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L’origine de la pandémie de Covid-19 : science et complotisme

Publié en ligne le 9 juillet 2025 - Conspirationnisme -
Introduction du dossier
coordonné par Jean-Paul Krivine

La brusque survenue d’événements qui impactent nos sociétés est propice à la prolifération de diverses théories du complot. Les raisons de leur succès ne sont pas forcément à rechercher dans la crédulité des personnes, mais dans des déterminants psychologiques divers : volonté de comprendre le monde et de donner du sens, recherche d’un sentiment de sécurité face à des événements qui nous échappent, ou encore renforcement de l’identité de groupe (groupes sociaux ou politiques) [1] (voir aussi notre dossier « Complotisme : de quoi parle-t-on ? » [2]). La pandémie de Covid-19 n’a pas dérogé à cette règle. Des théories déraisonnables ont rencontré un large succès [3] : les antennes 5G auraient été un vecteur de propagation du virus (des antennes-relais ont même été détruites) [4], la vaccination permettrait d’inoculer des puces électroniques rendant possible un suivi des personnes par les gouvernements [5], etc.

L’origine du SARS-Cov-2 : la controverse scientifique

L’origine même du SARS-Cov-2, le virus responsable de la Covid-19, est un sujet qui a été très médiatisé dès l’apparition de la pandémie et qui fait l’objet aujourd’hui d’une véritable controverse scientifique [6, 7].

La thèse largement dominante au début de la pandémie était celle d’une infection passée de l’animal à l’Homme (une zoonose) sur un marché de la ville de Wuhan. L’hypothèse d’une zoonose était la plus logique car elle correspondait à ce qui avait été observé lors des deux précédentes épidémies à coronavirus et, par ailleurs, la séquence génétique du SARS-CoV-2 s’est révélée très proche de celle d’un virus de chauve-souris (RaTG13) collecté en 2013 et dont la séquence a été publiée en mars 2020 [8]. En 2002, l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui avait fait près de 800 morts, a été causée par le virus SARS-CoV-1. Le réservoir animal s’est avéré être la chauve-souris avec, pour hôte intermédiaire, la civette palmiste à masque vendue sur des marchés en Chine, permettant le passage à l’Homme par franchissement de la barrière des espèces [9]. En 2012, c’est un virus de la même famille, le MERS-CoV, qui est responsable d’une épidémie faisant plus de 400 morts, principalement au Moyen-Orient. Là aussi, c’est la chauve-souris qui a probablement constitué le réservoir naturel du virus, et l’hôte intermédiaire, source de l’infection chez l’Homme, pourrait être le dromadaire [10]. Pour le SARSCoV-2, l’origine naturelle de la pandémie reste très fortement étayée pour une partie de la communauté scientifique [7].

Très marginale à ses débuts, une autre explication a très tôt été avancée par des scientifiques sérieux : celle d’une fuite de laboratoire [8]. En d’autres termes, le virus se serait échappé accidentellement d’un laboratoire effectuant des recherches sur ce type de virus. Ce pourrait être un virus prélevé dans la nature et étudié par les chercheurs ou un virus génétiquement modifié dans le cadre d’expériences scientifiques [11]. L’absence à ce jour d’un hôte intermédiaire identifié (le désormais célèbre pangolin a été innocenté [7]), la proximité géographique de laboratoires étudiant les coronavirus à Wuhan, les expériences de « gain de fonction » 1 qui y étaient menées ainsi que certaines caractéristiques du virus viennent à l’appui de cette hypothèse.

Démêler les termes de ce débat est ainsi complexe, d’autant plus que cette question est au cœur d’enjeux politiques entre la Chine et les États-Unis qui dépassent largement le cadre scientifique : la Chine suggère aujourd’hui que « la Covid-19 pourrait être apparue aux États-Unis plus tôt que ce que le calendrier officiel américain affirme et avant l’épidémie en Chine » [12] quand la Maison Blanche, depuis la réélection de Donald Trump, opte sans réserve pour l’hypothèse d’une fuite de l’Institut de virologie de Wuhan [13].

Les Petits Bagarreurs, Johann Grund (1808-1887)

La communauté scientifique est divisée. Les éléments permettant de prouver définitivement l’hypothèse de la fuite de laboratoire ou, au contraire, celle d’une zoonose, sont de nature différente. Pour la fuite de laboratoire, les informations de l’Institut de virologie de Wuhan ou des autorités chinoises pourraient être déterminantes, mais elles ne sont pas toutes mises à disposition. Pour l’explication zoonotique, les preuves dépendent de nombreuses probabilités et aucune certitude ne pourra être acquise sans une connaissance précise des événements initiaux, probablement disparus pour un certain nombre [14].

