficacité dans d’autres pays [6]. Avec un seul et unique objectif : faciliter l’accès aux soins des gens qui en ont besoin.

Triple peine pour le patient

Plusieurs freins empêchent de nombreuses personnes d’accéder à des soins psychiques de qualité.

Tout d’abord, il est souvent difficile de prendre conscience qu’on souffre d’une dépression ou d’un trouble anxieux. L’apparition se fait souvent progressivement, au fil des semaines ou des mois. On arrive parfois un peu à s’y habituer, en mettant en place des stratégies de compensation. On se dit qu’en serrant les dents, ça va aller, « ça va le faire », ça va passer. Mais à quel prix ? On n’est quand même pas fou ! Avec la crainte d’être considéré comme tel.

Ensuite, une fois que l’on a compris et accepté le fait qu’on souffrait d’une maladie, il faut se repérer dans l’offre de soins française qui, il faut l’avouer, manque cruellement de clarté. Qui dois-je consulter en premier ? Mon médecin généraliste ? Un psychologue ? Un psychiatre ? Un psychanalyste ? Quelle est la différence ? Est-ce pris en charge par l’assurance maladie ?

Les concepts de santé mentale


La santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Elle fait partie intégrante de la santé et du bien-être, sur lesquels reposent nos capacités individuelles et collectives à prendre des décisions, à nouer des relations et à bâtir le monde dans lequel nous vivons. La santé mentale est un droit fondamental de tout être humain. C’est aussi un aspect essentiel du développement personnel, communautaire et socioéconomique.

La santé mentale ne se définit pas seulement par l’absence de trouble mental. Il s’agit d’une réalité complexe qui varie d’une personne à une autre, avec divers degrés de difficulté et de souffrance, et des manifestations sociales et cliniques qui peuvent être très différentes.

Les problèmes de santé mentale comprennent les troubles mentaux et les handicaps psychosociaux ainsi que d’autres états mentaux associés à une souffrance importante, une altération du fonctionnement ou un risque de comportement auto-agressif. Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale sont plus susceptibles de ressentir un bien-être mental moindre, mais ce n’est pas toujours ni nécessairement le cas.

Extrait de : Organisation mondiale de la santé, « Santé mentale : renforcer notre action », page web, 17 juin 2022. Sur who. int

Quand on a enfin réussi à obtenir un rendezvous avec un professionnel qui accepte de nouveaux patients, il faut souvent affronter des délais qui s’allongent et durant lesquels l’état de santé de la personne peut s’aggraver. Avec, à l’affût, autour d’elle, toute une gamme de « dérapeutes » et charlatans en tout genre qui promettent monts et merveilles dans un mélange d’ésotérisme, de new age et de développement personnel, le tout saupoudré d’énergie vibratoire quantique, avec des risques multiples (aggravation de l’état de santé de la personne, dérives sectaires… [7]) qui court-circuitent le parcours de soin classique malheureusement trop long. Enfin, il faut tomber sur un professionnel de santé compétent. Et en France, malheureusement, les pratiques en santé mentale et en psychiatrie sont encore très hétérogènes d’une région à une autre, d’un hôpital à un autre, ou parfois même d’un cabinet à un autre dans la même rue. Sans compter la désinformation de masse sur les réseaux sociaux, où tout le monde y va de son anecdote et de ses grandes vérités sur ce qu’il pense de la dépression, de l’anorexie ou de la schizophrénie. Imaginerions-nous la même chose concernant un traitement cardiologique ? Il faut dire aussi que l’absence d’encadrement légal qui entoure certaines appellations n’aide pas à y voir clair : psychanalyste, hypnothérapeute, « thérapeute ». N’importe qui peut s’auto-proclamer ainsi. Des titres qui font sérieux, mais ne garantissent rien.

