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L’histoire est-elle une science ?

Publié en ligne le 31 mai 2023 - Épistémologie -

L’histoire est-elle une science ? Pour les historiens et les praticiens des sciences historiques (archéologues, historiens de l’art, etc.), la réponse serait immédiatement « oui » : l’histoire est une science. Pour une partie de ceux qui ne sont pas dans les sciences historiques, qui peuvent être des tenants des sciences expérimentales mais également des pseudo-chercheurs, la réponse est plus complexe. L’histoire serait au mieux un savoir, car elle ne peut s’appuyer sur l’expérimentation, au pire un passe-temps. L’opposition entre « science dure » et « science molle » entraîne souvent l’idée que la première serait « vraiment » une science, car reproductible, et l’autre ne serait pas une science, car non reproductible.

Pourtant, l’histoire et les disciplines qui étudient le passé s’établissent bien comme des sciences. Elles se placent dans la catégorie des sciences humaines et sociales (SHS), terme que nous préférons.

L’Histoire, Edvard Munch (1863-1944)

Nous partons du point de vue de l’historien du XIXe siècle Leopold Von Ranke selon lequel non seulement l’histoire existe, mais il est possible de faire un récit exact des événements du passé. Le rôle de l’historien se réduit alors à rendre compte du passé, sans le juger ni l’interpréter. En d’autres termes, l’historien ne peut être un idéologue. Peu à peu, l’idée d’un récit exact du passé s’efface, car inutile, au profit d’une compréhension des sociétés du passé.

Les sciences historiques : définition

Les sciences historiques étudient les sociétés du passé. C’est le fondement de l’histoire, de l’archéologie et de l’histoire de l’art. Ces trois disciplines font partie des sciences humaines et sociales, dont le cœur est l’étude de l’Homme et des sociétés humaines. Comme toutes les sciences humaines et sociales, les sciences historiques explorent les sociétés humaines à partir de sources. Ces dernières ont été produites par les sociétés qui sont étudiées. Ces trois disciplines historiques étudient les sociétés du passé, mais en se servant de sources différentes [1]. L’histoire s’appuie principalement sur les sources écrites, l’archéologie sur les sources matérielles et l’histoire de l’art sur les représentations, les écrits théoriques et leurs commentaires.

Bien sûr, l’étude des historiques des sociétés n’interdit pas de croiser les trois disciplines et leurs sources. Mais ce n’est pas toujours possible, car chacune de ces disciplines a des problématiques différentes.

Nous allons ici essayer de montrer en quoi l’histoire est bien une science. Nous verrons d’abord les trajectoires parallèles de l’histoire et de la science, puis comment la convergence s’est produite, la science devenant expérimentale en même temps que l’histoire se formait en opposition aux croyances, et enfin, ce qui permet d’inscrire l’histoire comme une science.

Science et histoire : un parcours parallèle

La science a pour objet d’étudier les phénomènes perceptibles, et c’est dans le dernier millénaire avant notre ère que la science commence à émerger comme un champ des savoirs. Deux termes sont utilisés pour définir les savoirs : technè/ars, la mise en œuvre d’un savoir pratique, et science, la théorisation d’un savoir [2]. Durant la période grecque où les sciences se mettent en place, ces dernières sont principalement liées à la philosophie, la recherche de la sagesse, dont un des champs, la métaphysique, littéralement au-dessus de la physique, se place au-dessus des sciences en général ; elle cherche les causes premières des choses, en s’appuyant sur la sagesse. De nombreux scientifiques, à commencer par certains qui théorisent le monde, comme Platon ou Aristote, sont aussi des philosophes [3]. Aristote joue par ailleurs un rôle essentiel dans la mise en place des sciences en formulant un grand nombre d’hypothèses et de théories encore considérées comme valables au XVIIe siècle [4].

