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Connaissances et perception des citoyens européens en matière de science et de technologie

Publié en ligne le 21 mai 2023 - Sociologie -
Les rapports « Eurobaromètre » présentent les résultats d’enquêtes menées sous l’égide de la Commission européenne visant à rendre compte des attitudes et des perceptions des citoyens à propos des sciences, des technologies et de leurs applications. Nous rendons compte ici de certains éléments du rapport spécial publié en 2021.

L’enquête a été menée auprès de 37 103 citoyens issus des 27 pays membres de l’Union européenne et de 11 pays et territoires européens hors de l’Union. Elle est construite autour de quelques dizaines de questions et couvre de nombreuses thématiques : connaissances, compréhension et intérêt dans le domaine des sciences et des technologies, sources d’informations utilisées, croyances dans des théories du complot, opinions quant aux impacts de la science et de la technologie, perception des scientifiques, engagement des citoyens vis-à-vis de la science et de la technologie, etc. Le rapport propose une analyse sociodémographique des réponses ainsi qu’une analyse par pays.

Les enquêtes quantitatives fournissent la matière première indispensable à toute étude sociologique. Mais bien entendu, il importe d’examiner les données produites avec prudence, tant les biais potentiels sont nombreux (formulation des questions, conditions de l’enquête). Néanmoins, les points abordés sont importants au regard des thématiques portées par notre association. Ainsi avons-nous retenu pour cet article quelques thématiques particulières. Le lecteur intéressé se reportera avec profit au rapport complet (330 pages) disponible en français sur le site de la Commission. Toutes les parties en italique sont issues du rapport.

Connaissances dans le domaine des sciences et des techniques

Onze affirmations étaient proposées à propos de différents domaines de connaissances. Les personnes interrogées devaient indiquer si elles les estimaient vraies ou fausses (voir les encadrés ci-dessous)

Les réponses aux questions sur les connaissances science et technologie

Histoire naturelle, démographie et géographie

A1 « Les premiers êtres humains vivaient à la même époque que les dinosaures. »
A2 « Les continents sur lesquels nous vivons se déplacent depuis des millions d’années et continueront à se déplacer dans le futur. »
A3 « La population humaine mondiale compte actuellement plus de 10 milliards d’individus. »
A4 « L’être humain tel que nous le connaissons aujourd’hui s’est développé à partir d’espèces animales plus anciennes. »

Sciences naturelles et physiques
A5 « Les antibiotiques tuent les virus ainsi que les bactéries. »
A6 « L’oxygène que nous respirons vient des plantes. »
A7 « Les lasers fonctionnent en faisant converger des ondes sonores. »
A8 « Le changement climatique est en majeure partie causé par des cycles naturels plutôt que par les activités humaines. »
A9 « Les méthodes utilisées en sciences sociales sont tout aussi scientifiques que celles utilisées en sciences naturelles. »

Théories du complot
A10 « Le traitement contre le cancer existe mais est caché au public par le gouvernement. »
A11 « Des virus ont été produits par les laboratoires du gouvernement pour contrôler la croissance démographique. »

Vrai ou faux ? Auriez-vous su répondre correctement ?

Histoire naturelle, démographie et géographie
A1 « Les premiers êtres humains vivaient à la même époque que les dinosaures. » Cette affirmation est fausse, les dinosaures ont disparu à la fin du Crétacé, il y a environ 66 millions d’années alors que les premiers hominidés ne sont apparus, selon nos connaissances actuelles, qu’il y a 6 ou 7 millions d’années. En toute rigueur, il aurait fallu parler des dinosaures non aviaires car les descendants des dinosaures que sont les oiseaux ont évidemment cohabité, et cohabitent encore, avec les humains.
A2 « Les continents sur lesquels nous vivons se déplacent depuis des millions d’années et continueront à se déplacer dans le futur. » Cette affirmation est vraie. La dérive des continents est une hypothèse émise par le météorologue allemand Alfred Wegener (1880-1930). Elle a d’abord suscité les nombreuses critiques de ses contemporains avant de s’imposer grâce aux preuves accumulées dans le cadre du modèle de la tectonique globale.
A3 « La population humaine mondiale compte actuellement plus de 10 milliards d’individus. » C’est faux. La population mondiale était estimée en 2021 à un peu moins de 8 milliards. Les prévisions de l’ONU envisagent aujourd’hui une population de 10 milliards d’individus à l’horizon 2050.
A4 « L’être humain tel que nous le connaissons aujourd’hui s’est développé à partir d’espèces animales plus anciennes. » C’est vrai. La théorie de l’évolution a été établie par Charles Darwin (1809-1882) et confirmée par de très nombreuses preuves.

