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Les théories conspirationnistes autour du 11 septembre

Publié en ligne le 28 septembre 2011 - Attentats du 11 septembre -
par Phil Molé, traduction de Yann Kindo
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Cet article, initialement paru dans la revue américaine Skeptic (Volume 12, Numéro 4, 2006), reprend et discute quelques-uns des principaux arguments avancés par les partisans d’une version « conspirationniste » des événements du 11 septembre. L’auteur a rédigé son texte à la suite d’une réunion organisée par le 9/11 Truth Movement et à laquelle il a participé. Il s’interroge alors sur les motivations des partisans des théories conspirationnistes dans le contexte de son pays. Une partie des arguments scientifiques est largement développée dans ce numéro hors-série de Science et pseudo-sciences, et n’est donc pas reprise dans son intégralité dans les extraits republiés ici (la traduction complète de l’article de Phil Molé est disponible sur notre site Internet).

Merci à Skeptic de nous avoir autorisé à traduire et reproduire ce document.

À l’hôtel « Hyatt Regency O’Hare », près de Chicago, une foule de près de 400 personnes est réunie en cette agréable soirée d’été. Certains sont âgés, certains sont jeunes. Certains sont habillés de tee-shirts hippies colorés, alors que d’autres portent des chemises et des pantalons de soirée, mais la plupart d’entre eux ont l’air enjoués et amicaux. Nous attendons tous l’ouverture de la principale salle de conférence et le début de la session de la soirée, la première de tout un cycle de conférences qui s’étale sur tout le week-end. Nous patientons en jetant un œil sur les stands de matériel en vente : des exemplaires en DVD du film de Michael Moore Fahrenheit 9-11, du documentaire contre Karl Rove Bush’s brain 1], et du plus récent Wal Mart : The High Cost of Low Price.

Il n’y a là rien de particulièrement inhabituel, puisque tous ces documents sont en vente dans n’importe quelle librairie ou autre magasin près de chez vous. Mais, à ce moment, alors que les portes de la grande salle sont sur le point de s’ouvrir, un participant anxieux tente de lancer un slogan : « 9-11 was an Inside Job » 2. Quelques personnes se joignent à lui, avant qu’un autre participant ne lui rétorque assez énergiquement : « Mais ça, on le sait déjà ! ».

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Le week-end de conférences est la réunion à Chicago de 911truth.org, une des organisations les plus visibles à l’intérieur d’une coalition plus large connue sous le nom de 9-11 Truth Movement, et la plupart des gens à l’intérieur de cette foule croient que le gouvernement des États-Unis a planifié et orchestré les attaques terroristes du 11 septembre 2001. L’affirmation : « On le sait déjà » résume bien l’attitude des participants à l’égard des données exposées au cours des conférences. Beaucoup d’entre eux ne semblent pas être à la recherche de nouvelles informations qui déboucheraient sur une compréhension plus exacte des événements du 11 septembre. Une personne assise près de moi l’admet : « On connaît déjà tous ces trucs ; nous sommes ici pour confirmer ce que nous savons déjà ». La conférence est un moyen pour les participants de souder leur identité de groupe, et d’essayer de diffuser leur message auprès de ceux qui, aux États-Unis et ailleurs, croient la « version officielle » des événements du 11 septembre.

En tant que personne qui ne partage pas les vues du 9/11 Truth Movement, j’ai un autre objectif. Je veux entendre leurs arguments et examiner leurs preuves, et comprendre les raisons pour lesquelles tant de personnes sympathiques et par ailleurs intelligentes sont convaincues que le gouvernement des États-Unis a planifié le meurtre de près de 3 000 de ses propres citoyens.

L’effondrement des bâtiments 1 et 2 du World Trade Center

Lorsque nous nous remémorons les événements du 11 septembre, la plupart d’entre nous pensent à l’image de ces deux tours, apparemment indestructibles, en train de s’effondrer au sol. Sans surprise, leur effondrement est aussi une question centrale pour le 9/11 Truth Movement. Une grande majorité des discussions et du matériel de propagande de l’organisation est relative à la chute des bâtiments 1 et 2. Mais, comme ce matériel le montre, 911truth.org ne croit pas la version officielle selon laquelle les dommages décisifs infligés au WTC se sont produits lorsque deux avions détournés par des terroristes se sont écrasés sur les tours. Au lieu de cela, ils prétendent que les tours sont tombées suite à une démolition contrôlée, planifiée au préalable par le gouvernement des États-Unis.

