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Dossier graphologie

L’écriture et l’enfant, ou comment l’écriture prend forme

Publié en ligne le 23 octobre 2011 - Dérives sectaires -

Si, dans nos sociétés, l’apprentissage de l’écriture commence vers 6 ans et parfois avant – en maternelle, les enfants bénéficient déjà de contacts avec l’écriture –, il se poursuit pendant de longues années pour se terminer au seuil de l’adolescence. Il s’agit d’un processus de longue haleine, qui intéresse très directement la psychologie du développement et de l’enfant.

L’approche scientifique de l’écriture, qui implique des psychologues et des chercheurs d’autres disciplines (comme l’informatique par exemple, avec la reconnaissance des formes), confirme nettement ce que nous savons tous : l’écriture d’un adulte est relativement stable au cours du temps, et elle est également personnelle. Il nous est très facile de reconnaître l’écriture d’un proche sans hésitation parmi une dizaine d’écritures d’adultes. Au contraire, les écritures enfantines sont stéréotypées et peu contrastées. En revanche, elles évoluent grandement au cours du temps.

Posture et tenue du crayon

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L’un des grands noms de l’étude de l’écriture est Julian de Ajuriaguerra. Avec ses collègues, il publia en 1971 une description de la manière dont évoluent la posture et la tenue du crayon des enfants en activité d’écriture. Ajuriaguerra et ses collègues distinguent trois phases de développement.

Dans la phase précalligraphique, l’enfant de 5 à 7 ans tient fermement son crayon et le déplace par reptation, en pliant les doigts mais sans détacher la main de la feuille. Sa tête est très proche de la feuille et s’il doit recopier un texte, il fait de très fréquents allers-retours entre le modèle et sa copie, ce qui montre la concentration dont il doit faire preuve pour cet exercice. La feuille est placée face à l’enfant, et ne penche pas.

Dans la phase calligraphique, l’enfant de 8 à 9 ans assouplit sa posture. Les articulations se détendent, la tête et le tronc se redresse, et le crayon n’est plus tenu à pleine main. La feuille se déplace progressivement du côté opposé à la latéralité de l’enfant : un droitier placera donc sa feuille légèrement à sa gauche, et non face à lui. En même temps, la feuille est de plus en plus penchée, et finit par faire un angle moyen de 25 % avec le bord latéral de la table.

La phase post-calligraphique qui débute vers 10 ans est à la fois la continuation de la phase précédente (souplesse accrue, etc.) et la première étape où l’écriture se personnalise. L’écriture fut d’abord dessin (phase pré-calligraphique), puis copie presque conforme des lettres type (phase calligraphique), mais elle se dégrade maintenant en se personnalisant.

La personnalisation de l’écriture

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La description de l’évolution de l’écriture chez l’enfant proposée par Liliane Lurçat dans les années 1970-1980 en donne une vision plus précise, et permet en outre de comprendre comment, et à quelle étape, l’écriture se différencie progressivement pour devenir celle d’un individu particulier. Lurçat confirme la lenteur de l’apprentissage de l’écriture. Elle identifie, outre la difficulté intrinsèque de l’exercice, des points particuliers qui peuvent expliquer la peine éprouvée par les enfants lors de cette découverte.

Par exemple, les enfants droitiers (les plus nombreux) ont spontanément tendance à tracer les « ronds » en tournant dans le sens horaire, jusqu’à 3 ans. Or, pour tracer les lettres « rondes » que sont o et a par exemple, il faut contrer cette tendance, et tourner dans le sens inverse. On voit par cet exemple que l’expertise scripturale suppose de produire la bonne forme, mais aussi la bonne trajectoire. La forme prend d’abord le dessus, et les enfants de 4-5 ans produisent typiquement des formes acceptables, mais selon une trajectoire incorrecte. Vers 5-6 ans seulement, ils privilégient la trajectoire, mais aux dépens de la forme, cabossée et hésitante.

Le point de départ d’une écriture fondée sur la bonne trajectoire est donc atteint autour de 6 ans. Pendant deux ou trois ans, l’enfant s’applique à recopier le mieux possible les lettres calligraphiées que les professeurs d’écoles tracent avec élégance au tableau. À 9 ans, un palier est atteint et c’est à ce moment que les éléments sont en place pour que l’écriture commence à se personnaliser. À cet âge, on ne progresse en effet plus en qualité, et la vitesse n’augmente plus aussi vite. Mais la pression est forte, tant scolaire que cognitive, qui pousse le jeune scripteur à augmenter la vitesse du tracé. Pour accélérer le trait, les élèves commencent alors à simplifier les lettres, renoncent au geste idéal… Ce qui peut être vu comme une dégradation, conséquence d’un principe d’économie, se déroule entre 9 et 11 ans.

La personnalisation de l’écriture s’explique donc sans mystère par la nécessité de l’accélération, qui ne saurait se faire sans dégradation de la calligraphie. Au début de l’adolescence, l’écriture est personnelle, et ne se modifiera que très peu par la suite chez la majorité des sujets.

Légitimité de l’étude de l’écriture

Cette stabilité de l’écriture spontanée justifie évidemment qu’on l’étudie scientifiquement comme une caractéristique personnelle. Il faut pourtant ici préciser deux choses. La première est que si l’écriture spontanée varie très peu, il est facile de travestir son écriture. L’étude de l’écriture dans le cadre judiciaire, qui se fonde sur une approche scientifique en utilisant un grand nombre d’indices associés à l’écriture, est donc légitime soit pour confirmer que deux écritures sont probablement de la même main (il est difficile de copier parfaitement une écriture étrangère), ou pour suggérer que deux écritures spontanées ne sont pas de la même personne. La graphométrie peut ainsi s’avérer précieuse dans certaines circonstances.

Deuxième point, si l’écriture est personnelle, cela ne signifie pas qu’elle révèle la personnalité. Les empreintes digitales ou génétiques sont très personnelles, mais on ne sait pas décrire la personnalité d’un individu en fonction de ces éléments. On peut bien sûr supposer que, vers 9-11 ans, des caractéristiques de la personnalité pourraient influencer la manière dont les enfants vont orienter leur phase post-calligraphique. On pourrait imaginer, pourquoi pas, que les enfants scrupuleux, consciencieux, refuseront une dégradation trop importante de leur écriture, et que les scrupuleux auront alors, à l’âge adulte, des écritures plus lentes mais aussi plus lisible… ce n’est pas stupide, mais cela reste une simple hypothèse qu’il faudrait étudier rigoureusement.

Lier l’écriture et la personnalité, c’est ce que propose de faire la graphologie. Comme nous venons de le voir, cet objectif est a priori scientifique. Reste à savoir si les graphologues utilisent bien la méthode scientifique, et si les principes qu’ils posent sont vérifiés par l’expérience… C’est à cette question que le psychologue scientifique Michel Huteau s’attaque dans les deux articles qui suivent.

Références

1 | De Ajuriaguerra, J., Auzias, M., & Denner, A. (1971). L’écriture de l’enfant. 1. L’évolution de l’écriture et ses difficultés. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.
2 | Lurçat, L. (1974). Études de l’acte graphique. Paris : Mouton.
Lurçat, L. (1980). L’activité graphique à l’école maternelle. Paris : ESF.
3 | Serratrice, G., & Habib, M. (1993). L’écriture et le cerveau. Paris : Masson.
4 | Zesiger, P. (1995). Écrire. Approche cognitive, neuropsychologique et développementale. Paris : PUF.