« Les troubles psy, c’est juste une question de volonté, de force mentale, c’est la marque des faibles »

Tel est le postulat de base encore très ancré dans la société et sur lequel, d’ailleurs, surfent les vendeurs de développement personnel les moins scrupuleux. Dans différents modules ou programmes, on va vous assurer que vous allez enfin pouvoir reprendre le « contrôle de votre vie », qu’on peut décider de ne plus être en dépression juste avec de la volonté. Parfois on vous évoquera des théories énergétiques farfelues ou votre utérus « porteur de ces mémoires ancestrales » que l’on pourrait « “nettoyer” [pour] se dégager des souffrances de notre lignée maternelle » [8]. Et quand on souffre psychiquement, quand on ne va pas bien, qu’on n’en peut plus de devoir lutter contre des ruminations anxieuses incessantes, pour se débarrasser de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), on toque parfois à toutes les portes pour s’en sortir. Pourvu que ça s’arrête.

La psychanalyse ?


Le titre de psychanalyste n’est pas réglementé par l’État. Ce qui veut dire que n’importe qui, du jour au lendemain, peut s’autoproclamer « psychanalyste » et l’écrire sur une plaque dorée sans qu’aucune autorité ait à dire quoi que ce soit. Chaque institut de psychanalyse a ses propres critères de recrutement, souvent très flous […].

Concernant l’approche psychanalytique à la française, « sur le divan », d’ailleurs très critiquée dans le reste du monde et qui ne représente pas toute la psychanalyse proposée en France, nous aurions tendance à la déconseiller globalement à une personne souffrant de troubles psychiques, car elle peut s’étirer inexorablement sur plusieurs années, souvent sans objectif clairement défini à l’avance, reposant sur de grandes théories et certitudes, la plupart du temps non validées scientifiquement (comme le complexe d’Œdipe). Le risque est, notamment, d’emmener les gens là où ils ne veulent pas forcément aller, ou encore de voir leur état s’aggraver et de passer à côté de soins qui les auraient sûrement aidés davantage et plus rapidement.

En revanche, quand on va plutôt bien mais qu’on se pose des questions sur son enfance, qu’on ressent le besoin de faire certains liens, qu’on apprécie la démarche intellectuelle et historique derrière la psychanalyse, et qu’on a le temps et l’argent pour s’allonger sur le divan, on peut le faire si on en a envie, un peu comme une séance de bienêtre, un massage ou un moment pour soi. Il existe tout de même des risques clairs : faux souvenirs induits et emprise mentale principalement.

Extrait de : Baup H, Comment ça va, toi ? Le guide pratique de la santé mentale, Éditions Larousse, 2025.

Non, la dépression et les autres troubles psychiques n’ont rien à voir avec la volonté ou une quelconque faiblesse d’esprit. Il s’agit de maladies complexes et multifactorielles, mêlant vulnérabilités génétiques, épisodes de vie et facteurs de stress environnementaux, qui peuvent arriver à n’importe qui, et pour lesquels des traitements existent et fonctionnent. D’ailleurs, globalement, les médicaments psychotropes fonctionnent et, en ce sens, ne sont pas différents des autres médicaments [9].

Les médicaments vont me rendre zombie, accro ou me faire grossir

Comme tout médicament, ceux utilisés en psychiatrie comportent des effets indésirables à mettre en balance avec leurs bénéfices potentiels, comme toujours en médecine.

Oui, les anxiolytiques de la famille des benzodiazépines comportent un risque élevé d’addiction et de troubles de la mémoire et leur utilisation ne doit pas être banalisée [10]. Idéalement, il convient de ne pas excéder quelques semaines ou quelques mois, le temps que d’autres traitements de fond (antidépresseurs, psychothérapies) prennent le relais. Oui, certains médicaments antipsychotiques et certains antidépresseurs peuvent donner la sensation d’être ralenti, comme détaché de ses émotions, avec parfois des prises de poids.