Durant cette période grecque où la science émerge, l’écriture de l’histoire se met en place. Hérodote (480-425 avant notre ère), dans L’Enquête, est le premier à ne pas présenter les événements comme les conséquences du destin ou de la volonté des dieux, mais comme étant des faits humains. Thucydide (460-400 ou 395 avant notre ère), qui narre la lutte entre Athènes et Sparte dans la guerre du Péloponnèse, indique que les actions du gouvernement athénien, dont il a été stratège, échouent non pas en raison des dieux, mais bien du fait des actes des hommes. Il est d’ailleurs le premier à essayer de rapporter les faits en s’appuyant sur des témoignages et des souvenirs.

Science et histoire sont issues du monde antique, et plus précisément du monde grec. Cependant, dans l’Antiquité, l’histoire n’est pas une science au sens antique du terme – c’est-à-dire un savoir théorique, mais une tentative de description et d’explication des faits humains.

L’École d’Athènes(détail), Raphaël (1483-1520)

L’arrivée du christianisme modifie quelque peu la vision du monde et l’écriture de l’histoire. Elle n’est toujours pas une science, mais elle est intégrée dans une vision plus globale, celle de Dieu et de son dessein. Dans l’histoire biblique, il y a un début, la Genèse, et une fin éternelle, la Parousie, c’est-à-dire la fin du monde après le jugement dernier et le retour du Messie [5]. Les hommes s’inscrivent dans cette histoire globale, ils sont le dessein de Dieu, et les bonnes actions sont guidées par la foi, les mauvaises par le Diable.

Ceux qui écrivent les récits à cette période se placent donc dans cette écriture de l’histoire. Ils cherchent à montrer combien les actes des hommes servent la volonté divine. Il n’y a pas ici d’analyse ou de science, uniquement la mise en forme d’un récit.

La mise en place des sciences expérimentales

Au sortir de la Renaissance et avec la redécouverte des textes antiques, notamment ceux des scientifiques grecs et romains, les savants se détachent d’une vision biblique. Au début du XVIIe siècle, après la révolution copernicienne (qui enlevait à la Terre sa place au centre de l’Univers), les savants cherchent une manière d’objectiver les connaissances et développent la science expérimentale. Deux visions s’opposent : celle de l’expérience de pensée et celle des protocoles expérimentaux. Galilée (1564-1642), par exemple, observe et met en place des protocoles expérimentaux, tandis que Pascal (1623-1662) effectue plus volontiers des expériences de pensée, c’est-à-dire qu’il imagine ce qui devrait se passer. Ainsi, Galilée observe l’oscillation du pendule pour en déduire la période des pendules tandis que Pascal imagine l’expérience du tonneau pour en déduire son hypothèse sur la pression. L’anglais Francis Bacon (1561-1626) est le premier à mettre en place des protocoles fondés sur l’observation et la collecte des matters of fact, c’est-à-dire des faits particuliers [6]. De son côté, Galilée professe l’universalité de l’expérience : une fois réalisée, elle devient une expérience commune, c’està-dire un fait général. Au XVIIe siècle, certains savants cherchent à mathématiser l’expérience et elle devient l’énoncé, sous forme numérique ou algébrique, d’un fait général [7].

L’histoire n’appartient pas à ce domaine, car elle ne peut pas créer d’expérience du passé. Elle ne peut que l’observer. Et il faut attendre le XIXe siècle pour que cette observation s’objective.

Une petite histoire de l’Histoire

La science historique, c’est-à-dire l’étude des sociétés du passé, émerge en effet au moment des Lumières, au XVIIIe siècle [8]. C’est pendant la période romantique, c’est-à-dire au tournant du XIXe siècle, et dans un objectif scientifique, voire tenant d’une certaine forme de scientisme, que les sciences historiques émergent autour de Leopold von Ranke (1795-1886) [8]. Le scientisme de von Ranke a pour objet de faire de l’histoire une science aussi objective que les sciences naturelles. Les causes de cette transformation sont multiples : elles tiennent à la fois aux Lumières, qui mettent la raison comme moteur du savoir, et à l’effacement de l’explication globale que la Bible présente. L’étude approfondie et critique de la Bible, en s’appuyant sur les textes originaux, permet une remise en cause du message divin [9, 10, 11]. L’ouvrage de Georges Buffon publié en 1749, Les Époques de la Nature, remet ainsi en cause l’âge biblique de la Terre [12].

