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Le prix IgNobel

Publié en ligne le 26 juillet 2020 - Histoire des sciences -

Chaque année, au mois de septembre, un grand amphithéâtre de l’université Harvard (Cambridge, près de Boston aux ÉtatsUnis) accueille plus de 1 000 personnes pour une cérémonie festive et diffusée en direct sur Internet. Elle est suivie dans le monde entier. La cérémonie dure une heure trente. Dans la salle, il y a du bruit et des rires et des avions en papier sont envoyés de tous les coins de l’amphithéâtre. L’assistance est composée de chercheurs. Un site Internet sur la « recherche improbable » détaille toutes les informations sur ces cérémonies et met à disposition l’ensemble des vidéos [1] (sur la page Wikipédia « Prix_IgNobel », on retrouvera l’histoire du prix et la liste des lauréats).

Le prix IgNobel se prononce approximativement « ignoble » en anglais. Ces prix humoristiques sont remis par des chercheurs ayant eu un vrai prix Nobel et qui se prennent au jeu. L’un d’entre eux peut balayer la scène pour enlever les avions en papier ; certains sont déguisés. Le maître de cérémonie qui a fondé le prix est Marc Abrahams. Il est bien habillé avec un haut-deforme. Il précise que les prix sont remis à des chercheurs qui nous font rire, mais aussi réfléchir. Les recherches primées ont été le plus souvent publiées dans des revues scientifiques et les articles sont consultables. Cette cérémonie en est à sa 29e édition, marque de son succès. Au cours du temps, les thèmes ont varié, et les chercheurs récompensés ne sont pas toujours venus. Certains ont été primés pour des actions ou découvertes parfois contestables : c’est l’ironie, la dérision, le rire critique qui guident le jury du prix. Au-delà de la cérémonie, les chercheurs montrent qu’ils peuvent d’abord se moquer d’eux-mêmes et rire ensemble. Il ne s’agit jamais d’une découverte majeure qui fera progresser la science, contrairement aux vrais prix Nobel.

Les lauréats reçoivent leur prix avant de parler. En 2019, les prix étaient magnifiques : un mug en carton avec une brosse à dent, des bonbons, un téléphone portable factice, un mégot de cigarette... et quelques autres apparats du chercheur. Le lauréat reçoit surtout un billet de banque de dix trilliards de dollars ! Il s’agit d’un vrai billet qui a existé (en fait au Zimbabwe).

Les lauréats ont une minute pour exposer leurs recherches. S’ils dépassent le temps, ils sont interrompus par une petite fille de huit ans qui court sur la scène. Elle crie « Arrêtez s’il vous plait, je m’ennuie ! » Elle répète cela jusqu’à ce que l’orateur s’arrête de parler. Il y a des intermèdes, avec en 2019 la chorale des mauvaises habitudes, créée pour l’occasion.

Voici quelques prix IgNobel attribués en 2019 :

  • Médecine : manger des pizzas protégerait contre les maladies cardiaques et le cancer, à une condition : que la pizza soit faite et mangée en Italie.
  • Sciences de l’ingénieur : invention (et brevet) d’une machine pour laver les bébés et changer automatiquement leurs couches.
  • Psychologie : tenir un crayon dans la bouche fait sourire et croire que vous êtes heureux, alors que ce n’est pas le cas.
  • Formation médicale : utilisation d’une technique animale (entraînement avec un cliqueur) en montrant qu’elle était plus efficace que la démonstration pour apprendre à des chirurgiens comment faire des nœuds.
  • Chimie : calcul du volume journalier de salive produit par un enfant de cinq ans.
  • Économie : recherche des billets les plus contaminés (les lei roumains et les dollars américains... l’euro s’en sort bien). Des bactéries résistantes à des antibiotiques ont été identifiées sur les lei roumains.
  • Paix : tentative de mesure du plaisir de ceux qui se grattent pour une démangeaison.
  • Physique : étude des wombats (marsupiaux herbivores australiens) qui ont la particularité de produire des excréments cubiques, ce qui est unique dans le règne animal. À noter que ces chercheurs avaient déjà eu un prix IgNobel en montrant que la plupart des animaux vidaient leur vessie en 21 secondes (plus ou moins 13 secondes).
Le couronnement de Napoléon, Jacques-Louis David (1748-1825)

Quelques Français sont lauréats du prix IgNobel. En 2019, une équipe de Toulouse (Bourras Bengoudifa et Roger Mieusset) a reçu le prix d’anatomie. Ils ne se sont pas déplacés pour la cérémonie. Leur recherche sur la température des testicules d’employés de la Poste a été publiée dans une revue prestigieuse, Human Reproduction. Conclusion de leur travail : « L’absence de symétrie thermique a été observée dans le scrotum droit et gauche, qu’il soit nu ou vêtu, et cela s’appliquait quelle que soit la position ou l’activité quand il était vêtu. Cette différence thermique entre le scrotum droit et gauche pourrait contribuer à l’asymétrie des organes génitaux externes masculins. »

En 2017, une équipe lyonnaise de neurosciences (Inserm, CNRS), menée par Jean- Pierre Royet, a utilisé une technologie avancée d’analyse du cerveau pour mesurer à quel point certaines personnes étaient dégoûtées par le fromage.

En 2013, le prix IgNobel de psychologie a été décerné à des chercheurs de Grenoble, menés par Laurent Bègue, pour avoir montré que les personnes qui sont saoules pensent qu’elles sont attractives.

À l’occasion du décès de Jacques Chirac, un hommage lui a été rendu sur le site Internet IgNobel en rappelant qu’il avait reçu un prix en 1996. Rares sont les prix décernés à des nons cientifiques ! Son prix IgNobel de la paix lui avait été décerné pour avoir commémoré le 50e anniversaire d’Hiroshima en faisant exploser une bombe atomique lors d’essais dans l’Océan Pacifique.

Le chercheur Jacques Benveniste a reçu deux prix IgNobel de chimie : en 1991 pour ses travaux sur la mémoire de l’eau. Il a « découvert » que l’eau, H2O, était un liquide intelligent, capable de se souvenir d’événements longtemps après la disparition de toute trace de ceux-ci. Il a eu un second prix en 1998 car il a non seulement montré que l’eau avait de la mémoire, mais que l’information pouvait être transmise sur les lignes téléphoniques et sur l’Internet. Dans le cas de ce chercheur, le jury a « récompensé » des recherches qui avaient alors été invalidées (alors que les prix décernés portent en général sur des travaux d’apparence futile, mais sans que soit remise en cause leur validité scientifique).

Hervé Maisonneuve
Médecin de santé publique, consultant en rédaction scientifique et animateur du blog Rédaction médicale et scientifique

Références


1 | Le site Improbable research : improbable.com

Publié dans le n° 332 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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