Oui, quand on débute un antidépresseur, on peut parfois être plus irritable, plus impulsif, avec parfois une augmentation des idées suicidaires (surtout chez le sujet jeune de moins de 25 ans) [11].

Le médecin se doit d’informer en toute transparence la personne qu’il conseille et accompagne, afin de l’aider à faire le choix le plus éclairé possible concernant sa santé. Mais ces effets secondaires sont loin de concerner tous les patients, fort heureusement, et ils ne sont pas forcément constants, peuvent parfois disparaître en quelques jours ou si l’on diminue les doses. On peut aussi essayer une autre molécule qui n’entraînera pas forcément les mêmes effets secondaires.

« Les médicaments sont juste une béquille et ne traitent pas le problème en profondeur »

Voilà une autre idée reçue qui a la peau dure et qui voudrait nous faire croire qu’il existe une vérité cachée, dissimulée dans l’enfance (souvent), une racine du mal qu’il faut absolument découvrir pour se rétablir d’un trouble psychique. Une idée reçue qui oppose souvent la parole, l’écoute active et humaine du patient au prescripteur froid et sans scrupule, corrompu par Big Pharma.

Kate la Folle, Henry Fuseli (1741-1825)

En réalité, certains troubles psychiques peuvent en effet s’expliquer par des traumatismes psychiques de l’enfance et doivent bénéficier de traitements adaptés, notamment psychothérapeutiques. Mais on trouve aussi des troubles psychiques, comme le trouble bipolaire ou la schizophrénie, qui peuvent survenir chez des gens ayant eu une enfance tout à fait heureuse. Et un traitement médicamenteux régulateur de l’humeur ou antipsychotique pourra nettement améliorer leur qualité de vie, en parallèle d’autres mesures associées : soutien psychologique, hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité physique), éducation thérapeutique et réhabilitation psychosociale.

Le médicament n’est pas une simple béquille, c’est un véritable remède.

« Le sport est le meilleur antidépresseur »

C’est un slogan qu’on entend souvent à la télévision ou sur les réseaux sociaux. À en croire cette injonction, le sport conviendrait à tout le monde afin de garder le moral ou sortir d’une dépression, qu’importe son intensité. Il faudrait simplement se bouger pour… arrêter de ne plus bouger. Sauf que dans une dépression, les symptômes peuvent être si intenses qu’ils vous figent littéralement. Certaines personnes concernées ne peuvent même pas sortir de leur lit pour prendre une douche ou s’alimenter. Alors, devoir en plus affronter des messages de l’entourage ou des médias disant qu’il faut aller faire un footing et tout ira mieux, c’est lourdement faux en plus d’être hautement culpabilisant.

Oui, chez les personnes qui le peuvent, et dans des dépressions légères à modérées, l’activité physique adaptée (aux capacités de chacun) permet souvent (en complémentarité des autres traitements) d’aller mieux [12], de retrouver un peu d’élan, de limiter les risques ostéo-squelettiques et cardiovasculaires de la sédentarité, avec possiblement aussi une action anti-inflammatoire au niveau cérébral [13]. Ainsi, le sport ne peut être l’unique axe de prise en charge universelle permettant de terrasser toutes les maladies psychiques [14].

« On enferme et on attache encore les gens en psychiatrie »

En effet, les mesures d’isolement et de contention sont encore utilisées en France dans certains services de psychiatrie qu’on appelle les « unités de soins sans consentement ». Il s’agit de mesures de dernier recours [15], lorsque tout a été utilisé en amont et a malheureusement échoué, notamment les traitements (médicamenteux ou non) et les techniques de désescalade de la violence.