Sciences naturelles et physiques
A5 « Les antibiotiques tuent les virus ainsi que les bactéries. » C’est faux. Les antibiotiques ne sont efficaces que contre les bactéries. S’ils peuvent être prescrits dans le cadre d’infections virales, c’est uniquement pour prévenir ou guérir une surinfection (bactérienne). Jamais pour éliminer le virus.
A6 « L’oxygène que nous respirons vient des plantes. » C’est vrai. L’oxygène que nous respirons vient de la photosynthèse des plantes. Mais précisons toutefois que la majorité de cet oxygène provient du plancton et des algues contenus dans l’océan.
A7 « Les lasers fonctionnent en faisant converger des ondes sonores. » C’est faux. Les lasers utilisent de la lumière (Laser est l’acronyme de « Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation » qui signifie « amplification de la lumière par émission stimulée de rayonnement »).
A8 « Le changement climatique est en majeure partie causé par des cycles naturels plutôt que par les activités humaines. » C’est faux. Les causes du réchauffement climatique observé aujourd’hui sont anthropiques (activités humaines) comme le confirme de façon renforcée chacun des rapports du Giec analysant la littérature scientifique disponible.
A9 « Les méthodes utilisées en sciences sociales sont tout aussi scientifiques que celles utilisées en sciences naturelles. » C’est vrai. En tant que discipline scientifique, la sociologie relève de la méthode scientifique (même si les modalités d’application diffèrent d’une discipline à l’autre). Cependant, ce sujet fait l’objet de controverses : certains représentants de cette discipline revendiquent un abandon de la neutralité axiologique.

Note : les mentions « vrai » et « faux » sont celles de l’eurobaromètre. Les explications données sont celles de la rédaction de Science et pseudo-sciences.

La Science consiste à mesurer (détail), Henry Stacy Marks (1829-1898)

Cette partie de l’enquête relative à l’influence des sciences et des technologies sur la société s’est aussi intéressée aux opinions sur la capacité de la science à résoudre certains problèmes critiques. Une des questions demandait aux personnes interrogées dans quelle mesure elles étaient d’accord ou pas d’accord avec l’opinion selon laquelle « grâce aux progrès scientifiques et technologiques, les ressources naturelles de la Terre seront inépuisables ». Le rapport constate que la majorité (51 %) n’est pas d’accord avec cette affirmation, mais que néanmoins 26 % se disent d’accord (dont 7 % « tout à fait d’accord ») tandis que 20 % ne sont ni d’accord ni pas d’accord. Par rapport à 2013, les personnes interrogées ont davantage tendance à être d’accord avec cette affirmation (+ 5 points). Là aussi, on observe une certaine disparité selon les pays. Certains sont plus enclins à croire en cette capacité de la science : Hongrie (45 %), Pologne (44 %), Italie (42 %), Grèce (38 %) Roumanie (38 %) et Bulgarie (36 %). À l’autre extrémité de l’échelle, ils ne sont que 11 % en Suède, 13 % en Belgique et 14 % en Allemagne et au Luxembourg à être d’accord (la France, avec 17 % n’est pas loin).

D’une façon générale, les citoyens interrogés estiment à 69 % que « les sciences et technologies rendent nos vies plus faciles, plus confortables et nous font vivre en meilleure santé ». Ils ne sont que 10 % à ne pas être d’accord. Mais, dans le même temps, 32 % des personnes interrogées affirment qu’« on s’en remet trop à la science et pas assez à la foi » (40 % ne sont pas d’accord). Soulignons que les différences sont considérables si l’on regarde les résultats par pays : « Dans six pays, au moins la moitié convient que l’on s’en remet trop à la science et pas assez à la foi, Chypre en tête (68 %), suivie de la Bulgarie (59 %) et de la Grèce (56 %). À l’autre extrémité de l’échelle, 13 % des personnes interrogées en Finlande et en Belgique ainsi que 15 % en Suède et en Irlande sont de cet avis » (la France, avec 27 % n’est pas loin des 32 % de la moyenne de l’Union européenne).

