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Science & Vie et Dieu. La pensée pauvre, pauvres de nous.

Publié en ligne le 17 janvier 2006 - Science et religion -
par Monique Bertaud - SPS n° 269, octobre 2005

« D’étonnants travaux en neurobiologie l’affirment aujourd’hui : l’homme est programmé pour croire en Dieu, via la structure même de son cerveau et, surtout, une petite molécule dont le rôle crucial vient d’être identifié. Et ce n’est pas tout. Car la foi apparaît vitale contre l’anxiété, au point que les croyants vivent mieux et plus longtemps que les autres ! Dans ces conditions, le sentiment religieux ne peut s’éteindre...

Voilà donc l’introduction au dossier du mois d’août de Science & Vie n° 1055 réalisé par Nicolas Revoy et Isabelle Bourdial.

L’étonnement feint ou sincère de découvrir des bases biologiques aux phénomènes mentaux témoigne de la difficulté à se dégager du mode de pensée dualiste auquel de grands esprits n’ont pas échappé. Le philosophe Henri Bergson ne déclarait-il pas : « L’hypothèse d’une équivalence entre état psychologique et état cérébral implique une véritable absurdité ».

Soyons clairs, il n’est pas question ici de discuter de l’existence de Dieu mais d’analyser les arguments développés à propos de son inscription dans le cerveau humain. Le dossier de Science & Vie, mêlant subtilement vérités et contrevérités, est le prototype affligeant de ce qu’est devenue une partie de la presse dite de vulgarisation scientifique en France : titres accrocheurs, juxtaposition de données sans aucun sens de la synthèse, développement de données de base pointues pour faire savant mais sans en maîtriser les tenants et aboutissants, affirmations péremptoires...

Nous allons donc tenter de décortiquer quelques-unes de ces contrevérités.

La religiosité de la peau de banane

« Notre cerveau est programmé pour croire. Des récents travaux en neurobiologie le montrent : structure, chimie, cognition... tout dans notre cerveau nous pousse à coire. Mieux : une « molécule de la foi » aurait été identifiée(...) » 1. « La sérotonine démasquée » 2

La rédaction de ce passage est assez confuse. L’expérience a consisté à confronter le taux de récepteurs 5HTA1 de 15 volontaires à leur degré de religiosité. On ne saura que peu de chose sur le protocole de mesure du degré de religiosité, ce qui paraît pourtant fondamental pour apprécier le sérieux de l’expérience relatée. On a droit au développement illustré du rôle des récepteurs 5HTA1 dans le métabolisme de la sérotonine (5 hydroxytryptophane ou 5 HT). Mais on ne pourra pas juger de la pertinence des questions retenues parmi les 238 du TCI 3 puisqu’elles ne sont pas précisées. On retrouve là la démarche fréquemment encontrée évoquée plus haut : la distorsion entre le détail des données techniques en une sorte de copié-collé et l’ellipse en ce qui concerne le domaine de la réflexion.

De plus, une corrélation n’indique en aucune façon ce qui est la cause et ce qui est l’effet (ni même d’ailleurs s’il y a simplement causalité). L’hypothèse selon laquelle le taux de sérotonine ne serait pas le déterminant mais la résultante n’a pas été soulevée, ce qui témoigne d’un a priori non conforme à une démarche scientifique. Par exemple, on connaît depuis longtemps la corrélation entre une violente émotion comme la peur et le taux d’adrénaline secrétée : c’est la peur qui détermine la sécrétion d’adrénaline et non l’adrénaline qui déclenche la peur !

Il faut remettre le raisonnement à l’endroit, sinon on pourrait s’interroger sur la religiosité de la peau de banane qui contient 150 mg/g (ce qui est considérable) de sérotonine, ou encore sur la profondeur de la foi des escargots dont les neurones constituent une excellente base d’étude du métabolisme 5HT.

Depuis les premiers métazoaires il y a 700 millions d’années, les systèmes nerveux sont constitués des mêmes neurones, des mêmes influx et des mêmes médiateurs. C’est l’organisation des systèmes nerveux qui change. Essayez donc de faire décoller des brouettes pleines de kérosène !

« Il n’empêche, si nous croyons, c’est bien parce que notre cerveau nous y programme chimiquement » 4 insiste Nicolas Revoy, méconnaissant ainsi l’inscription cérébrale des phénomènes sociaux.

Alors, génétique, la foi ?

