Accueil / Notes de lecture / Les méthodes d’évaluation en ressources humaines

Les méthodes d’évaluation en ressources humaines

Publié en ligne le 15 juillet 2004
Les méthodes d’évaluation en ressources humaines
la fin des marchands de certitude

Christian Ballico
Éditions d’Organisation, 1997

Cet ouvrage, plutôt spécialisé, s’adresse sans doute principalement aux responsables en ressources humaines des entreprises, et plus généralement à tous ceux qui travaillent dans ce domaine. Alors pourquoi l’évoquons-nous ? Parce qu’il va sans doute au-delà d’un simple ouvrage pour spécialistes.

En effet, ce domaine mal connu de l’évaluation des personnes en entreprises concerne pourtant des millions de salariés dans notre pays (mais aussi ailleurs dans le monde), que ce soit dans le cadre d’un bilan de compétences ou, plus souvent, en phase de recrutement. La validité des méthodes employées est donc d’une importance capitale puisqu’elles décident du sort de centaines de milliers d’individus.

Le livre de Christian Balicco nous propose donc de décrire ces méthodes, de les décortiquer et, avec le plus d’objectivité possible, de détailler le degré de confiance qu’on peut leur accorder. Mais au-delà de cet objectif, il rappelle à partir de quelles exigences scientifiques ces méthodes sont bâties, évaluées et améliorées et à partir de quels critères on évalue le degré de confiance qu’on peut leur accorder, comment en somme, juger de leur fiabilité.

Les principes de base de cette analyse auxquels est consacrée la première partie de l’ouvrage de Christian Balicco, si l’on surmonte l’aspect technique un peu rébarbatif qu’ils présentent, sont forts éclairants car ils débordent largement du cadre de la seule évaluation en ressources humaines et peuvent se généraliser à bien d’autres domaines, et notamment de façon pertinente à l’étude des pseudo-sciences.

Une méthode d’évaluation peut ainsi être très fidèle sans pour autant être valide (voir encadré). Une majorité de charlatans, astrologues, numérologues ou autres devinologues patentés peuvent tous annoncer la fin du monde pour demain matin, en se fondant sur une même méthode de lecture des astres par exemple. Si leur méthode de lecture des cieux est certainement fidèle, puisqu’elle les conduit tous à la même prédiction, elle n’en est pas pour autant valide, puisque cela ne m’a pas empêché de finir cet article que vous êtes en train de lire !

Quelques définitions

Méthode d’évaluation fidèle : on obtient des résultats très proches en appliquant la même méthode à un même sujet, à des instants éloignés dans le temps.

Méthode d’évaluation valide :

• validité du contenu : ses résultats sont le reflet le plus exact possible de la réalité.

• validité de construction : ses résultats correspondent à ce qu’elle prétend mesurer.

La confusion entre les deux qualités est fort courante. Cette erreur conceptuelle de raisonnement entre ces deux notions qui semblent au plus grand nombre aller de pair, se retrouve régulièrement dans des argumentations fallacieuses. Que de fois n’entendons-nous pas dire que si tout le monde y croit (oriente son comportement en fonction de son horoscope, joue au Loto pour devenir riche ou s’attache à accomplir un rituel superstitieux pour conjurer le sort, etc.), c’est qu’il ne se peut que tous aient tort !

De plus, la validité doit aussi se manifester dans le pouvoir de prédiction de la méthode employée. La méthode que j’emploie me garantit-elle une probabilité suffisante de voir survenir les résultats qu’elle me permet de prédire ? Les corrélations qu’elle me permet d’établir sont-elles significatives, c’est-à-dire, explicables par autre chose que le seul hasard, à partir d’un seuil fixé préalablement ?

Sans oublier qu’une méthode d’évaluation doit disposer également d’une sensibilité suffisante, c’est-à-dire qu’elle doit permettre de différencier aussi bien que possible deux individus distincts qui y sont soumis, grâce aux éléments de mesure qu’elle apporte.

Mais pour établir tous ces critères, de nombreuses études sont nécessaires pour étalonner les méthodes que l’on veut évaluer, à partir d’un échantillonnage pertinent. En ce domaine, la preuve expérimentale que doit apporter une méthode sur sa validité est incontournable.

La seconde partie de l’ouvrage passe en revue les différentes méthodes d’évaluation disponibles, du simple entretien en passant par les tests d’aptitude et de capacité les plus pointus, jusqu’aux " centres d’évaluation " encore trop peu utilisés chez nous, et pourtant d’un grand intérêt de par leur coefficient de validité élevé.

La troisième partie du livre de Christian Balicco, quant à elle, nous intéresse directement puisqu’elle traite du " voyage au pays de la mystification ", en termes clairs des méthodes d’évaluation pseudoscientifiques (graphologie 1, que l’auteur distingue parfaitement de l’expertise en écriture (" la première est à la croyance et au dogme ce que la seconde est à la science "), la programmation neuro-linguistique 2, la morphopsychologie 3, la gestuologie, l’hémato-psychologie 4, l’astrologie et la numérologie, et quelques autres). L’auteur y analyse leurs fondements (analogies abusives, raisonnements pseudo-scientifiques, simplificateurs ou réducteurs, manque de rigueur, absence de preuves, recours à la croyance), fait le bilan des prétentions et des réelles compétences de ceux qui les pratiquent, il en évalue le degré de fiabilité et la validité (proche du zéro absolu), et analyse les raisons de leur succès, qui résident surtout dans leur facilité d’emploi par le premier venu, leur faible coût, leur apparence de pertinence (elles ne décrivent souvent que de banales généralités dans lesquelles tout le monde peut plus ou moins se retrouver), etc. Le verdict est sans appel : aucune de ces méthodes n’a de pertinence dans l’évaluation des individus dans le monde professionnel, et leur réclamation de scientificité est totalement usurpée. L’ouvrage se termine sur la réglementation relative aux pratiques en ressources humaines et à la protection des candidats, qui sont souvent malheureusement en position fort délicate pour faire valoir leurs droits en la matière.

Ce que l’on peut principalement retenir de cet ouvrage, c’est que ne peut se prétendre psychologue qui veut, et que pour faire valoir ce titre, il faut faire preuve d’une formation universitaire conséquente, sanctionnée par un diplôme dont le titre est protégé par la loi - pourtant on trouve encore sur la place nombre d’officines dont les compétences en la matière sont loin d’être à la hauteur des prétentions affichées. Et qu’en corollaire, les méthodes employées doivent être pertinentes, adaptées et avoir fait preuve de leur validité. Ce qui signifie qu’il n’existe pas de méthode universelle, valable dans tous les cas, applicable à tous en toute circonstance, bien au contraire. Plus les méthodes sont adaptées et spécifiques, meilleure est la confiance qu’on peut leur accorder. A contrario, comme pour les médecines parallèles qui prétendent tout soigner, plus on tend à la panacée universelle, moins l’outil est pertinent, et plus on navigue sur les flots incertains du charlatanisme...

1 Au sujet de la graphologie, on peut relire avec intérêt le dossier critique que lui avait consacré la revue Science et Vie dans le n°906 de mars 1993, p.66.

2 Christian Balicco a consacré un article à la programmation neuro-linguistique dans Science et pseudo-science n°243 d’août 2000, pp. 10 à 18

3 Pour en savoir plus voir sur ce site : la morphopsychologie,

4 Pour en savoir plus sur l’hémato-psychologie, voir Science et pseudo-science n°160 de mars 1986 p.28, n°163 de septembre 1986 p.11 et n°167 de mai 1987 p.10.