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Tout est chimique dans les produits naturels

Publié en ligne le 3 mai 2023
Tout est chimique dans les produits naturels
Alain Saint-Pierre
Éditions Maïa, 2022, 140 pages, 18 €

Le titre ne reflète pas complètement le contenu de cet ouvrage proposé par Alain Saint-Pierre, docteur en pharmacie et membre de l’Académie nationale de pharmacie. On pourrait s’attendre à des explications détaillées sur la distinction, fréquente chez les personnes qui n’ont pas de formation scientifique, entre le « naturel », qui serait bon pour la santé par essence, et le « chimique », qui serait, lui, mauvais. Par « chimique », il faut en effet comprendre « synthétique », c’est-à-dire qui a été fabriqué par les humains en utilisant des procédés de la chimie.

A. Saint-Pierre explique effectivement qu’il est infondé scientifiquement de considérer qu’un produit naturel est forcément meilleur qu’un produit synthétique : la matière a des propriétés qui sont indépendantes de l’origine, naturelle ou synthétique. Il aurait dû aller plus loin et développer l’idée que l’adjectif « chimique » devrait être utilisé dans le sens de « concerne la chimie en tant que science », mais ce n’est pas le cas, alors que c’était nécessaire pour donner du sens au titre de l’ouvrage : les produits naturels sont constitués de molécules, tout comme les produits synthétiques, et c’est la chimie qui permet d’étudier certaines de leurs propriétés. Au contraire, dans des expressions telles que « molécules chimiques », « médicaments chimiques » ou « produits chimiques », l’adjectif « chimique » utilisé au lieu de « synthétique » entretient quelque peu la confusion.

En dehors de cela, la première partie du livre traite des risques à utiliser certaines substances naturelles. Des plantes sont toxiques et ne doivent évidemment pas être consommées. Les huiles essentielles ne sont pas anodines et la prudence est de mise lors de leur utilisation. Les produits d’origine naturelle peuvent aussi contenir des agents infectieux (un prion, dans la crise de la vache folle), ou être contaminés par des bactéries ou des moisissures (l’ergotisme, une maladie qui a fait de nombreux morts au Moyen Âge, est causée par une moisissure sur le seigle), même si c’est moins fréquent de nos jours en raison des normes sanitaires adaptées. A. Saint-André rappelle aussi que l’allergie au lactose n’existe pas, mais qu’une intolérance est possible. Il explique également que rares sont les personnes qui ne peuvent effectivement pas manger de gluten, et nombreuses pensent être concernées à tort. Enfin, il évoque le tabac qui, bien que tout à fait naturel, intoxique encore aujourd’hui bien trop de gens.

La deuxième partie concerne le choix à faire entre des produits d’origine naturelle ou des produits d’origine synthétique. Quel est le meilleur choix ? Le premier exemple est celui des compléments alimentaires. L’auteur explique qu’il préfère consommer de la vitamine C synthétique (médicament) car un médicament nécessite une autorisation de mise sur le marché (AMM) avant commercialisation, et sa composition est ainsi plus contrôlée que celle d’un complément alimentaire (commercialisable sans AMM) qui contient de la vitamine C d’origine naturelle. Il écrit aussi que « certains compléments alimentaires peuvent contenir des ingrédients chimiques ajoutés aux extraits de plantes ». Cette formulation laisse penser qu’un complément alimentaire possède toujours un principe actif d’origine naturelle. Mais c’est faux : le principe actif d’un complément alimentaire peut tout à fait être synthétique, bien que les fabricants misent souvent sur le « naturel » pour vendre plus. Le second exemple est celui de l’homéopathie, « vrai ou faux remède naturel ? » Là encore, l’auteur laisse croire que l’homéopathie est d’origine naturelle. C’est vrai pour une grande majorité des principes actifs utilisés (extraits de plantes ou d’animaux), mais ce n’est pas du tout le cas pour d’autres 1 ! Ces exemples choisis – compléments alimentaires ou homéopathie – devraient donc plutôt permettre de montrer que la frontière entre le « naturel » et le « synthétique » n’est pas si nette que cela… mais que c’est surtout un argument marketing !