Durant le même temps, des auteurs se penchent sur le passé pour tenter, à la manière de Thucydide deux millénaires auparavant, de comprendre les causes des événements, d’expliquer les réussites et les failles des hommes. Voltaire (1694-1778), dans son Siècle de Louis XIV, met en avant une analyse du règne précédent pour éclairer le présent règne. Edward Gibbon (1773-1794), dans son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, essaie de comprendre la longue chute de l’Empire, mais dans une perspective moraliste.

Cette remise en cause de l’histoire biblique, ainsi que la mise au jour des textes anciens et l’étude raisonnable des actes anciens, notamment par les Mauristes (congrégation de Saint-Maur de moines bénédictins français fondée en 1618) ou par les universités allemandes au début du XIXe siècle au sein des Monumenta Germania Historiae, entraînent une modification profonde de l’approche du passé.

Portrait de l’historien Leopold von Ranke (détail), Julius Schrader (1815-1900)
Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie

C’est en Allemagne que la première approche méthodique s’opère dans le domaine historique. Barthold von Niehbur (1776-1831) publie en 1811 une Histoire romaine ; c’est la première fois que l’histoire devient une discipline indépendante de la philosophie ou de l’histoire naturelle, ne cherchant pas une réponse morale, mais une explication des faits. À la suite de ce travail fondateur, Leopold van Ranke va développer une méthode de recherche. Celle-ci se centre sur le travail des sources. Pour les historiens, les sources sont des écrits [13] produits à l’époque étudiée et qui permettent de fournir des informations sur cette période : c’est la Quellenkritik (« critique des sources ») qui devient le fondement de la recherche en histoire [8]. Par critique de la source, on entend son étude et son analyse à partir d’une grille critique établie par l’historien. C’est autour de cette notion essentielle que la science historique se fonde.

Avant de présenter ce que cette méthode recouvre, il faut préciser que la science historique se fixe en France à la fin du XIXe siècle. Elle se construit alors dans une opposition entre histoire religieuse et histoire savante ; une opposition entre science et croyance se dessine. En 1866 paraît le premier numéro de la Revue des questions historiques cherchant à contrer les historiens libéraux (ceux qui s’éloignent des positions cléricales) en usant de méthode scientifique historique [14]. En 1876 paraît le premier numéro de la Revue Historique, libérale, antireligieuse et fondée sur la méthode allemande, qui vient contrer l’histoire produite par les religieux, fondée sur une lecture littérale des textes religieux [15]. La rédaction de la Revue Historique comprend de nombreux historiens protestants, opposés au cléricalisme conservateur, comme Gabriel Monod (1844-1912), fondateur avec Gustave Fagniez (1842-1927) [15]. Son éditorial est essentiel pour définir l’histoire. Il comprend trois parties : une étude des progrès de l’historiographie 1 depuis le XVIe siècle, une analyse de la conjoncture historiographique et une définition du programme des historiens pour la fin du XIXe siècle. Dans cet éditorial, Gabriel Monod place sa revue comme étant l’émanation de la Nation, par opposition aux historiens cléricaux qui se placent dans une vision du dessein de Dieu. Il estime que l’historien est le dépositaire de la mémoire nationale. Il affirme également que l’historien doit comprendre et non pas louer ou juger.

