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Les revues scientifiques n’ont plus le monopole des informations validées

Publié en ligne le 7 avril 2021 - Intégrité scientifique -

Il fut un temps où les revues scientifiques ne considéraient pas les manuscrits dont les données avaient été au préalable communiquées au public (hormis lors de congrès), suivant en cela la recommandation proposée en 1969 par le rédacteur en chef de la revue New England Journal of Medicine [1]. Cette attitude était justifiée par les éditeurs par le principe selon lequel le processus d’évaluation par les pairs (peer review) et de contrôle qualité (mise en forme, corrections des erreurs...) assurait la validité des données divulguées. Cet état de fait a longtemps été respecté et il donnait satisfaction à la communauté scientifique, malgré les défauts connus de l’évaluation par les pairs (mais la communauté scientifique ne dispose pas de meilleur système pour évaluer les résultats des recherches). De la sorte, les journalistes ne pouvaient s’informer directement qu’au travers des articles ainsi publiés.

Crieur public, carte postale de 1909 (Provincetown, État-Unis)

Cette règle de conduite des grands éditeurs a cependant toujours eu des détracteurs, arguant qu’elle ralentissait de façon inacceptable le partage des résultats entre scientifiques. De leur côté, les journalistes des médias grand public affirmaient leur capacité (au besoin, à l’aide d’experts) à distinguer un travail valide d’un travail défectueux [2]. Dans le contexte de l’épidémie de sida, cette règle a été reconsidérée pour tenter d’équilibrer la rigueur alléguée de l’évaluation avec l’urgence de partager certains résultats : « Bien que nous soyons éditeurs, pouvait-on lire en 1991, nous ne perdrons pas de vue le fait que, avant tout, nous sommes médecins » [2]. Ce n’est qu’à partir des années 2010, alors que les revues étaient largement concurrencées par d’autres canaux de communication créés grâce aux nouvelles technologies de l’information, que la situation a radicalement changé.

Dans le même temps, le manque d’esprit critique, que ce soit du côté des citoyens, des journalistes, des politiques, mais aussi, malheureusement, des chercheurs, a conduit à la prolifération et la popularité de nouvelles sources de diffusion, pas toujours très sérieuses, ou au détournement de certaines autres.

Citons ainsi, pour le meilleur parfois, mais trop souvent pour le pire, les utilisateurs des réseaux sociaux (Twitter, Facebook…) qui prétendent diffuser en quelques caractères des connaissances de premier plan qui seront ensuite relayées au sein de communautés avides de confirmer leurs opinions ; les chaînes d’information en continu, invitant des pseudo-experts choisis sans critères explicites, alors qu’elles devraient accorder une place plus importante aux sociétés savantes et à leurs représentants [3] ; ou les sites personnels de chercheurs, que ce soient des blogs ou des chaînes diffusées sur YouTube.

Les pré-publications (preprint, ou manuscrit d’auteur, c’est-à-dire la version initiale du compte rendu de recherche mis en ligne sur des archives ouvertes – en accès libre –, avant soumission à une revue) occupent une place à part [4]. Ces archives ouvertes mettent toutes en avant un avertissement, largement ignoré par le grand public, mais aussi par de nombreux journalistes, rappelant qu’il s’agit de « rapports préliminaires de travaux qui n’ont pas été certifiés par un examen par les pairs et qu’ils ne doivent pas servir à orienter la pratique clinique ou les comportements liés à la santé et ne doivent pas être présentés dans les médias comme des informations établies ».

Enfin, la prolifération des « revues prédatrices » qui acceptent tous les articles soumis contre rémunération rend le paysage de la publication scientifique encore plus confus aux yeux du grand public [5].

Les médias, les journalistes, les citoyens ne vérifient pas assez leurs sources et ne prennent pas de précautions avant de relayer une information. Comment créer des conditions pour valoriser les informations validées ? Si la règle promue en 1969 par le New England Journal of Medicine est évidemment obsolète et inadaptée, les réseaux sociaux, les télévisions en continu, les plateformes de diffusion vidéo sur Internet, les journalistes, les politiques et les pseudo-experts ne sauraient être une alternative acceptable.

Références


1 | “Definition of sole contribution”, N Engl J Med, 1969, 281 :676-7.
2 | Angell M, Kassirer JP, “The Ingelfinger rule revisited”, N Engl J Med, 1991, 325 :1371-3.
3 | Maisonneuve H et al., « Covid-19 : les sociétés savantes doivent se réinventer dans le monde d’après », Médecine Intensive Réanimation 2020, 29,
4 | Maisonneuve H, « Covid-19 : les publications scientifiques à l’épreuve de la pandémie », SPS n° 333, juillet 2020.
5 | Maisonneuve H, « Les revues prédatrices », SPS n° 332, avril 2020.

Publié dans le n° 334 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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