A. Saint-Pierre rappelle qu’aucune étude scientifique menée avec soin n’a pu apporter la preuve de l’efficacité de l’homéopathie vis-à-vis de l’effet placebo, contrairement aux autres médicaments. Et qu’il y a un « risque de perte de chance pour la guérison du patient » à utiliser l’homéopathie au lieu de véritables soins médicaux. Cependant, il ajoute que « dans certains services de cancérologie, il existe des praticiens homéopathes qui travaillent avec les cancérologues, non pas pour traiter la maladie, mais pour soulager les effets indésirables des médicaments anticancéreux. Ce type de collaboration est souhaitable et semble donner de bons résultats. » Mais ce point de vue est discutable : pour quelle raison des soins de confort ne devraient pas aussi bien apporter la preuve de leur efficacité ? Même en soins d’accompagnement, la HAS, dans sa récente évaluation de l’homéopathie, n’a pas noté de bénéfices prouvés. L’auteur souhaite en outre le maintien « d’une formation [...] validante dans les facultés de médecine et de pharmacie pour que l’homéopathie soit préférentiellement réservée aux docteurs en médecine et aux docteurs en pharmacie qui sauront apprécier les pathologies qui peuvent bénéficier de l’homéopathie et celles qui ne le peuvent pas ». Cet avis aurait également mérité une argumentation. L’auteur indique bien qu’aucune efficacité propre n’a été identifiée pour l’homéopathie, on imagine alors mal quelles pathologies pourraient en tirer un bénéfice prouvé. La question sous-jacente est peut-être celle de l’usage du placebo. Mais la question aurait gagné à être traitée comme telle.

La troisième et dernière partie traite des produits de biotechnologie. Par rapport à la création de variétés végétales par les méthodes classiques (hybridation et sélection), les OGM sont présentés comme un moyen d’obtenir bien plus rapidement « des plantes ayant les caractéristiques souhaitées », même si « les écologistes se sont appliqués à les diaboliser », alors qu’ils font l’objet d’une évaluation des risques avant commercialisation. A. Saint-Pierre explique que les OGM doivent être utilisés pour d’une part, « éviter l’usage massif des phytosanitaires », et d’autre part, pour permettre à l’agriculture de s’adapter au changement climatique.

Finalement, l’auteur rappelle que « le rapport bénéfice/risque des vaccins est parmi les plus élevés de tous les médicaments ». Il développe quelques exemples (vaccine, hépatite B, rougeole, Covid-19…) en expliquant les différents types de vaccins existants (à virus atténué, à ARN messager, etc.) et démonte les arguments les plus fréquents des antivax.

Notons quelques imprécisions. Ainsi, la lumière polarisée n’est pas « déviée » par certaines molécules (énantiomères), il s’agit seulement d’une rotation du plan de polarisation. A. Saint-Pierre écrit que, en Inde, « les efforts d’éducation permettent de penser que la population restera moins nombreuse que celle de la Chine dans les années à venir ». Bien au contraire, les taux de natalité étant très différents, c’est dès cette année que la population de l’Inde va dépasser celle de la Chine 2. L’auteur écrit aussi que le Giec est « une organisation intergouvernementale regroupant quelque cent quatre-vingt-quinze scientifiques ». Il semble y avoir une confusion avec le nombre d’États membres du Giec (195 effectivement 3), car la rédaction d’un rapport du Giec fait appel au travail d’environ 800 experts.

Un référencement plus précis et plus détaillé aurait été profitable : le lecteur dispose seulement d’une liste de seize références de livres, de sites Internet ou d’articles scientifiques à la fin de l’ouvrage. Malgré cela, une personne intéressée par le sujet important traité dans l’ouvrage profitera de cette lecture pour enrichir sa réflexion.

1 Citons seulement quelques exemples : Acetanilidum (de l’acétanilide), Ammonium muriaticum (du chlorure d’ammonium), Nitricum acidum (de l’acide nitrique), Kalium Bichromicum (du dichromate de potassium) ou encore Plutonium nitricum (du nitrate de plutonium) qui ne sont pas « naturels », mais synthétiques !


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Auteur de la note

Kévin Moris

Kévin Moris est ancien élève de l’École normale (...)

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