Les historiens commencent par définir et préciser le métier et la formation d’historien. Ernest Lavisse (1842-1922) joue un rôle considérable dans cette fonction. Il entre à la Sorbonne en 1880, réforme le cursus universitaire, notamment la licence et l’agrégation, met en place le diplôme d’étude supérieur et formalise le travail de thèse pour l’obtention d’un doctorat. Il réforme également les programmes des études primaire et secondaire et rédige le Petit Lavisse en 1884, qui sert de manuel à l’école. Il obtient en 1883 la mise en place de cours réservés aux étudiants en histoire à la Sorbonne et appuie la fondation d’une Association des étudiants en lettres en 1885. La méthode est définitivement fixée par l’ouvrage de Charles-Victor Langlois (1863-1929) et Charles Seignobos (1854-1942), Introduction aux études historiques publiée en 1898 [15]. Tout ce courant historique qui fonde la recherche et l’enseignement contemporain de l’histoire est essentiellement dirigé contre l’enseignement religieux et spécialement catholique du passé.

Allégorie de l’Histoire, Nikólaos Gýzis (1842-1901)

À partir des années 1920, sous l’influence d’un courant appelé l’École des Annales et fondé par Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (18861944), l’histoire franchit une nouvelle dimension, sortant de l’étude des faits politiques (l’« Histoire bataille ») pour aborder le temps long, l’économie, les sociétés et les mentalités [16, 17]. Ce courant se détache encore plus de l’Église catholique qu’il critique. Pour les historiens, l’Église n’est plus un guide et la religion devient un fait social à étudier comme les autres.

Enfin, depuis les années 1960, l’histoire en tant que science humaine couvre des champs de plus en plus variés : l’histoire économique, religieuse, globale, des émotions, du genre, les Subaltern studies ou encore les Post-colonial studies. Elle devient une science humaine globale, cherchant à aborder tous les champs, toutes les périodes, toutes les activités et toutes régions où l’Homme a été présent, ouvrant ainsi de nombreuses perspectives [18].

Cette évolution de l’histoire montre que son établissement en tant que discipline rationnelle puis scientifique est le fruit d’un long processus, plus long que celui par lequel sont passés les sciences expérimentales, et qui a abouti au XIXe siècle.

La méthode scientifique en histoire

Au cours du XIXe siècle, le développement des sciences et l’évolution de l’idée de scientisme, c’est-à-dire un courant de pensée qui estime que tout peut être expliqué par la science, et qui met en avant le fait que toutes les sciences, notamment les sciences humaines, doivent prendre comme modèle les sciences naturelles, obligent les historiens à définir des méthodes objectives de recherche [19]. L’école historique allemande autour de von Ranke développe alors une méthode, reprise depuis, fondée sur quatre étapes successives : heuristique, critique, interprétation et exposition [17, 20]. La critique des sources joue ici un rôle central dans l’étude des sociétés du passé. Une source se présente sous forme écrite pour l’histoire, matérielle pour l’archéologie et artistique pour l’histoire de l’art. Elle est produite par la période ou durant la période étudiée. Un écrit ou une source artistique sont une production humaine, tandis que les sources matérielles traitées par l’archéologie peuvent être autant des productions humaines (outils, structures) que des restes humains ou naturels (artefacts, écofacts) [21]. C’est l’analyse des sources qui permet aux historiens, d’une part de comprendre le passé, et d’autre part de construire un savoir et de l’objectiver 2 [13].
La critique de la source est de deux ordres : interne et externe [22, 23]. La critique externe se fonde sur la matérialité de la source : le support, l’écriture le cas échéant, mais aussi sa position en fouille ou dans un ouvrage, tout ce qui distingue le support matériel. Cette analyse permet d’identifier la nature et le type de la source, et d’autre part d’écarter les forgeries (les faux). On peut écarter un faux en se rendant compte, par exemple, que le support n’existait pas à l’époque prétendue de l’émission de cette source (comme une charte sur papier antérieure au XIIe siècle ou un pigment moderne sur un tableau ancien). La critique interne prend en compte le texte lui-même. Elle cherche à déterminer si son contenu correspond bien à l’époque de production : une pratique, une personne, une ville qui daterait d’une autre époque permet aussi de montrer qu’un texte est une forgerie.