Tête de prisonnier(étude), Nikolaï Iarochenko (1846-1898)

Ces mesures comportent des risques réels : blessures du patient ou des professionnels, épisodes thrombo-emboliques (phlébites par exemple, à cause de l’immobilisation), traumatismes psychiques. Ces pratiques sont encadrées et les médecins qui les mettent en œuvre doivent les justifier à travers la rédaction de certificats, sous contrôle du juge des libertés et de la détention. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté peut être saisi, de même que le défenseur des droits [16]. Tout doit être fait pour limiter au maximum ces pratiques dont, par ailleurs, l’efficacité n’a pas été démontrée dans la littérature scientifique [17, 18]. Un pis-aller que l’on doit continuer de s’efforcer de faire disparaître.

« Les électrochocs, traitement barbare et torture, sont toujours utilisés »

Les électrochocs, que l’on appelle aussi sismothérapie ou électroconvulsivothérapie, sont utilisés quotidiennement en France et dans le monde entier. Ce traitement sauve des vies, notamment des personnes souffrant de dépression sévère, qui ne s’alimentent plus, qui sont en proie à des idées suicidaires majeures et chez qui les autres traitements ont échoué [19]. Il s’agit d’un traitement globalement bien toléré, pouvant cependant générer des troubles de la mémoire, le plus souvent réversibles. Véritable défibrillateur des psychiatres, il souffre encore malheureusement d’une très mauvaise réputation renvoyant à l’image de la barbarie des « asiles de fous », représentation véhiculée par des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ce traitement nécessite une anesthésie générale et, comme tout traitement, l’accord du patient [20].

« Les troubles psychiques ou neurodéveloppementaux de l’enfant, ce sont des problèmes d’éducation »

N’écoutez pas les gens, spécialistes ou non, qui vous disent que les parents sont toujours responsables du malheur de leurs enfants. Même s’il arrive que ce soit le cas, le plus souvent les parents ne peuvent pas grand-chose dans l’émergence d’un trouble psychique ou neurodéveloppemental chez leurs enfants. On entend encore malheureusement des phrases comme « cette mère d’enfant autiste est froide, ce n’est pas un hasard 2 », ou encore « cet enfant va mal car sa famille est toxique ».

La Muse de l’Électricité, H. Siddons Mowbray (1858-1928)

De nombreux troubles psychiques peuvent débuter dans l’enfance ou l’adolescence, comme des troubles anxieux, du comportement alimentaire ou des troubles de l’humeur, avec des parents tout à fait bienveillants et capables. Il en va de même concernant les troubles du neurodéveloppement dont le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et les troubles du spectre de l’autisme font partie. La pédopsychiatrie, sinistrée en France 3, est pourtant essentielle et sa nécessité doit être défendue. Il s’agit d’un métier complexe qui se fonde, entre autres, sur une enquête approfondie qui prend du temps : rencontrer l’enfant, ses parents, sa fratrie, les professionnels de la scolarité, les éducateurs, l’aide sociale à l’enfance, etc. Faire le point sur les différents éléments recueillis par cette constellation d’intervenants nécessite de la patience, mais aussi la capacité à porter à chaque instant un diagnostic pour éclairer l’enfant, ses parents, et initier des soins. Quitte à remettre le diagnostic en question au fur et à mesure de l’évolution de l’enfant, en gardant à l’esprit que la plasticité cérébrale à l’œuvre jusqu’à environ 25 ans peut modifier les symptômes dans un sens ou dans l’autre. Différents traitements sont disponibles chez l’enfant : guidance parentale, psychothérapie, médicaments, ateliers thérapeutiques, aménagements scolaires, activité physique adaptée, etc. De multiples acteurs peuvent être sollicités : orthophonistes, psychologues, psychomotriciens, médecins, ergothérapeutes, etc. Et lorsqu’on décide de donner un médicament à un enfant pour le soulager de symptômes identifiés, ce n’est pas une punition. C’est un soin comme un autre [21].