Notons au passage que l’on ne dit plus biologique mais génétique. Ce qui n’est pas innocent car, dans l’imaginaire collectif, le génétique serait irrémédiablement fixé (le titre du dossier l’annonce : Pourquoi Dieu ne disparaîtra jamais), alors que les systèmes biologiques sont des ensembles complexes de niveaux intégrés, dont chacun a ses propres lois, parcourus de flux d’échanges permanents entre eux et avec leur environnement. Si nous pouvons espérer vivre plus de 80 ans, la plupart des molécules qui nous constituent ont une durée de vie qui se compte en minutes.

Le génome d’une espèce est la caractéristique fondamentale commune des individus qui la constituent. C’est ce qui fait que nous ne sommes ni des rats ni des libellules.

C’est notre génome homo qui nous confère l’aptitude à la locomotion bipède permanente. Cette fonction biologique, qui définit l’espèce humaine, peut être abolie par une lésion cérébrale bien connue. Il ne s’agit pas de troubles moteurs mais de pathologie du geste, que l’on appelle l’apraxie de la marche.

On sait depuis au moins un siècle que les enfants sauvages qui se sont développés hors de tout contact humain n’ont jamais acquis la bipédie 5. Ce qui signifie que cette fonction biologique spécifique de l’homme, bien qu’innée, ne peut se mettre en place en dehors de la société humaine. Elle serait en quelque sorte contagieuse.

Autrement dit : pas de gène homo, pas de bipédie, pas de société humaine, pas de bipédie non plus. Y aurait-il une molécule de la bipédie ?

Équipés pour croire

« Ces travaux nous montrent que nous sommes très bien équipés cognitivement pour croire » 6. Que les noyaux vestibulaires et le cortex pariétal participent à l’élaboration du schéma corporel est une notion connue depuis le XIXe siècle 7.

Fragments découpés dans Science & Vie, n° 1055

Les troubles des limites de l’espace corporel, comme l’impression de se voir depuis le plafond, rencontrés en pathologie donnent lieu à des interprétations des patients très corrélées au contexte social : en France, la plupart des patients se demandent avec angoisse s’ils sont devenus fous.

Les moines tibétains

En 2001, l’imagerie cérébrale de 8 moines tibétains aurait mis en évidence une baisse de l’irrigation des zones pariétales au cours de la méditation. Cet état est obtenu par une technique de respiration, nous dit-on 8.

On peut s’étonner que dans un pays aussi religieux que les États-Unis (in God we trust), où a été mené l’expérience, il faille avoir recours à huit moines tibétains pour étudier les modifications métaboliques de la méditation. On nous annonce une évidence qui laisse songeur : « plus la méditation semblait profonde, plus la zone du cortex pariétal supérieur du cerveau... s’assombrissait ». Sur quels critères apprécier la profondeur en question pour la corréler à la TEP 9 ? On ne peut qu’admirer les capacités de détachement des moines qui parviennent à méditer dans les conditions très concrètes d’une TEP !

Signalons ici que l’alcalose sanguine entraînée par une hyperventilation déclenche une vasoconstriction réflexe au niveau cérébral, ce qui n’a rien de spécifiquement religieux.

Enfin, la méditation ne peut-elle être que religieuse ?

La foi, remède miracle

« La foi, remède miracle contre l’anxiété », « Ce n’est pas un hasard si croire en Dieu augmente l’espérance de vie » 10. En 2002 David B. Larson (États-Unis) est parvenu à estimer que les croyants vivaient en moyenne 29 % plus longtemps que les non-croyants 11.

Plus que tout discours, observons les chiffres fournis par l’OMS 12 au sujet de pays où la ferveur religieuse est telle qu’elle ébranle les raisons de vivre comparés à des pays où le critère religieux reste accessoire.

PaysEspérance de vie moyenne
homme/femme
Allemagne 77
Arabie Saoudite 70
Belgique 77
France 80
Inde 61
Irlande 77
Israël 78
Mongolie 63
Népal 58
Pakistan 60
USA 76,5
Yemen 60

On peut critiquer ce tableau en évoquant les différences de niveau économique. Comparons deux états de niveau économique équivalent 13 :

PaysHommesFemmes
France 75 83
Israël 76 80

On voit que l’espérance de vie en France où 42 % de la population estime que l’être humain disparaît totalement à la mort 14 est sinon supérieure au moins équivalente à celle d’un État comme Israël, fondé en référence à la Terre Promise. C’est d’ailleurs en France, qui célèbrera cette année le centenaire de la séparation des églises et de l’État, que l’espérance de vie est la plus élevée.

La pratique religieuse, remède contre la maladie d’Alzheimer ?

