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Les prêcheurs de l’apocalypse

Publié en ligne le 17 avril 2008
Les prêcheurs de l’apocalypse
Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires

Jean de Kervasdoué
Plon, 2007, 254 pages, 19 €

« Je suis un fatigué de l’apocalypse, qu’elle soit religieuse ou écologique. » Dès la première phrase de son introduction (p. 9), Jean de Kervasdoué donne le ton. L’auteur est ingénieur, directeur des hôpitaux, membre de l’Académie des technologies ; ayant consacré sa vie aux secteurs de la santé et de l’environnement, il est aujourd’hui titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé au CNAM.

Le rythme et la tonalité ainsi donnés dès le début du livre ne se verront pas démentis par la suite. Dans un style où ironie mordante et quelquefois rage difficilement contenue riment avec un sens aigu de la pédagogie, Jean de Kervasdoué démonte sans sourciller le catalogue sanitaire et environnemental des idées reçues. Nous pouvons même nous risquer à prédire que rares seront nos lecteurs, pourtant à la vigilance légendaire, qui ne seront pas surpris à un moment ou à un autre, en particulier en matière de santé publique.

Une affirmation : le progrès existe et nous en bénéficions

Disponible en "Poche" - 8,50 €

Dès le premier chapitre intitulé « Écologie humaine – écologie planétaire : le conflit » l’auteur met en lumière que « ce qui est bon pour l’homme est souvent mauvais pour la planète » (p. 17). Sauf à développer une idéalisation quasi religieuse de la nature, les questionnements sanitaires et environnementaux ne prennent du sens qu’à la lumière des conditions matérielles d’existence des individus qui peuplent la planète. Cette posture initiale éclaire tout le livre, de l’analyse des conditions de vie (et de mort) des êtres humains à l’évocation des défis de l’avenir. C’est donc fort logiquement qu’à l’issue de ce voyage, l’auteur pourra conclure que « le siècle des Lumières a tenu ses promesses. Ceux qui se sont battus pour la primauté de la raison, ont mis leur vie en danger pour la liberté d’opinion, ont permis que les démocraties s’installent, ont fait de leur descendance des privilégiés en quelques générations à peine » (p. 219). Pour Jean de Kervasdoué, le concept de progrès n’est pas à reléguer au magasin des accessoires : il est toujours actuel, ici et maintenant, et d’une exigence encore plus criante pour les bientôt neuf milliards d’habitants de la planète Terre.

Un leitmotiv : analyse objective des faits

« Les errances de l’écologie politique m’indignent parce que, le plus souvent, elles sont contredites par des faits » (p. 18). Se fondant sur les statistiques du système de santé publique l’auteur s’étonne que « l’importance collective attribuée à certains phénomènes est totalement disproportionnée par rapport à d’autres, plus menaçants » (p. 31). C’est ainsi, comme l’illustre l’une des statistiques en annexe (annexe 13, p. 239-241), que les maladies professionnelles liées à l’inhalation de charbon tuent, dans l’Union Européenne, deux fois plus que l’amiante, l’une et l’autre tuant cent fois plus que les rayonnements ionisants.

Ces mêmes rayonnements ionisants constituent un des exemples types mettant en exergue que les peurs collectives sont le plus souvent construites « à partir de généralisation et de changement d’ordre de grandeur dans le raisonnement ; le plus fréquemment utilisé en la matière consiste à attribuer des effets à faible dose à des produits ou des phénomènes qui, à ces niveaux, sont très vraisemblablement inertes. » (p. 31).

Ces myopies collectives pourraient être sans conséquence mais il n’en est rien ; elles conduisent en effet à une utilisation inadéquate des dépenses publiques ; les ressources publiques importantes consacrées à la prévention illusoire de certains risques présumés pourraient ainsi être redéployées de façon plus judicieuse.

Un souci permanent : ne pas mélanger les genres

Analysant longuement, et de façon pertinente (chap. 5) ce qui est et ce qui n’est pas en matière de rayonnements ionisant (Tchernobyl compris), puis évoquant successivement (chap. 6) les grandes crises récentes de la santé publique (l’épidémie du Sida et les transfusions sanguines, la « vache folle », la canicule de l’année 2003, la légionellose à l’hôpital européen Georges Pompidou, le chikungunya), Jean de Kervasdoué aborde avec justesse la délicate question de la responsabilité sociale des scientifiques, et en l’occurrence celle des épidémiologistes.

Exemple est alors donné des interrogations, en 2005, sur les conséquences sanitaires éventuelles de l’exposition à une radioactivité faible pour les enfants et les personnels de l’emplacement de l’école de Nogent-sur-Marne construite en 1969 sur le site d’extraction du radium de Marie Curie. Les conclusions des analyses ont été que « pour les enseignants et le personnel communal – la population la plus exposée – aucun effet n’a pu être démontré, pour les élèves, comme on a perdu la trace d’un nombre important d’entre eux, on ne peut rien affirmer, mais s’il y a quelque chose, il n’y a pas grand-chose » (p. 145), ce à quoi le directeur de la santé au ministère avait répondu : « il est trop facile de se draper dans sa pureté méthodologique en privilégiant les questions de validité mais en laissant les autorités et la population inquiètes et sans réponse.  » (p. 145)

Ce questionnement des scientifiques par les autorités, les médias ou la population est récurrent (plantes génétiquement modifiées, antennes relais de téléphonie mobile, etc.). L’incompréhension des parties intéressées devant les réponses des scientifiques est tout aussi usuelle. Jean de Kervasdoué défend que les experts sont justement socialement responsables quand ils se cantonnent en leur rôle et qu’ils ne mélangent pas les genres : « La question centrale en politique est toujours, toujours, celle de la légitimité. La source de légitimité des experts (le savoir) n’est pas celle des élus (l’élection). […] La volonté des experts de ne pas entrer dans le champ politique est non seulement souhaitable mais essentielle.  » (p. 146)

À l’heure où certaines signatures de « chercheurs militants » s’épandent sur les blogs, il n’est effectivement pas inutile, avec l’auteur, de rappeler que « la responsabilité sociale des experts est de réaliser des études rigoureuses en veillant à l’argent des contribuables » (p. 147) et qu’ainsi il paraît inapproprié de suggérer aux scientifiques « d’intervenir de façon visible sur des questions sociétales. Ils le peuvent à titre de citoyen, de membre d’association, de militant de parti politique », pas de scientifique. (p. 149)

En guise de conclusion

Avec Jean de Kervasdoué, nous sommes en pays de connaissance. Le spectre des thèmes explorés par l’ouvrage est tellement large qu’il est difficile d’en rendre compte de façon exhaustive. Si l’auteur défend des postures qui sont usuelles aux lecteurs de Science et pseudo-sciences (principe de précaution, OGM, nucléaire, etc.) c’est dans cette façon d’aborder les questions à travers le filtre de la santé publique, à l’image de ce passionnant chapitre 7 consacré à l’interpellation de la politique publique en matière de prévention, que l’ouvrage puisse sa véritable force persuasive.

Le seul fait que Jean de Kervasdoué ait jugé bon de publier ce véritable cri d’alarme face ce qu’il considère comme un « retour au Moyen Âge » (p. 157) illustre qu’il ne considère pas la partie perdue pour autant. Son livre est un appel à la Raison : « C’est grâce à la pensée rationnelle que les hommes des pays riches vivent vieux et, d’un point de vue matériel, bien » (p. 218) ; « la Raison et l’analyse des intérêts de chacun seront la seule chance des déshérités actuels et des réchauffés à venir. » (4e de couverture). À nous de réagir.