« Les douleurs psychiques, c’est dans la tête »

Cette dichotomie qui persiste entre le physique et le psychique est désuète. Considérer la tête comme quelque chose de déconnecté du reste ne repose sur rien. Les douleurs physiques pour lesquelles un substrat organique a été retrouvé peuvent tout à fait générer des troubles psychiques comme des troubles anxieux, une dépression ou des idées suicidaires. Inversement, des traumatismes psychiques comme des agressions sexuelles ou des viols peuvent entraîner des douleurs multiples (notamment de la sphère génitale, mais pas uniquement). Dire aux gens que « c’est psychologique, c’est dans la tête », c’est quelque part oublier que le cerveau est constitué de cellules dont l’activité, à la source de notre cognition, est chimique. La tristesse, les idées suicidaires, les ruminations anxieuses, ce sont des neurones qui interagissent et sont à l’origine de la souffrance. Même si nos examens paracliniques actuels ne permettent pas toujours d’identifier un mécanisme biologique, la douleur est bel et bien là, et elle ne vaut pas moins qu’une douleur physique dont la source est authentifiée.

Ainsi, en France, de plus en plus de consultations sont ouvertes pour apporter aux personnes un double regard, une double expertise, concernant des troubles à la frontière entre processus physiques et psychiques, et face auxquels il y a un réel bénéfice à réfléchir à deux : binôme psychiatre-neurologue, psychiatre-dermatologue, psychiatre-gériatre, etc. (voir par exemple [22]). Le patient a alors en face de lui deux experts qui tentent de comprendre la complexité de sa situation, d’apporter une réponse globale, et non pas un expert qui lui dit d’aller voir un autre parce que « moi je n’ai rien trouvé ».

Notons aussi que, malheureusement, les personnes souffrant de troubles psychiques sont moins bien prises en charge lorsqu’elles consultent aux urgences pour un problème de santé physique, par exemple une douleur thoracique [23]. Cette « étiquette psy » leur colle à la peau et fait que les soignants négligent souvent leurs douleurs, se disant que c’est comportemental, que c’est une recherche d’attention ou de « bénéfices secondaires ». En attendant, sur le brancard, l’infarctus se constitue, doucement mais sûrement. La science est très claire : les personnes avec troubles psychiatriques sévères bénéficient de moins de traitements de revascularisation dans ces situations [23]. En cause, entre autres, l’attitude stigmatisante de certains soignants et l’erreur d’attribution de symptômes vers le psychique plutôt que le physique. Notons aussi chez la personne concernée de fréquentes difficultés cognitives et de motivation pouvant altérer voire empêcher la demande d’aide. Ajoutons à cela un manque de coordination entre les différentes spécialités médicales.

Gravure d’Ambroise Tardieu illustrant l’ouvrage Des maladies mentales de J. -É. Esquirol (1838)



Conclusion

En somme, pour combattre efficacement les idées reçues en santé mentale et concernant les troubles psychiques, il faut d’abord comprendre d’où elles viennent, quelle est leur part de vérité, puis s’attaquer secondairement au message erroné qu’elles véhiculent. Les idées reçues ne viennent jamais de nulle part. Dans le cas de la psychiatrie, on peut suggérer différentes causes : une spécialité médicale encore trop poussiéreuse et nébuleuse, qui gagnera à mieux communiquer et à mieux informer, des abus et négligences que l’on peut parfois constater dans certains hôpitaux psychiatriques ou en libéral ou encore des « déçus de la psychiatrie », traumatisés par certaines prises en charge inadaptées.




