Cours en ligne : déjouer les pièges de l’argumentation et développer l’esprit critique
Publié en ligne le 15 mai 2025 - Esprit critique et zététique -
Dans notre quotidien, nous sommes souvent amenés à argumenter ou à répondre à des affirmations qui ne nous paraissent pas toujours justes. Il est donc important de savoir détecter les raisonnements fallacieux et d’être capable de les discuter. Les deux cours en ligne présentés dans cet article sont synthétiques et se présentent comme des « boîtes à outils » : le premier utilise la modélisation mathématique, le second propose des méthodes plus pragmatiques.
Exercer son esprit critique : données et raisonnements fallacieux
Ce cours en ligne (Mooc) d’une durée de vingt heures est proposé par Cergy Paris Université [1]. Il est présenté par Mathieu Cisel, spécialiste des technologies éducatives et de l’enseignement hybride qui est décrit comme « une combinaison ouverte d’activités d’apprentissages offertes en présence, en temps réel et à distance, en mode synchrone ou asynchrone » [2]. Mathieu Cisel enseigne depuis 2019 dans le Bachelor Data Science de CY Tech (grande école à Cergy) où il est directeur pédagogique.
La formation est proposée par la plateforme France Université Numérique, dans les rubriques « mathématiques et statistiques » et « communication et média ». Une attestation de suivi peut être obtenue en répondant à des questionnaires présents à la fin de chacun des chapitres. Les modules se composent de très courtes vidéos d’environ trois minutes, suivies de liens vers des ressources additionnelles, souvent en anglais, ainsi que des travaux pratiques. Les nombreux questionnaires proposés illustrent utilement le cours. Aucune connaissance spécifique n’est requise pour suivre la formation.
Le but du cours est de former l’étudiant à la discussion et l’argumentation. Pour cela, l’auteur a choisi le formalisme de la logique mathématique pour représenter les raisonnements. Après un historique de l’enseignement des sophismes, la structure d’un argument composé de prémisses qui aboutissent à une conclusion est décrit. Les notions d’arguments valides et invalides sont alors présentées en fonction de la cohérence logique des prémisses et des conclusions.
Ces bases étant posées, le cours consacre deux chapitres substantiels aux sophismes ou erreurs de raisonnement qu’il est nécessaire de connaître pour vérifier la logique de la démonstration de son interlocuteur. Quatre sophismes informels sont identifiés et explicités : cause douteuse, arguments inductifs, sophismes de pertinence et sophismes d’ambiguïté. Sont ensuite abordés les sophismes formels : les syllogismes catégoriques, sophismes de logique propositionnelle, les raisonnements probabilistes et l’argument de l’erreur. Les exercices illustrant ces sophismes, présentés sous forme de propositions logiques, incitent à la réflexion et illustrent la difficulté de reconnaître les erreurs de raisonnement.
Des techniques de réfutation sont ensuite proposées, parmi lesquelles la réfutation par analogie, la technique de l’épouvantail ou le rasoir d’Hitchens qui énonce que « ce qui peut être affirmé sans preuve doit pouvoir être rejeté sans preuve » (autrement dit : la preuve d’une affirmation incombe à celui qui la formule).
Les biais cognitifs sont bien sûr abordés en insistant plus particulièrement sur le biais de disponibilité (ou heuristique de disponibilité) : « Les informations les plus accessibles à la mémoire influencent le plus le jugement. » Le dernier chapitre démontrant comment faire dire à un diagramme ce qu’il ne dit pas, simplement en changeant sa présentation, est particulièrement instructif.
Les vidéos sont présentées sous forme de tableaux, ce qui rend leur visionnage très rapide. Les liens permettant d’approfondir les notions abordées sont appréciables. Le recours à un formalisme logique conviendra sans doute très bien à certains étudiants moins attirés par des traitements plus académiques du sujet. On pourra cependant regretter la diction manquant parfois de fluidité de l’enseignant.
« Exercez votre esprit critique »
Marc Anyo et Camille Lakhlifi sont les principaux promoteurs de ce cours en ligne d’une durée de six heures, proposé sur la plateforme Open Classrooms [3]. Marc Anyo est passionné par la transmission de l’esprit critique (voir encadré). Il est formateur et intervient en écoles supérieures, en centres de formation ainsi qu’en entreprise. Il a rédigé le contenu de ce cours en concertation avec plusieurs experts en sciences cognitives. Camille Lakhlifi est doctorante en sciences cognitives, elle présente les vidéos d’une dizaine de minutes avec une pointe d’humour. La certification est payante mais il y a des contrôles tout au long du cours qui, eux, sont gratuits. Aucun prérequis n’est nécessaire pour suivre cet enseignement.
La formation est présentée en ces termes : « Pour questionner notre monde et prendre des décisions fiables, faire preuve d’esprit critique est essentiel. Dans ce cours, appuyez-vous sur les méthodes scientifiques et apprenez à identifier les biais cognitifs, à rechercher des informations, et à déjouer les pièges de l’argumentation. »
Les biais cognitifs sont abordés dès le départ à partir de situations réelles. Sept biais principaux ont été sélectionnés, dont le peu connu « biais Ikea » (ou « biais de possession » qui nous fait accorder beaucoup plus de valeur à ce que nous possédons déjà et sur quoi nous avons beaucoup investi de travail – comme le temps de montage d’un meuble Ikea). Le biais de confirmation est présenté comme celui qui impacte le plus notre analyse de l’information. Un des exercices propose de rédiger un court texte où seraient illustrés un ou plusieurs biais. La mise en évidence de ces biais conduit les auteurs à promouvoir le doute rationnel et la suspension de jugement.