Pourquoi pensent-ils une chose pareille ? Une raison essentielle semble être le fait que l’effondrement des tours ressemble au produit d’une démolition contrôlée. Puisqu’il n’y a pas de résistance structurelle à la gravité lors d’une démolition contrôlée, le bâtiment s’effondre directement sur ses propres bases, chaque étage venant brutalement atterrir sur celui de dessous à une vitesse approchant celle de la chute libre. De nombreux intervenants à la conférence de l’hôtel Hyatt comparaient des vidéos de l’effondrement des tours avec des vidéos de démolitions contrôlées connues, pointant les ressemblances tant au niveau de l’apparence que de la vitesse de la chute. 911truth.org affirme que si elle avait été effectivement heurtée par un avion, la structure métallique des bâtiments du WTC aurait dû fournir au moins une résistance minimale au poids des étages supérieurs, obligeant la structure en chute à culbuter d’un côté plutôt que de s’écraser tout droit vers le bas [...].

Que penser de ces allégations ?

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Tout d’abord, examinons les aspects semblables de l’effondrement des tours du World Trade Center et de l’effondrement de bâtiments détruits lors de démolitions planifiées. Dans les démolitions contrôlées, les charges explosives affaiblissent ou brisent tous les points porteurs de la structure en même temps. Par conséquent, une fois que la chute commence, toutes les parties du bâtiment sont simultanément en mouvement, en chute libre vers le sol. Pourtant, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé lors de la chute des bâtiments du WTC. Regardez attentivement les films des chutes, et vous constaterez que les parties des bâtiments situées au dessus des points d’impact des avions commencent à tomber d’abord, alors que les parties les plus basses des bâtiments ne sont pas encore ébranlées. Les parties des tours situées en dessous du point d’impact ne commencent à tomber que lorsque les étages supérieurs se sont effondrés sur eux. Ce n’est pas ce à quoi l’on s’attendrait si les tours s’étaient effondrées du fait d’une démolition contrôlée, mais c’est exactement ce à quoi il faut s’attendre si l’effondrement est la conséquence des dégâts causés par l’impact des avions et par les incendies consécutifs. Un théoricien du complot pourrait répliquer que les bâtiments ont été équipés en explosifs pour commencer à tomber par le haut d’abord, mais quelles sont les chances pour que ceux qui ont planifié une démolition si compliquée soient capables de prévoir les endroits exacts où les avions viendraient heurter les tours, et donc de préparer les tours pour qu’elles commencent à s’effondrer précisément à cet endroit ?

Les théories conspirationnistes autour du 11 septembre

De plus, les images de l’effondrement de la Tour sud, ou Bâtiment 2, montrent que la tour n’est pas tombée tout droit, à la manière des chutes caractéristiques de la Tour nord et des bâtiments rasés lors d’une démolition contrôlée. Au contraire, la tour a penché dans la direction du point d’impact avant de commencer à s’écrouler vers le bas, avec la partie supérieure du bâtiment inclinée de manière à former un angle. La différence entre les deux effondrements peut s’expliquer par la manière dont chaque avion a heurté les bâtiments. Le premier avion a touché la Tour nord (Bâtiment 1) entre les 94e et 98e étages, et l’a heurté de plein fouet, s’encastrant quasiment directement jusqu’au cœcur du bâtiment. Le deuxième avion a heurté la Tour sud entre les 74e et 78e étages, mais s’est encastré de biais, endommageant gravement tout le coin nord-est du bâtiment 3. Comparée à la Tour nord, la Tour sud a subi des dommages qui étaient à la fois moins également répartis et nettement plus bas dans la structure, obligeant le point affaibli à supporter plus de poids de la partie supérieure que le point de crash correspondant sur la Tour nord. Ceci explique à la fois l’inclinaison du bâtiment lorsqu’il est tombé du côté du point affaibli, et le fait que la Tour sud soit tombée la première alors qu’elle avait été touchée après la Tour nord. Encore une fois, ce scénario prend tout son sens si les bâtiments sont tombés à cause des dommages causés par les crashs des avions, mais n’en a pas beaucoup si les bâtiments sont tombés du fait d’une démolition planifiée [...].

