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Jefferson fait de son mieux

Publié en ligne le 8 octobre 2022
Jefferson fait de son mieux
Jean-Claude Mourlevat, illustré par Antoine Rozon
Gallimard Jeunesse, 304 pages, 14 €

Jean-Claude Mourlevat avait déjà enchanté nombre de jeunes lecteurs et de jeunes lectrices avec le premier tome de Jefferson, dans lequel ce hérisson anti-héros menait l’enquête sur le meurtre de son coiffeur. Au fil de ses investigations, ce premier opus nous conduisait au pays des humains, dans lequel la pratique de l’élevage d’autres animaux (pour leur viande, leur peau, leurs poils) a la vie dure, y compris face aux protestations d’activistes humains et animaux.

Cet attachant petit hérisson revient ici pour aborder un autre thème de société : l’embrigadement sectaire.

Lorsque Simone, une lapine un peu isolée, quitte brusquement sa maison avec des explications lacunaires, Jefferson et le cochon Gilbert, son meilleur ami, flairent le danger. Dans une lettre qu’elle laisse à Gilbert pour qu’il s’occupe de sa maison durant son absence, Simone fait état de sa santé fragile, de ses articulations capricieuses et surtout de sa grande solitude. Après quelques recherches, il s’avère que son compte en banque est délesté chaque mois d’une somme importante au profit d’un mystérieux bénéficiaire, « Somena ». C’est le début d’une expédition un peu folle à bord de Titine, l’antique fourgonnette de Gilbert, en compagnie de deux autres acolytes, pour tenter de sortir Simone de ce piège.

S’il prend la forme d’une enquête policière, le roman n’en est pas moins une excellente approche du mode de fonctionnement d’une secte, en commençant par son éclairante perception : « Si j’ai bien compris : ils vous retournent le cerveau, vous kidnappent, vous rendent malades, et pour finir, ils vous font les poches, c’est ça ? » Du gourou Vin-tôh, qui a mis au point une technique de purification par les pieds, en passant par le mépris de la médecine classique teinté de complotisme, jusqu’à l’affaiblissement de ses adeptes, le tableau ne manque pas de piquant et constitue un ressort comique copieusement moqué par les quatre amis. On pourrait le juger caricatural, mais ce serait oublier le credo habituel des gourous : plus c’est gros, plus ça passe.

Outre la description précise d’un tel milieu, l’intérêt et l’originalité du roman se situe dans la prise de conscience par les personnages de la difficulté de faire machine arrière pour une personne sous emprise. Comme le résume si bien Walter, l’un des quatre comparses : « J’aurais préféré un truc moins tordu, un truc bien franc quoi. Parce que c’est dur de sauver quelqu’un qui ne veut pas l’être. » Simone est-elle déjà perdue ? Que sera-t-elle capable d’entendre ? Et surtout : pourquoi courir la chercher alors qu’elle n’a rien demandé ? On y comprendra par exemple que l’attaque frontale n’est pas une bonne méthode.

Si l’on peut regretter que le dénouement soit un peu expéditif, l’ensemble constitue un outil intelligent pour les jeunes adolescentes et adolescents (dès 10 ans) afin de leur permettre d’affûter leur esprit critique et de savoir réagir à ses égarements.