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Le monde sans fin

Publié en ligne le 20 février 2022
Le monde sans fin
Jean-Marc Jancovici, Christophe Blain
Dargaud, 2021, 196 pages, 27 €

Récemment, le film Don’t Look Up 1 a épinglé avec humour la tendance de nos sociétés à la paralysie quand vient l’heure d’œuvrer collectivement pour leur survie et la sauvegarde de leur milieu. À l’heure où le changement climatique est d’une actualité brûlante et où les enjeux écologiques s’invitent dans les débats publics, une approche rationnelle et dépassionnée des questions relatives à la transition énergétique est plus que jamais nécessaire. C’est bien à quoi s’emploient Jean-Marc Jancovici et le dessinateur Christophe Blain dans Le Monde sans fin, bande dessinée parue chez Dargaud à la fin de l’année 2021.

J.-M. Jancovici, polytechnicien et enseignant à Mines ParisTech, milite depuis de longues années pour faire connaître les conséquences actuelles et à venir du changement climatique induit par les activités humaines et promouvoir une transition vers une « économie bas carbone ». Plus globalement, sa pensée s’inscrit dans une perspective de décroissance contrôlée et anticipée de l’activité humaine 2. Fondateur du think tank écologique The Shift Project, il a acquis une indiscutable notoriété auprès du grand public grâce à ses conférences diffusées sur Internet, dans lesquelles il s’adresse à des publics variés avec un style incisif mais non dénué d’humour.

Cette bande dessinée n’est pas seulement le condensé de ces interventions, elle a aussi été conçue comme un voyage. J.-M. Jancovici, tel Virgile, accompagne un C. Blain effaré dans les méandres de notre rapport aux énergies fossiles, leurs conséquences sur l’environnement et l’urgence de leur trouver des alternatives moins émettrices de gaz à effet de serre.

La transition énergétique recommandée par des organisations scientifiques (à l’instar du Giec 3) et souhaitée par une part croissante de la société civile (comme le mouvement Youth for Climate initié par Greta Thunberg) peut toutefois apparaître comme un dédale semé d’embûches pour le citoyen qui n’est pas spécialiste du sujet. Certaines solutions ne sont miraculeuses qu’en apparence et d’autres sont injustement diabolisées dans le débat public. J.-M. Jancovici présente les avantages et inconvénients des différentes sources d’énergies à faible émission telles que l’hydroélectrique, le nucléaire, l’éolien ou le solaire. Selon lui, il s’agit moins de choisir parmi cet éventail de solutions que de les combiner afin de construire un mix énergétique susceptible de permettre à la France de réussir sa transition tout en assurant à ses citoyens un niveau de vie comparable à celui qu’ils connaissent aujourd’hui.

L’ingénieur explique avec érudition mais simplicité les ressorts de la situation actuelle (dépendance aux énergies fossiles et conséquences sur la hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes) et expose avec clarté les avantages et les inconvénients des différentes sources d’énergies alternatives peu carbonées. À ce titre, le lecteur régulier de Science et pseudo-sciences ne sera pas dépaysé, en témoignent certains arguments mobilisés dans la BD en faveur de la défense du nucléaire civil qu’on retrouve à plusieurs reprises dans nos colonnes 4. Ainsi, « tous les déchets à vie longue et à forte activité qui ont été produits depuis qu’on fait de l’électronucléaire, c’est-à-dire presque 50 ans, tiennent dans une piscine olympique ».

Si le constat est posé avec brio, il faut toutefois reconnaître que la partie traitant des solutions est réduite à sa portion congrue, tout au plus une vingtaine de pages sur les 196 que compte l’ouvrage, et principalement axée sur les initiatives individuelles des citoyens. Un parti pris qui laisse supposer que l’objectif de la BD est avant tout d’éveiller les consciences à la nécessité d’une réduction massive et planifiée des émissions de gaz à effet de serre. L’inventaire des actions nécessaires pour y parvenir est quant à lui développé dans le dernier livre du Shift Project, qui vient de paraître 5.

Un autre point contestable de son argumentaire est la thèse selon laquelle l’histoire de l’Homme serait réductible à celle de sa maîtrise énergétique, ce qui donne l’impression que J.-M. Jancovici minore les causes politiques et sociales des changements historiques des sociétés humaines. Enfin, il est dommage que les auteurs n’aient pas jugé bon d’intégrer en fin d’ouvrage une liste des sources utilisées à l’appui des nombreux chiffres apportés. En effet, s’il est aisé de les retrouver pour les affirmations sur la réalité et les conséquences du réchauffement climatique, il n’en est pas de même à propos des actions à entreprendre, plus susceptibles de résulter d’une vision personnelle.

Malgré cela, Le Monde sans fin est un formidable outil de sensibilisation aux enjeux environnementaux qui permettra sans doute de toucher un large public. Le succès de librairie qu’il connaît 6 témoigne d’un fort intérêt des citoyens pour ce sujet, préalable indispensable à leur montée en compétence et à l’émergence d’un débat public de meilleure qualité sur la transition énergétique.

1 Don’t Look Up : Déni Cosmique, film réalisé par Adam McKay, 2021, disponible sur la plateforme internet de vidéo à la demande Netflix.

2 Jancovici JM, Entretien dans Euractiv Slovaquie, novembre 2019. Sur le site jancovici.com

3 Giec, Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement climatique à 1,5 °C, résumé pour décideurs, chapitre 2, 2018. Sur le site ipcc.ch

4 Voir « Peut-on stocker les déchets nucléaires en formation géologique profonde ? », sur afis.org

5 The Shift Project (collectif), Climat, crises : le plan de transformation de l’économie française, Odile Jacob, 2022.

6 Jancovici JM, Entretien pour le site internet de Marianne, 17 janvier 2022. Disponible sur : https://www.marianne.net/politique/ecolos/on-a-discute-avec-jean-marc-jancovici-du-succes-de-sa-bd-et-du-film-dont-look-up