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Agriculture biologique : espoir ou chimère ?

Publié en ligne le 3 août 2013
Agriculture biologique : espoir ou chimère ?

Marc Dufumier, Gil Rivière-Wekstein et Thierry Doré
Le muscadier, 2013, 128 pages, 9,90 €

Le sujet de l’agriculture biologique se prête particulièrement bien à cette formule originale de la collection « Le Choc des idées » qui consiste en un débat contradictoire entre deux experts qui s’opposent et une tentative d’arbitrage par un médiateur. Les deux contradicteurs sont connus pour leur avis favorable à une expansion de l’agriculture biologique, Marc Dufumier, ou très critique sur ce mode de production, Gil Rivière-Wekstein. Le médiateur, Thierry Doré, est reconnu pour ses compétences d’agronome et son objectivité, voire sa sagesse. Son introduction permet déjà de comprendre les bases de l’agriculture biologique (AB) et de mettre en avant ses forces et ses faiblesses, ensuite détaillées par ses deux co-auteurs. Il insiste particulièrement sur la grande diversité des modes de production agricole qui ne se limite pas aux deux formes extrêmes de l’agriculture intensive, dite industrielle, et de l’agriculture biologique, et il donne sans complaisance ni parti pris les principaux éléments du débat sur l’identité, la sincérité et la légitimité de l’agriculture biologique.

Le premier contradicteur, Marc Dufumier, après avoir énoncé les objectifs généraux de l’agriculture de demain, notamment la nécessité de doubler la production alimentaire mondiale avant 2050, se livre à une critique sévère de l’agriculture intensive, notamment de la sélection génétique (dont, bien sûr, la transgénèse), proposant curieusement le retour à la sélection massale assurée par les agriculteurs. Il regrette aussi, à juste titre, les méfaits d’une spécialisation exagérée et souhaite une meilleure association entre production végétale et élevage. Il prône une meilleure valorisation de la photosynthèse, un bon recyclage des matières organiques et le recours aux légumineuses pour l’apport d’azote, des rotations et associations culturales, autant de bons principes agronomiques que l’on ne peut qu’approuver. Son éloge de l’agriculture biologique repose sur ces bons principes dont il fournit de nombreux exemples pratiques de réussite, surtout pris dans un contexte de pays pauvres à faible productivité. Tel est le cas de l’agroforesterie dont la bonne mise en pratique permet d’augmenter les rendements. Cependant, il fait souvent l’amalgame entre agriculture biologique et agrobiologie, laquelle ne renonce pas de façon dogmatique à tout intrant chimique de synthèse et assure donc des rendements bien plus élevés. En effet, et là se situe le paradoxe, comment vouloir augmenter fortement la production alimentaire mondiale et souhaiter la généralisation d’une agriculture dont les rendements sont considérablement plus faibles ?

Le deuxième contradicteur, Gil Rivière-Wekstein commence par condamner l’interdiction de principe de tout produit chimique de synthèse (engrais et produits phytosanitaires) en agriculture biologique, montrant qu’il s’agit d’une « agriculture du refus » et appuyant son raisonnement sur des bases historiques, remontant, sans doute trop longuement, aux origines multiples de l’agriculture biologique et démontrant, citations multiples à l’appui, les motivations idéologiques et politiques de ses pionniers. Il est vrai que bon nombre d’arguments portant sur le respect de la mère-nature, du sol nourricier ou sur des théories vitalistes doivent être dénoncés, mais la plupart sont maintenant abandonnés par les tenants les plus raisonnables de l’agriculture biologique. Selon Gil Rivière-Wekstein, celle-ci se caractérise aussi par le refus de la mondialisation, voire du capitalisme, faisant l’éloge de la campagne et prônant le retour à la terre et à la petite exploitation. Enfin, autre refus dénoncé, celui des biotechnologies pour l’amélioration génétique des plantes. Il rappelle aussi que la part de marché des aliments bio est inférieure à 3 % et que, compte tenu de leur prix beaucoup plus élevé à valeur nutritionnelle et sanitaire comparable, il y a peu de chances que cette « niche » augmente considérablement.

Dans des « droits de réponse », chacun des contradicteurs revient sur les critiques qui lui sont faites, l’un pour réfuter l’expression « agriculture du refus » qualifiant l’agriculture biologique, l’autre pour défendre le progrès génétique dans l’amélioration des plantes.

La tentative du médiateur de trouver des points de convergence est louable mais globalement vaine, tant les points de vue sont opposés. Il relève que les deux contradicteurs s’accordent pour dire que les modes actuels de production agricole sont perfectibles, que les agricultures de demain seront différentes et qu’il importe de prendre aussi en compte l’insertion de l’agriculture biologique dans la société pour en discuter le bien-fondé. Il insiste à juste raison sur la diversité des agricultures qui ne se limitent pas à ses formes extrêmes, intensive ou biologique, mais prône une agriculture écologiquement intensive qui allie forte productivité et protection de l’environnement. Enfin, il laisse le soin au lecteur de se faire sa propre opinion sur l’avenir de l’agriculture biologique. Voici donc la nôtre.

Dans l’ensemble, les auteurs ne discutent pas suffisamment les perspectives de développement de l’agriculture biologique, certainement plus modestes que d’aucuns le prévoyaient. Le principal frein pour le consommateur sera la prise de conscience progressive de l’absence de bénéfice santé fourni par les aliments bio pour des prix d’achat considérablement plus élevés. Pour l’agriculteur, la concurrence inévitable des produits « bio industriels » importés par la grande distribution et le manque de compétitivité économique (coûts de production élevés, rendements faibles, forte hausse des prix des céréales conventionnelles) n’incitent pas à la conversion. Il en résulte que la part de l’agriculture biologique dans la superficie cultivable en France peine toujours à dépasser 3 %, très loin des objectifs irréalistes du Grenelle de l’environnement. Enfin, pour nourrir la planète, le moyen le plus sûr et le plus rapide de doubler ou tripler les rendements des céréales dans les pays en développement serait de favoriser l’accès à de bonnes semences et à un minimum d’engrais minéraux, ce que l’agriculture biologique ne permet pas.

Sur l’agriculture biologique : Le tout bio est-il possible ? 90 clés pour comprendre l’agriculture biologique, Bernard Le Buanec (coord.) et un groupe de travail de l’Académie d’Agriculture de France, Éditions Quae, 2012, 240 pages, 23 € (voir la note de lecture sur notre site.