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La réactance psychologique

Publié en ligne le 7 septembre 2025 - Psychologie -

Pourquoi un enfant fait-il parfois le contraire de ce qu’on lui dit ? Pourquoi une personne n’aime-t-elle pas parfois recevoir une faveur ? Pourquoi la propagande est-elle souvent inefficace pour convaincre les gens ?

Jack Brehm [1]

Il existe de multiples raisons pour résister à des pressions exercées sur nous : informations, croyances personnelles, principes moraux, engagements sociaux, etc. Des psychologues estiment qu’il y a une tendance psychologique fondamentale à réagir aux menaces perçues sur sa liberté personnelle. Ils l’appellent la « réactance psychologique ».

Le mot « réactance » est un terme emprunté à la physique (électricité) par le psychologue américain Jack Brehm (1928-2009) dans son célèbre livre A Theory of Psychological Reactance (1966). Brehm a défini la « réactance » comme l’état psychologique d’une personne qui perçoit une restriction de sa liberté (ou une menace de restriction) et qui est motivée à protéger ou restaurer son autonomie. Brehm postule que les gens ont un désir fondamental de se sentir autonomes et de choisir ce qu’ils font, surtout dans les cultures individualistes [2].

La réactance à la pression de l’autorité

Brehm a demandé à des étudiants d’un cours de psychologie leur avis sur les « machines à enseigner », parmi diverses questions. Il les a ensuite invités à prendre connaissance de l’avis d’un expert. La moitié des étudiants lisait que l’expert était un « éminent pédagogue de l’université » (signe de haut prestige) et l’autre moitié lisait qu’il s’agissait d’« un étudiant qui avait reçu une récompense pour ce texte » (bas prestige).

Chacun des deux groupes était à son tour divisé en deux : pour la moitié des sujets, le texte exprimait une forte pression prescriptive (« Les étudiants doivent de toute façon accepter d’utiliser des machines à enseigner ») ; pour l’autre moitié, la pression était faible, l’expression était bien plus ouverte (« Je crois qu’on devrait utiliser des machines à enseigner »).

La réactance est apparue uniquement dans le groupe « haut prestige » et « forte pression ». Le personnage de faible prestige n’a pas été pris au sérieux et n’a pas provoqué beaucoup de réactance [1].

Autre exemple de la réactance à l’autorité. Des écriteaux ont été placés dans les toilettes pour hommes de restaurants de campus universitaires du Texas. Dans un cas, il était écrit : « N’ÉCRIVEZ PAS sur les murs ! », et dans l’autre « S’il vous plaît, n’écrivez pas sur les murs ». Tantôt le message était signé par une autorité (« J. Buck, chef de la sécurité »), tantôt la signature n’évoquait pas l’autorité (« J. Buck, membre de l’équipe d’entretien »). Le nombre de nouveaux graffitis s’est avéré plus élevé avec le message à tonalité autoritaire et la mention du nom d’une autorité [3].

La réactance à la censure

Le psychologue Robert A. Wicklund (1941-2020), en collaboration avec Brehm, a évalué l’avis des élèves concernant la possibilité d’abaisser l’âge légal de la conduite automobile. Ensuite, il a été annoncé aux élèves qu’un conférencier viendrait faire un exposé en faveur de ce changement. Le matin du jour où le conférencier était attendu, la conférence a été annulée. À un groupe d’élèves, on a déclaré que le conférencier était malade ; à l’autre, on a dit que le directeur de l’établissement s’opposait à la conférence. L’opinion des élèves sur l’abaissement de l’âge requis pour conduire a de nouveau été évaluée. Les avis n’ont guère changé dans le premier groupe, contrairement au second, où davantage d’élèves se sont prononcés pour l’abaissement de l’âge [4].

Plusieurs autres études, conduites selon le même scénario, ont montré que la censure provoque une attitude davantage positive en faveur du contenu censuré. Par exemple, sur le thème « La police ne devrait jamais être permise sur le campus » chez des étudiants d’université [5].

L’effet Roméo et Juliette

Une illustration de réactance, qui a été un temps « classique », est « l’effet Roméo et Juliette ». Une étude publiée en 1972 a suivi pendant six mois 140 nouveaux couples d’amoureux [6]. Elle a constaté que des partenaires avaient resserré leurs liens lorsque les parents avaient une attitude défavorable vis-à-vis de leur relation. Cette illustration de réactance a été souvent citée, notamment dans des manuels de psychologie [7].