La gouvernance de la science

Un chapitre entier de l’étude s’intéresse à la gouvernance de la science avec des affirmations sur lesquelles les personnes interrogées devaient se prononcer telles que : « Nous n’avons pas d’autre possibilité que de faire confiance à ceux qui contrôlent les sciences et technologies », « La science ne devrait avoir aucune limite sur ce qu’elle est autorisée à étudier », « Les résultats de la recherche financée par des fonds publics devraient être disponibles gratuitement en ligne ».

Les opinions sur les scientifiques

Une liste de dix termes décrivant les caractéristiques que l’on peut attribuer aux scientifiques a été présentée d’où il ressort que « les Européens ont plus tendance à associer les scientifiques à des caractéristiques positives que négatives » : « intelligent » (89 %), « fiable » (68 %), « ouvert à la collaboration » (66 %) et « honnête » (58 %). Les caractéristiques négatives les plus citées sont : « mauvais en communication » (39 %), « arrogant » (28 %), « fermé d’esprit » (23 %) et « immoral » (16 %).

Quant à la place que les scientifiques doivent occuper dans les débats publics, elle a été abordée par un ensemble de six affirmations (voir le dernier encadré) d’où il ressort une préférence en faveur de l’intervention des scientifiques « pour assurer que les décisions prennent en compte les preuves scientifiques ».

L’Union de la Terre et de l’Eau, Peter Paul Rubens (1577-1640)

Conclusion

Cette enquête permet d’éclairer certaines dimensions de la place de la science et des technologies dans la société. Réalisée dans un contexte de « crises sans précédent […], la pandémie de Covid-19 principalement, mais aussi le changement climatique et la perte de la biodiversité », elle témoigne cependant, selon ses auteurs, d’une certaine stabilité des opinions et attitudes.

En conclusion, les auteurs soulignent que leur enquête révèle « des résultats qui suggèrent que les efforts doivent se poursuivre pour accroître les connaissances du grand public en matière de sciences, combattre la désinformation et aligner la recherche et l’innovation sur les besoins, les valeurs et les attentes de la société ». Ils notent également que si, d’une façon générale, les citoyens « considèrent que l’influence des sciences et technologies sur notre manière de vivre est positive », nombre d’entre eux « restent très critiques quant aux bénéfices qu’entraînent les recherches et innovations » et pensent par exemple que « les sciences et technologies contribuent principalement à améliorer la vie de ceux qui sont déjà mieux lotis (57 %), principalement dans les pays riches plutôt que dans les pays moins développés (70 %) ».

Enfin, le rapport souligne que « des tendances claires [se dégagent] en fonction des gradients sociaux liés à l’âge, au sexe, au niveau d’études et à la marginalisation réelle ou perçue » sans toutefois procéder à une analyse détaillée. L’importance des variations entre pays laisse aussi apparaître des caractéristiques qui mériteraient examen. Le rapport ne les a pas abordées, peut-être pour ne pas entrer dans des considérations qui pourraient mettre mal à l’aise certains pays membres.

Référence
« Connaissances et perception des citoyens européens en matière de science et de technologie », Eurobaromètre spécial 516, Commission européenne, 2021. Sur europa.eu

Impact de certaines technologies dans les 20 ans à venir
La place des scientifiques dans le débat public

Six affirmations étaient soumises :

A1 « Les scientifiques devraient intervenir dans le débat politique pour assurer que les décisions prennent en compte les preuves scientifiques. »
A2 « On ne peut plus faire confiance aux scientifiques pour nous dire la vérité sur des sujets de controverse en matière de science et technologie, car ils dépendent de plus en plus de l’argent de l’industrie. »
A3 « Les scientifiques ne s’intéressent qu’à des questions très spécifiques et ne considèrent pas les problèmes dans une perspective plus large. »
A4 « Les scientifiques devraient être tenus responsables des usages néfastes que d’autres font de leurs découvertes. »
A5 « Les scientifiques ne devraient pas s’engager en politique lorsque les décisions ne prennent pas en compte les preuves scientifiques. »
A6 « De nos jours, les problèmes auxquels nous devons faire face sont si complexes que les spécialistes en science et technologie ne sont plus capables de les comprendre. »