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Le complotisme

Publié en ligne le 26 janvier 2022
Le complotisme
Cognition, culture, société
Sebastian Dieguez, Sylvain Delouvée
Mardaga, 2021, 480 pages, 34,90 €

Dans cet ouvrage, Sebastian Dieguez et Sylvain Delouvée tentent d’éclairer le lecteur sur les mécanismes psychologiques, sociaux, culturels et politiques de la pensée complotiste, grâce à une synthèse des connaissances scientifiques sur le sujet.

Ce travail est doublement contextualisé : dans la première partie du livre, ces deux chercheurs en psychologie et spécialistes des croyances collectives proposent un bref historique du concept de complotisme grâce à quelques écrits marquants des XIXe, XXe et XXIe siècles. Le complotisme pouvant être brièvement défini comme une posture, adoptée par des individus qui postulent, acceptent et propagent l’hypothèse d’un complot « avant même d’avoir conduit une enquête authentique sur le sujet, et en l’absence de toute enquête subséquente sur la question ». Les auteurs reviennent également sur la structuration, très récente, du complotisme comme objet d’étude scientifique et décrivent les méthodes employées par les chercheurs en sciences sociales pour étudier le complotisme, ainsi que leurs limites.

À la lecture des chapitres dédiés à la psychologie du complotisme, on prend conscience de la difficulté à cerner ce phénomène, complexe et en constante évolution. Le passage d’un complotisme « à l’ancienne », mimant la rationalité en déployant un ensemble de preuves, à une approche « intuitionniste », où ce souci de la « démonstration » disparaît pour laisser place au ressenti individuel comme mode d’accès au savoir, n’est qu’un des exemples des évolutions récentes du complotisme exposées par les auteurs. Par ailleurs, le complotisme ne peut être compris qu’en élargissant la focale à d’autres ensembles de croyances et savoirs non conventionnels, tels que les médecines alternatives ou le paranormal, dont on a observé la convergence lors de l’épidémie de Covid-19. Ces croyances et savoirs non conventionnels ont, notamment, en commun avec le complotisme leur rejet de la science dite « officielle » et le fait d’être des discours aujourd’hui stigmatisés par les autorités politiques et par une majorité de journalistes, d’intellectuels et de chercheurs. La dénonciation du complotisme est un phénomène récent et inédit : jusque dans le milieu des années 1950, les explications complotistes des événements étaient à la fois répandues et acceptées dans l’opinion publique. Ainsi, certains discours de Churchill ou Lincoln, cités par S. Dieguez et S. Delouvée, interpellent le lecteur d’aujourd’hui par leur dimension complotiste. Les auteurs démontrent que le complotisme est une posture active, adoptée par des individus qui adhèrent à ces thèses justement parce qu’elles sont des savoirs interdits et stigmatisés par les autorités politiques et scientifiques.

Loin d’être un énième constat sur une supposée explosion des discours complotistes, favorisée par les réseaux sociaux, ce livre illustre, et c’est là une de ses nombreuses qualités, la manière dont la société actuelle se saisit de ce phénomène complexe, qui suscite l’inquiétude ou, plus marginalement, la complaisance de certains penseurs, mais qui n’a sans doute jamais été autant analysé et commenté.

Publié dans le n° 340 de la revue


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Auteur de la note

Eymeric Manzinali

Bibliothécaire et créateur de spokus.eu, blog dédié (...)

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