En 2014, trois chercheurs ont tenté de reproduire cette étude (mêmes questionnaires, durée d’observation un peu plus courte) avec, toutefois, une différence importante : l’ajout d’une mesure des niveaux d’interférence perçus de la part d’amis [8]. Les résultats vont dans le sens opposé de l’étude de 1972 : les interférences négatives ou les faibles niveaux d’approbation sont associés à une relation moins bonne.

Plusieurs études ont confirmé cette observation, et ont également montré l’effet symétrique (le soutien de proches augmente la stabilité et la qualité de la relation) [9, 10]. L’appartenance à des groupes, vitale pour l’être humain, a une forte influence sur les idées et les sentiments.

L’histoire de l’effet Roméo et Juliette rappelle la nécessité de répliquer les recherches avant de s’enthousiasmer pour une découverte, quelles que soient la notoriété des chercheurs et la qualité de la revue scientifique.

Les paramètres de la réactance

Selon Brehm, le degré de réactance est fonction de quatre variables : (1) le niveau de sentiment quant à la liberté d’adopter le comportement menacé ou empêché ; (2) l’importance accordée au comportement ; (3) l’intensité du contrôle perçu et la perception du risque que le comportement soit effectivement empêché ; (4) l’implication du contrôle en question pour d’autre libertés. La réactance peut se déclencher à la vue d’autres personnes privées des mêmes libertés de choisir.

Le Printemps, Pierre-Auguste Cot (1837-1883)

Les tentatives de restauration du sentiment de liberté peuvent se faire de façon directe ou indirecte. Dans le premier cas, la personne peut adopter le comportement déconseillé ou contrôlé. Par exemple, elle boit de l’alcool après un message sur ses dangers. On parle alors d’« effet boomerang ». La personne peut aussi s’en prendre au messager.

Des restaurations indirectes de ce sentiment de liberté peuvent se mettre en place, par exemple en dévaluant la valeur du message (affirmer que boire du vin est bon pour la santé) ou en adoptant des conduites alternatives du même ordre (consommer de la marijuana à la place d’alcool).

La personne peut développer des ruminations ou des obsessions. Des adolescents obèses auxquels l’entourage impose des restrictions d’alimentation font souvent part du développement d’idées obsédantes de nourriture. Le sentiment pénible d’être socialement contrôlé est parfois appelé « claustrophobie cognitive » [11].

Un principe essentiel de l’approche comportementale dans le domaine de l’éducation consiste à récompenser les comportements souhaitables en évitant de sanctionner ceux qui sont inappropriés. On a toutefois observé que des enfants perturbés et des adolescents délinquants, chez lesquels des éducateurs récompensaient systématiquement des comportements dont ils souhaitaient augmenter la fréquence, réagissaient par une diminution de ceux-ci [12]. Le psychologue américain Michael J. Mahoney (1946-2006), l’un des fondateurs des thérapies cognitivo-comportementales et qui a travaillé un temps dans un centre pour enfants « émotionnellement perturbés », a trouvé une solution pour motiver ceux qui refusaient obstinément d’accomplir des actions demandées, par exemple prendre une douche. Les enfants acceptaient plus facilement lorsqu’on leur proposait un choix : par exemple prendre une douche dans une cabine de douche ou dans une salle de bain [11].

La mesure de la réactance

La réactance varie selon les situations, mais dépend également des personnes. Des auteurs ont construit plusieurs échelles d’évaluation du degré de réactance et ont étudié des caractéristiques de personnes hautement réactantes. Statistiquement, ces personnes manifestent un fort désir d’autonomie, une résistance aux tentatives de persuasion, aux règles, aux réglementations et aux normes sociales [13]. Elles observent moins bien les prescriptions médicales, par exemple en cas de diabète [14]. Elles refusent plus souvent les vaccinations [15]. Elles ont un moindre degré de bien-être psychologique [16] et adoptent davantage des comportements dangereux pour la santé, tels que le tabagisme et des conduites sexuelles à risque (une forte tendance à la réactance est un meilleur prédicteur de ce type de comportements que la « recherche de sensations » considérée généralement comme une variable significative) [17].

Styles de communication favorables au changement

De nombreuses études ont porté sur la façon de formuler des messages efficaces en faveur de la santé. Les résultats ne sont pas toujours très significatifs [18].
Les messages doivent être explicites, mais non « contrôlants » (utilisant des termes comme « vous devez », « il est impossible de nier que… ») sous peine d’être contre-productifs.
Des messages qui s’accompagnent d’un récit sont plus efficaces que des messages qui présentent uniquement des raisons et des évidences. C’est le cas, par exemple, pour informer sur les conséquences d’une grossesse non désirée chez des adolescentes [19].