Cette double critique permet ainsi d’écarter un faux ou une pièce qui ne permettrait pas de s’assurer de sa période de production. En soi, un faux n’est pas sans intérêt car il est aussi une source, mais une source sur sa période réelle de production, pas sur la période qu’il est censé renseigner. Des exemples fameux existent, comme la Donation de Constantin, un texte censé avoir été émis par l’empereur Constantin avant de quitter Rome vers 330, et qui donnerait la garde de Rome et de son Contado, son territoire, au Pape. Or l’analyse de cette source a montré qu’il a été produit dans l’entourage du pape au milieu du VIIIe siècle [24].

Une fois cette critique effectuée, le travail de l’historien peut commencer. Il s’agit de dégager une compréhension, d’interroger la période étudiée et d’analyser les sources disponibles. Par exemple, on peut s’interroger sur le rôle des évêques dans la diffusion du christianisme en Europe du Nord au IXe siècle. L’examen des sources est évidemment la clé du travail de l’historien ; il s’agit à la fois de comprendre les sources, mais aussi, travail essentiel, de les croiser avec d’autres sources. Un texte est le produit d’une société. Il est donc nécessaire de comprendre la société qui l’a produit, de le contextualiser et le mettre en perspective.

Les historiens se sont dotés d’outils et se sont appuyés sur d’autres disciplines : la philologie (étude des langues), l’anthropologie, la géographie, mais aussi les mathématiques par le biais de la statistique [25, 26]. Les sources sont classées selon leur origine : texte de loi, « source de la pratique » (testament, contrat, donation…), récit, chroniques, etc. Ce classement permet d’interroger plus finement un texte. Par exemple, un texte de loi est émis par un pouvoir, il a pour objet de s’appliquer à tous, alors qu’une lettre est un échange entre deux individus ; la portée n’est donc pas la même. Par ailleurs, l’étude d’une source produit elle-même de l’information en dehors du texte lui-même : où a-t-elle été découverte, dans quel contexte et à quel moment a-t-elle été conservée ?

Enfin, le texte est aussi l’œuvre d’un auteur. Il faut donc, si cela est possible, tenter de comprendre ses intentions, tenir compte de sa position et de son statut, de son métier, de son âge. Ainsi, César écrivant son Commentaire de la Guerre des Gaules ne se place pas comme un chroniqueur voulant rapporter fidèlement la conquête de la Gaule, mais produit ce texte pour montrer sa réussite militaire et ses compétences afin de se valoriser, d’autant qu’il s’adresse aux Romains [27, 28]. De même, un évêque écrivant une hagiographie veut avant tout montrer la sainteté de l’homme dont il décrit la vie [29].

L’archéologie se sert aussi de sources issues des fouilles effectuées sur le terrain [30]. Mais la fouille n’est qu’une petite partie du travail. L’essentiel réside dans l’analyse des données recueillies [30].

La Donation de Constantin (détail), anonyme XIIIe s.

Les archéologues disposent, maintenant, de moyens d’analyses issus des sciences expérimentales. Le plus connu est sans doute la datation au carbone 14 qui permet d’objectiver l’ancienneté des données de terrain [31]. Mais on peut aussi citer l’étude des pollens (palynologie), l’étude des graines (carpologie) ou celle des mollusques (malacologie). Enfin, l’archéologie se sert de techniques modernes pour la prospection, allant de la photo aérienne au lidar (sorte de radar reposant sur l’émission d’un faisceau lumineux) et à la prospection électromagnétique des sols. L’archéologie reste une science humaine, et, comme l’histoire, elle s’appuie sur les sources pour comprendre les sociétés humaines du passé. Mais elle met en œuvre des procédés technologiques pour obtenir et analyser ses sources.