Il y a également le problème, que même le 9/11 Truth Movement est obligé de reconnaître, qui est que préparer un bâtiment pour une démolition contrôlée nécessite beaucoup de temps et d’efforts. Généralement, un bâtiment désigné pour une démolition est abandonné depuis un bon moment et a été partiellement vidé pour permettre aux explosifs d’être en contact serré avec la structure même du bâtiment. Mais, puisque tous les bâtiments du WTC ont été pleinement occupés jusqu’au 11 septembre, comment le gouvernement a-t-il pu trouver un accès nécessaire à la préparation des trois tours pour une démolition complète sans que personne ne remarque rien ? Imaginez ce que représente d’essayer d’installer furtivement des câbles et des bombes dans un bâtiment pendant que des milliers de gens travaillent dans les bureaux, utilisent les ascenseurs et s’activent dans les couloirs – un tel scénario est extrêmement improbable.

Le Pentagone

Beaucoup de gens dans le 9/11 Truth Movement croient que le Pentagone n’a pas été heurté par le vol 77, comme la « version officielle » le prétend. Au lieu de cela, ils croient que le gouvernement des États-Unis a d’une manière ou d’une autre organisé les destructions, peut-être par l’utilisation d’une bombe ou le tir d’un missile. Cette hypothèse a d’abord attiré l’attention à travers le livre de l’auteur français Thierry Meyssan, Pentagate [L’Effroyable Imposture], qui prétend que les dommages causés au Pentagone étaient trop circonscrits pour avoir été le produit du crash d’un Boeing 757 4. Le documentaire Loose Change prétend que le trou fait dans le Pentagone par le prétendu avion était « un trou unique, de pas plus de 16 pieds [5 mètres] de diamètre », et qu’aucun reste quelconque de l’avion n’a été retrouvé sur le site du crash 5. Pour théâtralement soutenir cette dernière affirmation, les conspirationnistes citent le témoignage du correspondant de CNN Jamie McIntyre sur le site du crash le 11 septembre, qui affirme : « D’après mon examen du terrain, il n’y a pas d’indication d’un avion s’étant écrasé en un lieu quelconque proche du Pentagone » 6. [...]

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[La] polémique autour du fait qu’aucun reste du vol 77 n’a été retrouvé sur le site du crash est tout simplement grotesque. De nombreuses photos prises dans la zone autour du site du crash sur le Pentagone montrent clairement des débris de l’avion éparpillés. [...]

Mais, s’il y a tant de preuves qu’un avion s’est écrasé sur le Pentagone, pourquoi le correspondant de CNN Jamie McIntyre rapporte-t-il qu’il n’en a trouvé aucune ? La réponse est que McIntyre n’a pas du tout dit cela, et le 9/11 Truth Movement, une fois de plus, manipule sélectivement les preuves pour les faire coller avec ses conclusions. Quand McIntyre a spécifié qu’aucun débris d’avion n’était visible près du Pentagone, il répondait à une question précise posée par la présentatrice de CNN Judy Anchor. Le Vol 77 s’est approché en volant très bas, et il y avait des interrogations quant au fait que l’avion ait pu toucher le sol juste avant de heurter le Pentagone. La réponse de McIntyre, quand elle est citée dans sa totalité, montre clairement qu’il était en train d’expliquer qu’il n’y avait pas de signe que l’avion avait heurté le sol avant de heurter le Pentagone, mais il ne nie absolument pas le fait que l’avion a frappé le Pentagone lui-même. [...] 7

Les mouvements « conspirationnistes » organisent des réunions publiques, des séminaires, éditent des revues « à comité de lecture »...

