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La guerre économique au XXIe siècle

Publié en ligne le 2 septembre 2024
La guerre économique au XXIe siècle
Christian Harbulot
VA Éditions, 2024, 264 pages, 17 €

Christian Harbulot, spécialiste de la guerre économique, est le directeur de l’École de guerre économique qu’il a co-fondée en 1997. Si les rapports de force entre puissances s’articulent autour des trois dimensions que sont la guerre économique, la guerre militaire et l’économie de guerre, l’auteur entend souligner la place centrale de la guerre économique en temps de paix dans les affrontements d’aujourd’hui. La sous-estimation de cette composante majeure, particulièrement dans les sphères gouvernementales françaises depuis la Seconde Guerre mondiale, constitue la trame centrale de l’ouvrage. L’auteur critique en particulier « l’approche séquentielle » qui fait que la guerre économique ne devrait être considérée que lors d’un affrontement ouvert contre une autre puissance. Cette « arme » ne devrait être utilisée qu’en dernier recours avant l’affrontement militaire, le stade ultime du schéma exposé au XIXe siècle par le stratège Carl de Clausewitz (1780-1831), avec sa célèbre formule selon laquelle « la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens ».

La guerre économique est décrite sous ses formes matérielles classiques (tributs à payer aux vainqueurs, contrôle des axes d’échanges commerciaux, dépendance par le rachat de dettes, domination monétaire, standardisation, etc.), mais également ses modalités émergentes avec, en particulier, la guerre informationnelle.

Cette dernière dimension fait spécifiquement écho à des thèmes régulièrement traités dans la revue Science et pseudo-sciences. Selon C. Harbulot, la guerre informationnelle ne se réduit pas à la désinformation, largement mise en exergue aujourd’hui avec le conflit en Ukraine. Il existe, selon l’auteur, un aspect majeur qui donne à la guerre informationnelle sa « rentabilité maximale » : « occuper le terrain par la connaissance ». Un chapitre est consacré à la description des enjeux autour du « monde immatériel à conquérir » : contrôle des infrastructures de l’Internet, économie du numérique et des technologies de l’information, place dominante des grandes plates-formes et des grands acteurs (Google, Meta, Amazon, Microsoft, X et les équivalents chinois), contrôle des flux de données.

Des exemples pris dans le domaine de l’agriculture illustrent comment, à l’intérieur même de l’Europe, cette guerre informationnelle tout à fait légale fait rage et vise à renforcer une position économique ou, au contraire, à déstabiliser celle du voisin. L’enjeu numérique est décrit dans un chapitre dédié, avec en particulier la « big data agricole » qui ferait que, « à terme, les agriculteurs ne sauront produire sans avoir recours aux produits et services de ces entreprises [les grandes entreprises américaines du numérique] ». L’opinion publique est une cible de choix de cette guerre de la connaissance. La place particulière de certaines ONG et « leurs actions de lobbying et d’influence » les posant « comme les égales des entreprises et des États » est évoquée.

Le domaine de l’énergie est également analysé à l’échelle mondiale, mais aussi européenne. L’auteur s’appuie sur un rapport réalisé par des chercheurs et des étudiants de l’École de guerre économique en juin 2023, rapport qui affirme démontrer « que l’Allemagne agit dans le champ cognitif afin d’affaiblir la France, notamment dans le domaine du nucléaire, et d’assurer la suprématie de son modèle énergétique national » 1. Elle l’a fait, entre autres, via des financements et des interventions directes ou indirectes au profit d’associations antinucléaires en France.

La thèse développée dans l’ouvrage invite à la réflexion. Sur la guerre informationnelle, elle nous rappelle l’importance de nous départir d’une vision simpliste qui réduirait cette dernière à la simple désinformation idéologique.

1 « Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », École de guerre économique, juin 2023.