La pseudo-histoire

Si l’histoire est une science, comme les autres sciences, elle a son pendant négatif, celui des pseudo-sciences. Rappelons que le préfixe « pseudo » vient du grec ancien et signifie « faux ». Depuis que l’histoire existe en tant que discipline, des auteurs ont inventé des histoires parallèles, parfois totalement fausses. C’est, par exemple, le cas de l’écrivain britannique James Churchward (1851-1936), inventant un continent immergé, Mu, source de toutes civilisations, ou encore de l’écrivain français Georges Barbarin (1882-1965), prétendant que les constructeurs de la pyramide de Chéops ont en fait voulu créer une sorte d’horloge pour prévenir les hommes de catastrophes à venir [32, 33]. Cette tendance n’a pas disparu et des auteurs continuent de vendre des versions falsifiées de l’histoire. C’est le cas de l’écrivain et journaliste Graham Hancock prétendant que les anciennes civilisations terrestres ont une origine extraterrestre [34] ou de Anton Parks, qui invente l’idée que les anciens dieux viennent de la planète Nibiru [35].

Qu’est-ce qui différencie ces auteurs des historiens ? Deux choses essentiellement : le manque de méthode et le manque de sources. En effet, leurs affirmations ne s’appuient sur aucune méthode pour étudier leurs objets de recherche ; de même, ils choisissent certaines sources et en écartent d’autres, sans motiver ce choix. Enfin, ils n’effectuent pas de critiques des sources retenues, prenant souvent une légende pour un texte qu’il faut « croire » sans discuter s’il va dans leur sens, et n’analysant ni le contexte, ni les intentions de l’auteur.

L’histoire, une science humaine

L’histoire, l’histoire de l’art et l’archéologie ont mis en place des méthodes rigoureuses pour objectiver l’étude de leurs sources. Comme toutes les sciences, leurs résultats sont vérifiés par leurs pairs et amendés le cas échéant.

En revanche, et c’est ce qui les fait entrer dans la catégorie des sciences humaines, ce sont d’abord leurs objets : l’étude des sociétés humaines ; elles ne peuvent s’appuyer uniquement sur l’expérimentation et dépendent des sources. En effet, quoi que l’on fasse, on ne peut reproduire en laboratoire l’évolution d’une société humaine. Un certain nombre de facteurs ne sont pas reproductibles, comme les émotions, les ressentis ou les évolutions de relations entre individus. De plus, la « tyrannie » des sources interdit l’étude de tous les aspects. En effet, quel que soit le sujet abordé, un historien doit se contenter des sources disponibles, et donc oublier celles qui ne le sont pas ; il doit aussi se contenter des sources qu’il peut traiter dans un espace de temps raisonnable. Selon les périodes, cette tyrannie des sources est différente. Un chercheur sur le haut Moyen Âge sait qu’il va disposer de peu de sources, et que de très nombreux écrits ont simplement disparu. A contrario, un historien de la période contemporaine aura trop de sources. Il devra alors sélectionner celles qui seront les plus à même de répondre à sa problématique. Bien sûr, dans son travail, le chercheur va expliciter le choix de ces sources et mettre en avant la méthodologie qui a permis de les sélectionner. C’est par ces principes et ces méthodes que l’histoire fait bien partie de la grande famille des sciences.

Références


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11 | Epp E, “Critical editions and the development of text methods, part 2, From Lachmann (1831) to the present”, in The Cambridge History of the Bible, vol 4, from c.1750, CUP, 110-37.
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31 | Evin J et al., La Datation en laboratoire, Errance, 1999.
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33 | Barbarin G, Le secret de la Grande Pyramide, J’ai Lu, 2006 (éd 1936).
34 | Hanckock G, Fingerprints of the Gods, Penguin Random House, 1995.
35 | Parks A, Les Chroniques de Girku, Nouvelle terre, 2021.

1 Le terme « historiographie » définit l’évolution de la pensée historique ; c’est en quelque sorte l’histoire de l’histoire. À ne pas confondre avec « historiographe » qui est l’écrivain chargé officiellement d’écrire l’histoire de son temps.

2 L’Histoire, Edvard Munch (1863-1944)

Publié dans le n° 343 de la revue


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L' auteur

Alexis Seydou

Historien et archéologue.

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