Loi Duplomb – Rapport bénéfices risques : quand le débat oublie la science
Publié en ligne le 9 août 2000 - Science et décision -
Communiqué
Des habitants sont invités à fermer leurs fenêtres et à rentrer le linge, les jouets, les gamelles et les animaux afin de permettre à des véhicules de passer dans la rue en pulvérisant un insecticide à base de pyréthrinoïdes. Il est ensuite demandé d’attendre une heure avant de pouvoir sortir à nouveau. Cela se passe en France, à Limoges, en 2025, et l’opération n’a en fait rien d’exceptionnel. Pourtant, bien que relayée par la presse [1], cette information n’a suscité aucune campagne au nom d’un « zéro pesticide », aucune protestation relayée dans les médias détaillant tous les dangers potentiels des produits utilisés (et qui justifient les mesures de protection prises). Comment l’expliquer ? Tout simplement : il s’agit d’une intervention visant à lutter contre de possibles foyers épidémiques de Dengue, de Chikungunya ou de Zika véhiculés par le moustique tigre. Le rapport bénéfice-risque est probablement évident pour tous.
Et c’est bien là le fond de la discussion : le rapport bénéfice-risque est trop souvent oublié dans le débat public au profit de visions binaires et caricaturales. La science peut contribuer à instruire cette balance entre risques et bénéfices, et elle peut aussi suggérer des mesures appropriées d’atténuation et de gestion du risque. Les raisons de cette situation sont multiples et la controverse autour de la proposition de loi Duplomb nous offre un nouvel exemple. C’est en particulier une disposition relative à une autorisation dérogatoire d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride, qui a cristallisé une partie des débats (disposition censurée le 7 août 2025 par le Conseil constitutionnel qui a estimé que, « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par sa jurisprudence, découlant de la Charte de l’environnement » [2]).
D’un côté, la proposition de loi, dans ses motivations, n’explicite pas le corpus de connaissances utilisé, les scénarios alternatifs possibles et les conséquences attendues pour chacun d’eux, que ce soit en termes d’environnement, de santé, de rendements, d’importations et de souveraineté alimentaire ou de pérennité des filières agricoles. C’est dans cet esprit, d’ailleurs, que le bureau de l’Académie d’agriculture de France « regrette l’absence d’une étude d’impact robuste en amont des débats parlementaires relatifs à ce texte de loi » [3]. L’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) [4] n’est pas mentionné, alors que l’agence européenne a récemment mis à jour son analyse de l’impact sur la santé humaine et l’environnement de l’acétamipride et a actualisé ses valeurs toxicologiques de référence. Le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) [5] n’est pas non plus décrit alors qu’il explicite pourtant les termes d’une analyse risque-bénéfice et fait état des potentialités et des limites des alternatives disponibles (voir aussi la chronologie réglementaire [6] sur ce sujet).
D’un autre côté, le simple danger est érigé en condition suffisante pour demander l’interdiction au nom d’un « principe de précaution » dévoyé. La peur est un vecteur médiatique puissant. Des études isolées, parfois très fragiles, sont surinterprétées et les agences sanitaires sont accusées de complaisance ou de soumission aux lobbies quand leurs avis ne correspondent pas aux discours promus. La distinction entre danger et risque est ignorée (un danger est une source potentielle de dommage alors que le risque décrit la probabilité de subir un préjudice en cas d’exposition au danger – il dépend de l’exposition, des doses, de la vulnérabilité, etc.). La hiérarchisation des risques est ainsi souvent brouillée, conduisant à des priorités mal définies, voire inversées, et à des décisions parfois inefficaces.
Les mêmes remarques pourraient être formulées sur d’autres parties de la loi, par exemple les réserves de substitution (appelées « mégabassines » par leurs détracteurs) ou sur de nombreux autres projets ou propositions de lois. Sans prétendre qu’une transparence sur les données scientifiques utilisées à l’appui des décisions politiques suffirait à apaiser complètement le débat, elle aurait au moins le mérite de l’alimenter d’une façon plus rationnelle et pourrait améliorer la confiance que les citoyens accordent à leurs élus et dirigeants. Une telle contextualisation pourrait figurer dans le texte de loi. Elle remettrait le débat à sa place : une analyse risque-bénéfice où aucune solution n’a que des avantages et aucun inconvénient, et réciproquement.
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