Le vol 93 et autres anomalies supposées

Le 5 avril 2006, les créateurs du documentaire conspirationniste Loose Change et leurs supporters ont décidé d’assister à la première du film United 93 [En France : Vol 93], consacré à l’avion détourné qui s’est écrasé le 11 septembre. Ils voulaient saisir cette opportunité pour dénoncer de prétendus mensonges à propos de ce vol, et, selon les mots d’un participant au forum Loose Change, « mordre ces bâtards là où ça fait mal, et faire se retourner contre eux ce film sur le vol 93 » 8. Pour beaucoup d’Américains, les passagers du Vol 93 qui ont affronté les terroristes et ont fait s’écraser l’avion avant qu’il ne puisse atteindre sa cible sont des héros, mais le 9/11 Truth Movement voit les choses différemment. Selon le théoricien du complot auquel vous vous adressez, vous apprendrez soit que le Vol 93 a atterri sans dommage, soit qu’un jet de l’armée américaine a abattu l’avion en plein vol 9. La première idée prend sa source dans une confusion entre le vol 93 et le vol 1989 dans le communiqué initial de l’Associated Press (AP), le second vol s’étant effectivement posé à l’aéroport Hopkins de Cleveland le 11 septembre. L’AP a ensuite corrigé cette erreur, mais beaucoup de conspirationnistes n’en ont pas fait autant 10. La deuxième idée repose largement sur l’affirmation sans preuve que l’essentiel du moteur et d’autres larges parties de l’avion ont été dispersés à des kilomètres du site principal de l’épave – trop loin pour être le résultat d’un crash ordinaire. Ceci est erroné, parce que le moteur a été retrouvé à seulement 275 mètres du site principal du crash, et sa localisation était en adéquation avec la direction dans laquelle l’avion volait 11. De plus, la boîte noire du vol a enregistré la bagarre à bord avant que l’avion ne s’écrase. Les conspirationnistes se retrouvent avec une théorie non seulement sans preuve valable, mais également embrouillée. Pourquoi le même gouvernement qui a selon eux détruit le WTC aurait-il abattu le vol 93 avant qu’il ne puisse causer des dommages similaires à d’autres bâtiments ? Bien sür, cette question présuppose une ambition de cohérence logique qui semble faire défaut au 9/11 Truth Movement.

Pourquoi les avions n’ont-ils pas été interceptés ?

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Une autre prétendue anomalie à propos d’un vol concerne le supposé ordre de retrait donné le 11 septembre 2001 par le NORAD (North American Aerospace Defense Command) pour permettre aux avions détournés d’atteindre leur destination sans encombre. Le 9/11 Truth Movement croit que le NORAD avait la capacité de localiser et d’intercepter les avions le 11 septembre, et son échec à le faire témoigne de la conspiration gouvernementale pour permettre aux attentats de se produire. Pour étayer cette affirmation, ils prétendent que le NORAD aurait pu rapidement neutraliser les avions détournés, puisque les interceptions d’avions sont pour eux une tâche banale, avec 67 actions de ce type réalisées avant le 11 septembre. De manière symptomatique, cette argumentation ne précise pas la période de temps au cours de laquelle ces interceptions ont été réalisées, ni ne nous dit si elles ont eu lieu près de grandes villes ou ailleurs, disons à des kilomètres au milieu de l’océan. Une information plus précise et plus exacte est donnée par l’article de Popular Mechanics, qui explique : « Dans les décennies précédant le 11 septembre, le NORAD a intercepté seulement un avion civil au-dessus de l’Amérique du Nord : le jet privé du golfeur Payne Stewart, en octobre 1999. Avec les passagers et l’équipage inconscients du fait de la décompression de la cabine, le contact radio a été perdu avec l’avion, mais le contact par transpondeur a été maintenu jusqu’au crash. Mais, même ainsi, il a fallu 1 heure et 22 minutes à un F16 pour atteindre l’avion ciblé » 12.

Ce n’est pas une chose aisée et rapide que de localiser et d’intercepter un avion à la trajectoire erratique. Le personnel du NORAD doit d’abord essayer à plusieurs reprises d’établir le contact avec l’appareil pour éliminer l’hypothèse d’un problème banal, et doit ensuite contacter le personnel militaire approprié pour faire décoller rapidement des avions de combat et les diriger au bon endroit. La situation le 11 septembre était de plus compliquée par le fait que les terroristes à bord des avions détournés avaient éteint ou endommagé les radars transpondeurs. En l’absence d’un signal transpondeur permettant de les identifier, chaque avion détourné n’aurait été sur les écrans du NORAD qu’un spot mouvant parmi tant d’autres, le rendant d’autant plus difficile à suivre à la trace. Ainsi, même une décision immédiate du NORAD d’intercepter l’un des avions détournés le 11 septembre aurait malgré tout nécessité un laps de temps important jusqu’à ce qu’elle soit exécutée – et ce temps n’était simplement pas disponible ce 11 septembre [...].

L’attrait des théories du complot

Les 400 personnes qui assistaient à la conférence et les milliers d’autres qui soutiennent leur activité trouvent ces théories convaincantes, et la raison ne réside pas forcément dans le fait qu’ils partagent une idéologie politique commune. Sur la base de mon analyse informelle de la foule présente à la conférence à l’hôtel Hyatt, j’ai constaté que les participants semblaient provenir des deux extrêmes du spectre politique. Il y avait des représentants de la droite extrême qui récusent toute forme d’autorité au gouvernement central, et des membres de la gauche radicale qui mènent infatigablement une campagne contre ce qu’ils perçoivent comme les méfaits du capitalisme et de l’impérialisme. Il faut donc revenir à une question posée au début de cet article : pourquoi tant de gens intelligents et pleins d’avenir trouvent-ils ces théories si séduisantes ?