Il est préférable que les messages à visée prescriptive présentent à la fois les avantages de suivre les recommandations (« la crème solaire donne une belle peau ») et les inconvénients de ne pas les suivre (« l’absence de protection au soleil abîme la peau »), plutôt qu’une seule conséquence.

La formulation du message doit permettre le choix, en utilisant des expressions comme « peut-être » ou « il est possible que ». Par exemple, un message qui comporte deux recommandations pour éviter le cancer de la peau (« portez des vêtements qui vous protègent » ou « appliquez de la crème solaire ») est apparu plus efficace auprès d’étudiants qu’un message avec une seule recommandation [20].

Des expériences ont été menées sur l’effet de l’avertissement que le message pourrait provoquer de l’opposition. Ce genre de message diminue un peu la réactance, mais seulement si le langage n’apparaît pas menaçant pour la liberté [21].

Des expériences ont vérifié que de brèves déclarations à la fin du message, qui rappellent que le destinataire reste libre de son choix (« bien sûr c’est à vous de choisir », « vous savez ce qui est le mieux pour vous », « vous êtes libre de décider par vous-même »), rendent le propos plus efficace, en particulier quand l’argumentation repose sur un sentiment de peur, par exemple pour inciter à recycler en mettant en avant les risques pour la planète à ne pas le faire [22].

Réduire la réactance dans le traitement de toxicomanies

Le traitement des toxicomanies est particulièrement difficile. Des observations cliniques ont fait comprendre que les pressions pour renoncer à de funestes habitudes provoquaient de la réactance. Dans des couples, sur de nombreux sujets, il arrive que l’insistance d’un partenaire à faire changer l’autre soit contre-productive. Parfois le changement se réalise lorsque le partenaire qui pressait de changer a cessé de houspiller [23].

Les Morphinées (détail), Georges Moreau de Tours (1848-1901)

Une pratique psychothérapeutique, qui a tiré les leçons de ce type d’observations, est « l’entretien motivationnel ». Elle a été développée au début des années 1980 par deux psychologues spécialisés dans le traitement des dépendances : William Miller (professeur à l’université du Nouveau-Mexique) et Stephen Rollnick (professeur à l’université de Cardiff), qui l’ont définie comme « un entretien guidé centré sur le patient pour l’encourager à changer de comportement en l’aidant à explorer et à résoudre son ambivalence face au changement » [24]. Cette pratique connaît un succès impressionnant. Une enquête publiée en 2016 a révélé que deux tiers des programmes de traitement de la toxicomanie aux États-Unis déclaraient l’utiliser [25]. Elle est généralement employée comme la première étape d’une thérapie. Dans cette perspective, elle est très largement adoptée par les comportementalistes [26]. En France, la Haute Autorité de santé la recommande « dans le cadre de conduites addictives, d’états de santé ou de pathologies chroniques nécessitant un changement de comportement ou de mode de vie » [27].

L’idée de base est que la personne doit avoir le sentiment qu’elle est actrice de son changement de comportement. Une personne dépendante qui souhaite changer son comportement est confrontée à de nombreuses raisons qui la poussent à garder le statu quo. Parmi les « avantages » qu’elle perçoit, il y a notamment l’évitement de la souffrance liée à la suppression de la substance addictive.

Le thérapeute doit se montrer empathique : cette attitude est nettement préférable à la confrontation directe, aux injonctions et à des messages qui suscitent essentiellement la peur de conséquences néfastes pour soi et pour l’entourage [28]. Parallèlement, le thérapeute veille à favoriser la prise de conscience progressive des « coûts » de l’assuétude et des bénéfices prévisibles du changement. La relation reste toujours « collaborative » au cours de l’analyse de la situation et de l’élaboration d’un plan thérapeutique ajusté à la personne. Le thérapeute utilise des expressions comme « nous pourrions essayer », « je recommande ». Il évite tant le langage autoritaire que paternaliste.

Conclusion

La réactance psychologique présente des avantages et des inconvénients.

Au niveau individuel, elle peut aider à éviter la manipulation, à défendre des droits et des libertés. Malheureusement, elle conduit à des comportements préjudiciables, par exemple lorsque les gens résistent aux messages destinés à protéger leur santé. D’autre part, la réactance peut frustrer, irriter, mettre en colère et favoriser des conflits relationnels.

