Au nom de la science ?
Publié en ligne le 7 octobre 2025 - Science et décision -
Les débats autour de la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (loi Duplomb finalement promulguée le 11 août 2025 [1]) ont été très vifs. Un article de la proposition en particulier a cristallisé une partie de la controverse, celui relatif à une autorisation dérogatoire de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (disposition finalement censurée le 7 août 2025 par le Conseil constitutionnel [2]). Que ce soit pour défendre sa réintroduction ou au contraire la rejeter, de nombreuses voix ont voulu faire découler leur position de « la science » : « au nom de la science », l’acétamipride devait être interdite ou, au contraire, autorisée (voir le communiqué de l’Afis dans ce numéro de SPS [3]). La science est un puissant argument d’autorité qui a vite fait d’étouffer tout débat.
Or, « la science » ne dicte en rien ce que doit être la décision, elle éclaire les solutions possibles. En ce sens, il n’y a que des décisions politiques, jamais des « décisions scientifiques » : la connaissance scientifique est neutre et non prescriptive. Elle joue cependant un rôle fondamental dans le processus de décision : en contribuant à décrire une situation, établir un diagnostic et quantifier les risques, elle aide à instruire un rapport risques-bénéfices et comparer différents scénarios entre eux. Mais, in fine, la gestion des risques et la hiérarchie des priorités restent fondamentalement des choix politiques. On peut cependant regretter que, trop souvent, l’état des connaissances scientifiques ne soit pas explicité dans les motivations initiales des projets et propositions de loi (voir le dossier « Transparence dans la décision politique » dans ce numéro de SPS).
Au-delà de ce constat, on peut remarquer que « la science » est très souvent malmenée dans ces controverses, faute de bien définir ce dont on parle. Le terme « science » est polysémique et peut ainsi facilement être utilisé pour brouiller les cartes de la discussion. Il est alors important de distinguer quatre acceptions du mot « science » [4] :
- l’ensemble des connaissances acquises sur un sujet, incluant les incertitudes associées ;
- la méthode scientifique par laquelle on met à jour ces connaissances (incrémentale, collective, réfutable…) ;
- les applications de la science (les technologies) ;
- la communauté des scientifiques, les chercheurs, les institutions, les financements, la réglementation…
De manière évidente, les deux dernières acceptions sont largement déterminées par les choix politiques et le contexte social et culturel. Et quand on parle de « neutralité de la science », on se réfère bien entendu principalement au premier sens, au corpus scientifique acquis sur un domaine. Quand l’Afis affirme que « la science » ne dicte pas la décision politique, qu’elle n’est pas prescriptive, elle fait bien entendu référence à l’état des connaissances scientifiques. Certes, dans la pratique, la réalité peut parfois être complexe : la nature des décisions à prendre détermine en partie la connaissance qui doit être élaborée ; les incertitudes scientifiques viennent souvent se loger aux interfaces de la décision politique. Mais bien séparer science et décision pour mieux articuler la manière dont la seconde est éclairée par la première est un prérequis pour un débat démocratique et des décisions efficaces.
Les protagonistes d’une controverse devraient veiller à bien préciser à quelle acception du mot « science » ils font référence quand ils l’invoquent à l’appui de leurs propos. Ne pas le faire laisse une large place aux tours de passe-passe rhétoriques : « la science » au sens des connaissances produites pourra ainsi être accusée d’être corrompue du fait que certains chercheurs sont effectivement corrompus ; « la science » se verra qualifiée de néfaste au nom d’un jugement moral porté sur certaines de ses applications ; et « la science » validerait ou invaliderait une décision.
« Au nom de la science », assurons-nous d’abord de rapporter ce qu’elle dit pour remettre le débat à sa place, celui d’« une analyse risques-bénéfices où aucune solution n’a que des avantages et aucun inconvénient, et réciproquement » [3].
1 | loi Duplomb du 11 août 2025 visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur - Légifrance-
2 | Décision n° 2025-891 DC du 7 août 2025 - Communiqué de presse
3 | « Loi Duplomb. Rapport bénéfice-risque : quand le débat oublie la science », communiqué de l’Afis, 9 août 2025 (à lire dans ce numéro de Science et pseudo-sciences).
4 | Sokal A, « Un débat mal compris », Les Cahiers rationalistes, numéro 526, 1er juin 1998. Sur union-rationaliste.org

Une poignée de main ambiguë, un passage de relais, qui nous racontent l’importance pour les « sorcières » modernes et la lutte féministe de se relier en toute sororité à l’Histoire et à ses héritages : féminicide, médecine douce, célibat, culte de la beauté.
Publié dans le n° 354 de la revue
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Science et décision
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