« La pratique religieuse est efficace contre la maladie d’Alzheimer » 15. On nous indique que l’intensité de la pratique religieuse est évaluée par questionnaire ! La maladie d’Alzheimer est une démence associant aphasie, apraxie, agnosie. Or l’aphasique s’exprime en jargon et ne comprend pas ce qu’on lui dit 16. L’apraxie est la perte de l’organisation gestuelle qui rend inapte à l’utilisation d’objets. L’agnosie est l’incapacité de reconnaissance des informations sensorielles visuelles, tactiles ou auditives.

On mesure la pertinence d’un questionnaire sur la foi religieuse de tels patients.

L’irrésistible ascension de Dieu depuis les origines

« L’irrésistible ascension de Dieu depuis les origines ». « Le sentiment religieux n’est pas prêt de s’éteindre : depuis trois millions d’années, il ne cesse de gagner du terrain. Pour toucher aujourd’hui 85 % de la population mondiale » 17.

Nous n’épiloguerons pas sur le chiffre des 85 % qui, de toute façon est sans intérêt puisque, par définition, pour établir une progression, les enfants de l’école primaire savent qu’il faut au moins deux données. Et on ne nous fournit pas les statistiques des pratiques religieuses du pléistocène !

« La religion bouscule notre perception du monde » 18..Cette dernière partie tranche nettement sur le reste du dossier. Il ne s’agit plus d’un article de journaliste mais d’un entretien avec Scott Atran, anthropologue qui fait part d’une réflexion intéressante à propos de la puissance de conviction de l’émotion, bien supérieure à celle de la logique et de la raison.

On pourra seulement s’étonner qu’il ne retienne que deux exceptions au principe selon lequel il n’existerait pas, selon lui, de société non religieuse qui ait pu durer plusieurs générations : L’URSS et la Grèce de Périclès. Comment définit-il une « société non religieuse » ? Et juste cent ans (au moins quatre générations) après la loi de séparation des églises et de l’état, où situe-t-il la France ?

Conclusion

À partir du moment où l’on admet que le cerveau est l’organe de la pensée, il est assez paradoxal de s’extasier sur le fait que les phénomènes mentaux aient des bases biologiques, c’est-à-dire moléculaires, anatomiques et physiologiques. La crédulité est un comportement bien connu, il n’est donc pas étonnant que l’on puisse détecter des bases cérébrales à ce phénomène.

Ce qui relève plus de la conviction que de l’analyse scientifique, c’est de glisser du concept de croyance en général, à celui de croyance en Dieu. Le premier s’intègre dans le domaine de la recherche sur les systèmes résonnants 19. Le second est de l’ordre du politique. C’est le mélange des genres qui définit l’imposture.

Cet article est une sorte de controverse de Valladolid du XXIe siècle qui pose la question de la définition de l’espèce humaine : si le cerveau humain est programmé de façon inéluctable pour croire en Dieu, dans quelle espèce convient-il de classer le cerveau des athées ?

1 Sc. & V., p. 48.

2 Sc. & V, p. 50.

3 Les auteurs de l’expérience disent avoir identifié dans le TCI (Temperament and Character Inventory) une « série de questions destinée à évaluer la religiosité du sujet ». Le TCI est un outil utilisé en psychiatrie pour évaluer l’importance relative de différents traits de personnalité d’un individu. Ce test identifie 7 dimensions. Aucune ne porte explicitement sur une « religiosité » qui resterait à définir. Le plus proche étant la transcendance (selftranscendence) dont le lien avec la religiosité mériterait d’être clarifié.

4 Sc. & V, p. 51, 2e colonne.

5 Lucien Malson : Les enfants sauvages, 10/18, 1964.

6 Sc. & V, page 51, propos rapportés de Andrew Newberg, neurobiologiste dont l’article rapporte en détail les travaux.

7 cf. SPS n° 267 « Être hors de soi ».

8 Sc. & V, pages 50 et 51.

9 TEP : Tomographie par émission de positons, technique d’imagerie fonctionnelle, qui permet d’étudier les organes suivant des plans de coupe.

10 Sc. & V, page 54.

11 p 54, 1re colonne.

12 OMS : rapport sur la santé dans le monde. 2001.

13 ibid

14 sondage CSA in Actualités des religions, novembre 1999.

15 Sc. & V, encadré page 57.

16 Petit exemple de jargon aphasique : « les rabumes sont campourgnés ».

17 Sc. & V, page 58.

18 Sc. & V, page 64.

19 Un système résonnant est une boucle fonctionnelle intégrant des centres distribués sur des aires distantes dans le cerveau et appariant observation, action et expérience d’émotion.