Au niveau sociétal, la réactance peut entraîner des résultats négatifs : une meilleure diffusion de la désinformation et la résistance à des messages essentiels pour le bien-être. Par exemple, durant la pandémie de Covid-19, la recherche d’informations minimisant la gravité du virus ou remettant en question l’efficacité des vaccins est favorisée par un plus grand niveau de réactance. La réactance peut aussi contribuer à la polarisation sociale : les gens s’opposent parfois de façon virulente, leurs accusations prenant alors plus de place que l’échange d’arguments raisonnés et la recherche de la vérité.

Références


1 | Brehm J, A theory of psychological reactance, Academic Press, 1966.
2 | Miron A, Brehm J, "Reactance theory : 40 years later", Zeitschrift für Sozialpsychologie, 2006, 37:9-18.
3 | Pennebaker JW, Sanders D, "American graffiti : effects of authority and reactance arousal", Personality and Social Psychology Bulletin, 1976, 2:264-7.
4 | Wicklund RA, Brehm JW, "Effects of censorship on attitude change and desire to hear a communication", working paper, Duke University, 1967.
5 | Ashmore R et al., "Censorship as an attitude change induction", communication, Eastern Psychological Association, 1971
6 | Driscoll R et al., "Parental inference and romantic love : the Romeo and Juliet effect", Journal of Personality and Social Psychology, 1972, 24:1-10
7 | Baron R, Byrne D, Social psychology, Allyn and Bacon, 1978.
8 | Colleen S et al., "Revisiting the Romeo and Juliet effect", Social Psychology, 2014, 45:170-8
9 | Sprecher S, Felmlee D, "The influence of parents and friends on the quality and stability of romantic relationships", Journal of Marriage and the Family, 1992, 54:888-900.
10 | Lehmiller JJ, "Perceived marginalization and its association with physical and psychological health", Journal of Social and Personal Relationships, 2012, 29:451-69
11 | Mahoney MJ, Cognition and behavior modification, Ballinger, 1974.
12 | Patterson G, "Behavioral techniques based upon social learning" in Behavior therapy : appraisal and status, Mac Graw-Hill, 1969, 323-74
13 | Seibel CA, Dowd ET, "Personality characteristics associated with psychological reactance", Journal of Clinical Psychology, 2001, 57:963-9.
14 | Fogarty IS, Youngs Jr. GA, "Psychological reactance as a factor inpatient noncompliance with medication taking", Journal of Applied Social Psychology, 2000, 30:2365-91.
15 | Hornsey MJ et al., "The psychological roots of anti-vaccination attitudes : a 24-nation investigation", Health Psychology, 2018, 37:307-15
16 | Joubert CE, "Relationship among self-esteem, psychological reactance, and other personality variables", Psychological Reports, 1990, 66:1147-51
17 | Miller CH, Quick BL, "Sensation seeking and psychological reactance as health risk predictors for an emerging adult population", Health Communication, 2010, 25:266-75.
18 | Reynolds-Tylus T, "Psychological reactance and persuasive health communication : review of the literature", Frontiers in Communication, 2019 4:1-12
19 | Moyer-Gusé E, Nabi RL, "Explaining the effects of narrative in an entertainment television program : overcoming resistance to persuasion", Health Communication Research, 2010, 36:26-52.
20 | Shen L, "Antecedents to psychological reactance : the impact of threat, message frame, and choice", Health Communication, 2015, 30:975-85
21 | Richards AS et al., "More on inoculating against reactance to persuasive health messages : the paradox of threat", Health Communication, 2017, 32:890-902
22 | Bessarabova E et al., "Reactance, restoration, and cognitive structure", Human Communication Research, 2013, 39:339-64
23 | Shoham V et al., "From state to trait and back again : reactance theory goes clinical", in Motivational analyses of social behavior : building on Jack Brehm’s contributions to psychology, Erlbaum, 2004,167-185
24 | Miller WR, Rollnick S, Motivational interviewing : preparing people to change addictive behavior, Guilford, 2023.
25 | Rieckmann TR et al., "Implementation of motivational interviewing in substance use disorder treatment : research network participation and organizational compatibility", Journal of Addiction Medicine, 2016, 10:402-7
26 | Naar S, Safren S, Motivational interviewing and CBT : combining strategies for maximum effectiveness, Guilford Press, 2017.
27 | Haute autorité de santé, "Entretien motivationnel : outil d’amélioration des pratiques professionnelles", 20 mars 2024.
28 | Shen L, "The effectiveness of empathy-versus fear-arousing antismoking PSAs", Health Communication, 2011, 26:404-15

Publié dans le n° 352 de la revue


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L'auteur

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l’université de Louvain (Louvain-la-Neuve) et à l’université Saint-Louis (…)

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