Références


1 | Organisation mondiale de la Santé, « Troubles mentaux », 8 juin 2022. Sur who. int
2 | Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et la santé, « Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte du CCNE », Avis, 2025. Sur ccne-ethique. fr
3 | Sebbane D, « Les internes de psychiatrie vus par leurs confrères : jugés de près mais préjugés. . . », L’information psychiatrique, 2015, 5 : 417-26.
4 | Consumer Science & Analytics,« Baromètre CNUP : les Français et la psychiatrie », rapport, 2024. Sur csa.eu
5 | Service d’information du gouvernement, « La santé mentale, grande cause nationale en 2025 », 7 avril 2025. Sur info. gouv. fr
6 | Crockett MA et al. , “Interventions to reduce mental health stigma in young people : a systematic review and meta-analysis”, JAMA Network Open, 2025, 8 : e2454730.
7 | Miviludes, « Quelles sont les méthodes les plus répandues ? », rubrique « S’informer ». Sur miviludes. interieur. gouv. fr
8 | Laurent B, « La femme enracinée : la lignée des femmes », Terres de femmes, 2025. Sur terres-de-femmes. fr
9 | Leucht S et al. ,“Putting the efficacy of psychiatric and general medicine medication into perspective : review of meta-analyses”, British Journal of Psychiatry, 2012, 200 : 97-106.
10 | Gouvernement du Canada, « Benzodiazépines », 8 février 2023. Sur canada. ca
11 | Voegeli Planquette D, « Suicidalité sous antidépresseurs : aspects cliniques et étude cas-témoin pharmacogénétique », Médecine humaine et pathologie, 2015, 1-57.
12 | Singh B et al. , “Effectiveness of physical activity interventions for improving depression, anxiety and distress : an overview of systematic reviews”, British Journal of Sports Medicine, 2023, 57 : 1203-9.
13 | Singh B et al. , “Effectiveness of exercise for improving cognition, memory and executive function : a systematic umbrella review and meta-meta-analysis”, British Journal of Sports Medicine, 2025, 1-11.
14 | Fabiano N et al. , “The evidence is clear, exercise is not better than antidepressants or therapy : it is crucial to communicate science honestly”, Journal of Physical Activity and Health, 2024, 22 : 161-2.
15 | Haute Autorité de santé, « Isolement et contention en psychiatrie générale », Recommandation de bonne pratique, mars 2017. Sur has-sante. fr
16 | Direction de l’information légale et administrative, « Soins pour troubles psychiatriques », 15 février 2022. Sur service-public.fr
17 | Touitou-Burckard E et al. , « Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements », Institut de recherche et documentation en économie de la santé, Questions d’économie de la Santé, 2024, 286. Sur irdes. fr
18 | Sailas EES, Fenton M, “Seclusion and restraint for people with serious mental illnesses”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 24 janvier 2000.
19 | Sauvaget A et al. , « Efficacité et tolérance de l’électroconvulsivothérapie en psychiatrie, une mise au point », Bulletin de l’Académie nationale de Médecine, 2023, 207 : 441-9.
20 | Richa S, De Carvalho W, « Les principes éthiques de l’électroconvulsivothérapie », L’Encéphale, 2016, 42 : 594-7.
21 | Haute Autorité de santé, « Troubles du neurodéveloppement : repérage et orientation des enfants à risque », Recommandation de bonne pratique, mars 2020. Sur has-sante. fr
22 | Société française de dermatologie, « Groupe psychodermatologie », 2021. Sur sfdermato. org
23 | Kwun Nam Chan J et al. , “Mortality, revascularization, and cardioprotective pharmacotherapy after acute coronary syndrome in patients with severe mental illness : a systematic review and meta-analysis”, Schizophrenia Bulletin, 2022, 48 : 981-8.

1 Terme employé ici en synonyme de « troubles psychiatriques ».

2 En référence à la théorie psychanalytique qui rendait les mères responsables de l’autisme de leur enfant (« mère réfrigérateur »).

3 La pédopsychiatrie n’attire plus les jeunes internes en médecine. Elle est très chronophage, nécessite une approche complexe et multifactorielle et un travail d’enquête rigoureux. Elle manque aussi d’homogénéité dans ses pratiques, pas toujours fondées sur les preuves.

Publié dans le n° 353 de la revue


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L'auteur

Hugo BAUP

Psychiatre au sein du centre hospitalier de Périgueux et dans des établissements médico-sociaux (foyers de vie, (…)

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