Il y a plusieurs réponses possibles à cette question, aucune n’excluant les autres. Une des premières et des plus évidentes est la méfiance à l’égard du gouvernement américain en général, et de l’administration Bush en particulier. Cette méfiance n’est pas totalement sans fondement. Le gouvernement américain a trompé ses citoyens à propos du véritable coüt humain de la guerre du Vietnam, et s’est reposé sur des tactiques militaires qui étaient moralement discutables même du point de vue des usages guerriers. Les révélations du Watergate, du scandale Iran/Contra, et d’autres petites et grandes machinations infâmantes ont considérablement érodé la confiance du public dans le gouvernement. Vous ajoutez à cela une administration qui est entrée en fonction après l’élection la plus controversée en plus d’un siècle, qui s’est mise en marge d’accords internationaux tels que le protocole de Kyoto, qui a trompé les citoyens à propos des données scientifiques relatives au réchauffement climatique et à la recherche sur les cellules souches, qui a engagé une guerre contre l’Irak sur la base d’indigents renseignements concernant des armes de destruction massive, et qui a échoué à répondre efficacement aux effets d’un cyclone en Floride, et vous avez de solides raisons d’être suspicieux 13 (vous l’aurez compris, l’admiration à l’égard de George Bush n’est pas ma motivation première pour le défendre face aux accusations des conspirationnistes).

« La tour WTC 7 ne s’est pas écroulée toute seule ».
Manifestation du 9/11 Truth Movement en 2007

Pourtant, il faut préciser certaines choses à propos de la suspicion. D’abord, il y a l’argument philosophique élémentaire selon lequel la suspicion en elle-même ne prouve rien – toute théorie a besoin de preuves en sa faveur pour être prise au sérieux. Deuxièmement, les erreurs faites par notre gouvernement dans le passé sont qualitativement différentes d’une décision consciente de tuer des milliers de ses propres citoyens dans le but de justifier l’oppression d’autres. Et, plus important, il y a le fait que l’essentiel de ce que nous savons des mauvaises décisions de notre gouvernement est uniquement connu du fait de la relative transparence dans laquelle il opère, et de la liberté de diffuser et de discuter ces informations.

La complète ironie de ce dernier point m’a frappé alors que j’étais à la conférence. Voilà un groupe de près de 400 personnes réunies pour discuter ouvertement des sales coups du gouvernement des États-Unis, qu’ils accusent de terribles atrocités commises dans le but de faire advenir un État policier. Mais si l’Amérique était un État policier avec de si terribles secrets à protéger, les brutes au gouvernement auraient à coup sür donné l’assaut aux salles de conférence et arrêté les dirigeants du mouvement. Pourtant, même les leaders du 9/11 Truth Movement que l’on entend le plus se portent toujours à merveille, et personne à la conférence ne semblait particulièrement inquiet de représailles gouvernementales. Cela semble indiquer que, à partir d’un certain point, les conspirationnistes euxmêmes ne semblent pas réellement croire à ce qu’ils racontent.

À propos du « 9/11 Truth movement »

« D’abord sur les preuves matérielles. Il y a des coïncidences inexpliquées, des témoignages personnels, etc., mais cela ne pèse pas lourd. On en trouve dans n’importe quel événement mondial complexe. Au sujet des preuves matérielles, peut-on vraiment devenir un expert très qualifié en génie civil et mécanique en passant une heure ou deux sur Internet ? Si oui, il faut dissoudre les sections génie civil et mécanique du Massachusetts Institute of Technology. Pourquoi aller à l’université ? Si vous croyez réellement à l’une ou l’autre de ces preuves, c’est simple : adressez-vous à des spécialistes capables de les évaluer. Peut-être avez-vous trouvé un physicien quelque part, mais, à ma connaissance, personne n’a voulu proposer quoi que ce soit à une revue professionnelle sérieuse, soumise à la discipline de l’« examen par les pairs ». Même sans aller jusque-là, on peut consulter les départements universitaires de génie civil et mécanique. Peut-être les membres du « mouvement pour la vérité sur le 11 septembre » pensent-ils qu’ils sont tous dans le coup ? Si le complot est vaste à ce point, on peut aussi bien l’oublier. Les adeptes du mouvement disent qu’ils ont peur. Il n’y a pas de quoi avoir peur [...]. En fait, les autorités se montrent assez tolérantes à cet égard.