Les points essentiels de la démarche scientifique sont explicités et concrétisés à partir de situations particulières. Ainsi, par exemple, après la description d’une situation professionnelle où des on-dit circulent dans une entreprise, l’étudiant est questionné sur sa façon de réagir devant ces rumeurs. Des outils pertinents lui sont proposés pour structurer une recherche d’information et en évaluer la qualité.
Un kit d’analyse critique qui résume toutes les notions vues dans le cours et un exercice d’application font l’objet de la troisième et dernière partie. La dernière phrase du cours caractérise bien l’esprit et le ton de ce programme : « L’esprit critique ne rime pas avec affrontement permanent, n’oubliez pas de l’utiliser avec bienveillance et empathie pour construire des relations apaisées et constructives. » Beaucoup de références sont indiquées, principalement des liens Internet pour approfondir les notions abordées.
La particularité de ce Mooc est de faire appel à des situations classiques, hors du monde scientifique, et de mettre systématiquement l’étudiant dans des situations concrètes où il aura à prendre des décisions. Cette immersion dans la « vraie vie », hors de la théorie, permet de mesurer l’utilité de l’esprit critique pour tout un chacun dans sa vie quotidienne.
1 | France université numérique, « Exercer son esprit critique : données et raisonnements fallacieux », cours en ligne. Sur funmooc.fr
2 | Académie de Versailles, « L’enseignement hybride ». Sur ac-versailles.fr
3 | Openclassrooms, « Exercez votre esprit critique », cours en ligne, 04 mars 2022. Sur openclassrooms.com
Marc Anyo est l’un des auteurs du cours en ligne « Exercez votre esprit critique ». Il donne également des formations à l’esprit critique en entreprise. Il répond aux questions de Science et pseudo-sciences.
SPS. Comment se passe une formation en entreprise ?
Marc Anyo. Les durées des formations peuvent varier de 14 heures à 28 heures. Elles s’appuient sur quatre piliers. Cela commence par une introduction des concepts d’heuristiques et de biais cognitifs en suivant la formule empruntée à Thomas Durand (de la chaîne YouTube La tronche en biais) : « Nous ne pensons pas comme nous pensons que nous pensons. » Une fois ces premiers biais identifiés, nous cherchons à voir comment il est possible de contrecarrer leurs effets dans le choix de nos sources d’information en prenant différents exemples où nous sommes confrontés à une avalanche d’informations (moteur de recherche, réseaux sociaux). Dans une troisième partie, nous nous attachons à décrire le fonctionnement de la science, méthode contraignante de découverte du fonctionnement du monde qui nous entoure, tout en rappelant qu’elle est produite par des humains qui ne sont pas infaillibles. Ce faisant, nous tentons également de dessiner la ligne floue qui sépare science et pseudosciences. Enfin, la dernière séquence bénéficie des notions développées précédemment. Elle traite principalement de l’argumentation et de la rhétorique et explore les artifices que nous utilisons tous pour tenter d’avoir raison (parfois pour de mauvaises raisons). La formation se termine souvent par un « concours de mauvaise foi » permettant d’appliquer de bonnes et de mauvaises argumentations permettant de mieux les identifier.
Comment est accueilli votre discours ?
Les réactions sont assez variées. Certains, après un premier « effet waouh ! » que j’essaye de systématiser, se prennent au jeu alors que d’autres montrent une certaine réticence essayent de deviner « là où je veux en venir ». La nécessaire remise en question inhérente à la notion de pensée critique n’est une évidence pour personne. Il importe donc d’instaurer une relation de confiance tant vis-à-vis du discours que de l’intervenant. Il est alors important pour le formateur de bien indiquer que tous les concepts présentés peuvent être sourcés (et je le fais le plus souvent possible), ainsi que de bien différencier les opinions personnelles des connaissances transmises. Il faut admettre que même en tant que formateur, on peut se tromper (et on se trompe) : cela permet de se remettre tous sur un pied d’égalité quant à la nécessité de l’esprit critique, et cela augmente sensiblement l’acceptation des notions abordées.
Le bilan tiré par les participants (questionnaires remplis en fin de la formation) est très variable selon les individus. Certains estiment qu’il y avait un avant et qu’il y aura un après la formation et que cette dernière leur donnera accès à un monde de « meilleures connaissances ». Parfois est mentionné une relative restauration de la confiance accordée à la science ou aux médias.
Publié dans le n° 351 de la revue
Partager cet article
L'auteur
Isabelle Dore

Docteur en biologie moléculaire et cellulaire de l’université de Strasbourg et néanmoins assistante maternelle. Elle (…)
Plus d'informationsEsprit critique et zététique

Une fausseté répétée mille fois
Le 17 avril 2019
Le 20e congrès des sceptiques européens s’est tenu à Lyon
Le 25 juin 2025
La dissuasion
Le 23 mai 2025