Accueil / Notes de lecture / La Terre, des mythes au savoir

La Terre, des mythes au savoir

Publié en ligne le 24 janvier 2012
La Terre, des mythes au savoir

Hubert Krivine. Préface de Jacques Bouveresse
Cassini, 2011, 290 pages, 26 €

Hubert Krivine est physicien. Je le connaissais comme un remarquable pédagogue, il se révèle ici comme essayiste et homme des Lumières de notre temps. Jacques Bouveresse dégage dans sa préface la portée philosophique de son ouvrage, et c’est d’ailleurs l’occasion pour lui de dénoncer le relativisme postmoderne en épinglant Bruno Latour. Le propos de l’ouvrage, relevé par Bouveresse, est de « réhabiliter la notion réputée naïve de vérité scientifique contre l’idée que la science ne serait qu’une opinion socialement construite ». Et le sujet de l’ouvrage, la Terre et les conceptions que les hommes en ont eues, a l’intérêt de donner dès la première partie, « l’âge de la Terre », un exemple impressionnant de la façon dont la vérité se fait jour en partant des mythes, à travers les erreurs et embûches, jusqu’à la connaissance solide, encore que toujours mouvante, que nous en avons aujourd’hui.

À la Renaissance, il était admis en Europe que l’âge de la Terre était de quelque 5 600 ans. Newton, partant d’une étude attentive de la Bible, a fixé sa naissance à 3 998 ans avant Jésus-Christ. On estime aujourd’hui son âge à 4,55 milliards d’années, à quelques millions près. Au 19e siècle, il restait une contradiction entre la durée nécessaire à l’évolution des espèces et le temps de vie que les physiciens assignaient au Soleil, en supposant que la source de son énergie était son effondrement sur lui même : c’était Kelvin contre Darwin. Le tournant, qui a justifié Darwin contre Kelvin, a été la découverte de la radioactivité. L’énergie solaire repose sur la transformation de la masse en énergie et non de son effondrement sous l’effet de la gravité ; le Soleil a donc bien plus longtemps à vivre qu’on ne le pensait au 19e siècle. La datation des roches par l’utilisation de la radioactivité a rejoint d’autres données pour aboutir aux chiffres actuels. Telle est, bien sommairement racontée, la grande aventure scientifique qu’Hubert Krivine a choisi de nous présenter comme premier exemple.

Le second exemple – la seconde partie – concerne le mouvement de la Terre. L’histoire, avec Copernic, Kepler, Bruno, Galilée, Newton et leurs successeurs, est mieux connue, et les lecteurs de Sciences et pseudo-sciences peuvent penser n’avoir rien à apprendre des rapports entre l’Église catholique et le procès de Galilée. Erreur. Hubert Krivine a dépouillé des documents relatifs à la canonisation du Cardinal Bellarmin, qui instruisit le procès de Galilée, et il éclaire de façon nouvelle l’attitude actuelle de l’Église sur la question (la canonisation et l’attribution à Bellarmin du titre exceptionnel de « docteur de l’Église » date de 1930). Tant au plan historique, qui remonte à l’Antiquité, qu’au plan scientifique, avec l’examen des données et des théories, cette seconde partie me paraît une somme sur la vision qu’ont eue, en Europe, les hommes (oui, peu de femmes dans cet ouvrage et l’auteur s’en explique) de la place relative de la Terre et du Soleil dans l’Univers. Des citations pertinentes émaillent les différents chapitres. On trouve à la fin une belle citation de Poincaré sur la notion de vérité où justement il prend l’exemple de la rotation de la Terre. Je ne résiste pas à la tentation d’en indiquer deux phrases. « Une théorie physique est d’autant plus vraie qu’elle met en évidence plus de rapports vrais » et la phrase finale : « La vérité, pour laquelle Galilée a souffert, reste donc la vérité, encore qu’elle n’ait pas tout à fait le même sens que pour le vulgaire, et que son vrai sens soit bien plus subtil, plus profond et plus riche ».

Au contraire de la deuxième, la troisième partie est très courte, mais c’est là qu’apparaît en clair le rationalisme d’Hubert Krivine et la façon dont il l’articule avec les enjeux scientifiques et sociaux. Je me borne à l’introduction où il dit le propos du livre et aux dernières phrases, qui témoignent du lien entre ses différents objectifs. « Ce livre avait trois objectifs, qui ne sont pas indépendants : contribuer à faire entrer la culture scientifique dans la culture tout court (et réciproquement) ; montrer comment et pourquoi les savants de la Renaissance, tous bons chrétiens, ont été contraints d’abandonner la lecture littéraliste des textes sacrés ; réhabiliter la notion réputée naïve de vérité scientifique, contre l’idée que la science ne serait qu’une opinion socialement construite ». On reconnaît la phrase citée par Bouveresse dans sa préface.

Et voici la fin : « lorsqu’il conduit à l’équivalence méthodologique entre science et religion (voire magie), le relativisme scientifique ouvre une voie royale aux conservatismes religieux. [...] Misère intellectuelle souvent nourrie par la misère tout court, la résurgence des divers fondamentalismes religieux rend étonnamment actuels l’argumentation de Galilée et l’apport de Darwin ». Cette fin n’est pas la fin du livre. Une quatrième partie contient les annexes où le pédagogue et le physicien apportent d’excellents éclaircissements sur une série de questions abordées dans les différents chapitres, avant le glossaire, l’index et l’abondante bibliographie. C’est donc un livre très sérieux. Je veux dire aussi qu’il est agréable à lire. Allez-y voir, c’est vraiment mon conseil.

Note parue dans Les Cahiers Rationalistes (mars-avril 2011, n° 611)