Ce qui nous amène à une seconde question. Pourquoi ce débat autour du 11 septembre est-il si bien toléré ? Je soupçonne le pouvoir de le voir d’un bon œil [...] Du point de vue des gouvernants, c’est excellent. On donne même à ces militants du temps d’antenne [...], on met leurs livres bien en vue dans les librairies. Très tolérant, comme réaction. Comme s’ils disaient : « Nous pensons que c’est une mauvaise blague. » Or ce n’est pas le genre de réaction qu’on provoque quand on touche aux sujets sensibles.

Donc, oui, c’est une terrible perte d’énergie, détournée de problèmes beaucoup plus graves. Et je ne crois pas que leurs preuves soient sérieuses. Ni même que ceux qui les exposent soient capables de les évaluer. Ce sont des questions techniques compliquées. On n’a pas l’air de le comprendre, mais ce n’est pas pour rien que les scientifiques font des expériences, qu’ils ne se contentent pas de filmer ce qu’ils voient par la fenêtre. Car ce qu’on voit par la fenêtre est la résultante de tant de variables qu’on ne sait pas ce qu’on a dans cet imbroglio si complexe. On peut y trouver toutes sortes de coïncidences inexpliquées, d’apparentes violations des lois de la nature. Même les expériences contrôlées posent quantité de problèmes : lisez le courrier des lecteurs des revues scientifiques et vous aurez d’innombrables exemples. Donc, découvrir qu’il s’est passé ceci, qu’il est arrivé cela, etc., ça ne veut rien dire. [...]

Je crois [que ces théories sur le 11 septembre] exercent le même attrait que le fondamentalisme religieux. [...] Et Internet a un effet pervers. Si c’est un outil merveilleusement efficace pour obtenir des informations, pour l’action politique, pour toutes sortes de choses, il a cependant un gros inconvénient : n’importe qui peut lancer une théorie sur un blog ; cela n’a pratiquement aucun poids, mais ensuite cinq personnes la lisent, et très vite elle entre en croissance exponentielle, jusqu’à devenir une énorme industrie qui s’autoalimente. Des industries de ce type, il y en a à foison. Le mouvement sur le 11 septembre en fait partie, mais il y en a beaucoup d’autres.

Je reçois une avalanche d’e-mails. Et une grande part, plusieurs par jour, envoyés par des gens honnêtes et sincères, me demandent : « Dites-moi ce que je peux faire. » [...] Et un jour ils se disent : Ah, voilà ce que je peux faire : devenir en une heure ingénieur qualifié en génie civil et prouver que c’est Bush qui a fait sauter les tours jumelles ».

Noam Chomsky
L’ivresse de la force (entretiens avec David Barsamian), Fayard 2008 (Extraits sélectionnés par la rédaction).

1 Surnommé « Le cerveau de Bush », Karl Rove était depuis les années 1990 le principal conseiller politique de George W. Bush. [Ndt

2 « Les attentats du 11 septembre ont une origine intérieure aux États-Unis »

3 « 9-11 : Debunking the Myths », Popular Mechanics, Mars 2005.

4 Thierry Meyssan, L’effroyable imposture, Paris, Carnot, 2002. Édition US : Pentagate (New York, USA Books, 2002)

6 Transcription sur : http://transcripts.cnn.com/TRANSCRI....

7 Sur l’attentat contre le Pentagone, Voir l’article de Jérôme Quirant dans ce numéro.

9 L’affirmation selon laquelle le vol 93 s’est posé paisiblement se trouve sur
http://www.rense.com/general56/flfi....
L’affirmation selon laquelle il a été détruit par un missile se trouve sur https://www.independent.co.uk/news/....

10 Une analyse de la confusion entre les deux avions se trouve chez Kropko, « September 11 Tension Vivid to Controller », Associated Press, 15 Août 2002. Cette histoire est aussi disponible en ligne sur http://www.enquirer.com/editions/2002/08/15/loc_sep_11_tension.html (indisponible—12 fév. 2020).

11 « 9/11 : Debunking the Myths », Popular Mechanics, mars 2005.

12 « 9/11 : Debunking the Myths », Popular Mechanics, mars 2005.

13 Une source parmi tant d’autres pour étayer ces informations est Eric Alterman et Mark Green, The Book on Bush : How George W. (Mis)leads America, New York, Penguin Books, 2004.