Par ailleurs, si les zoonoses à l’origine d’épidémies humaines sont nombreuses et documentées, les accidents ou incidents de laboratoires ont également jalonné les recherches en virologie et bactériologie. Et il n’est pas toujours facile d’être certain de l’hypothèse zoonotique ou d’exclure définitivement l’hypothèse d’une fuite de laboratoire (voir l’article de Renaud Piarroux, « Virus et bactéries : les accidents de laboratoire dans l’histoire »).

La fuite de laboratoire en version complotiste

Énigme, Alfred Agache (1843-1915)

Accepter l’hypothèse d’une fuite de laboratoire ne signifie pas accepter toutes les théories mettant en scène une telle fuite. Les théories douteuses et contraires aux données recueillies pour expliquer la propagation de maladies infectieuses ne sont pas nouvelles. Ainsi, l’émergence de la maladie de Lyme a été attribuée par certains à une dissémination accidentelle de la bactérie pathogène lors d’une expérience secrète d’armes biologiques aux États-Unis. Mais de nombreuses preuves permettent d’écarter cette hypothèse [15].

Dans le cas de la Covid-19, une théorie a rencontré un certain succès médiatique avant d’être vite écartée : celle propagée par Luc Montagnier (décédé en 2022), prix Nobel de médecine pour sa contribution à la découverte du virus du sida, mais ayant pris par la suite de nombreuses positions controversées (maladie de Lyme, mémoire de l’eau, lien entre autisme et vaccination, etc.). Il affirmait qu’une séquence de VIH (le virus responsable du sida) avait été identifiée dans le génome du SARS-CoV-2, signature selon lui d’une action humaine menée dans un laboratoire : « L’hypothèse la plus raisonnable est qu’ils voulaient faire un vaccin contre le VIH et utiliser un coronavirus atténué (qui ne peut pas donner de maladie) comme vecteur » (voir [16]). Les similarités mises en avant se sont révélées non significatives, portant sur un court segment de nucléotides qui n’a rien de spécifique et que l’on retrouve dans le génome de nombreuses espèces vivantes [17]. Une autre théorie a cherché à attribuer la création du virus à l’Institut Pasteur sur la base d’un brevet déposé en 2004 [18].

Enfin, l’hypothèse d’une dissémination délibérée par une autorité gouvernementale n’est portée par aucun élément sérieux.

Alaïs Raslain illustre la couverture en réunissant malicieusement, sur une même scène, les principaux protagonistes des questions sur l’origine de la Covid : un labo de haute sécurité portes grandes ouvertes, deux pangolins qui s’y promènent, une chauve-souris derrière un hublot. Qui entre ? Qui sort ? L’énigme est entière...

Conclusion

Tirer les leçons d’un événement majeur comme une pandémie mondiale est crucial pour identifier les mesures à prendre pour éviter de nouvelles crises similaires ou en prévenir les conséquences les plus graves. L’absence de certitude sur la véritable origine de la Covid-19 ne doit pas empêcher de proposer des actions de prévention. C’est ainsi que, dans un rapport publié en avril 2025, l’Académie nationale de médecine constate que « cinq ans après le début de la pandémie de Covid-19, l’origine du virus SARS-CoV-2 reste une énigme » [6]. Mais elle souligne que, face à des risques zoonotiques qui sont majeurs et vont sans doute augmenter, il est « nécessaire d’établir des recommandations en matière de surveillance épidémiologique » (voir les extraits du rapport dans ce numéro de Science et pseudo-sciences).

Références


1 | Douglas KM et al., “Belief in conspiracy theories”, in The Social Psychology of Gullibility, Routledge, 2019.
2 | « Complotisme : de quoi parle-t-on ? », dossier, SPS n° 337, septembre 2021. Sur afis.org
3 | Lynas M, “COVID : top 10 current conspiracy theories”, Alliance for Science, 20 avril 2020.
4 | Inserm, « Des ondes 5G responsables de la pandémie de Covid-19, vraiment ? », Canal Détox, 15 avril 2020.
5 | Wade N, « Non, les vaccins anti-Covid ne contiennent pas de puces magnétiques », AFP États-Unis, 13 mai 2021.
6 | Académie nationale de médecine, « De l’origine du SARSCoV-2 aux risques de zoonoses et de manipulations dangereuses de virus », rapport, avril 2025.
7 | “SARS-CoV-2 and the missing link of intermediate hosts in viral emergence - what we can learn from other betacoronaviruses”, Front Virol, 7 juillet 2022,
8 | Pigenet Y, « La question de l’origine du SARS-CoV-2 se pose sérieusement », CNRS Le Journal, 27 octobre 2020.
9 | Institut Pasteur, « SRAS », fiche maladies, avril 2020. Sur pasteur.fr
10 | Institut Pasteur, « Mers-Cov », fiche maladies, octobre 2015. Sur pasteur.fr
11 | Gostin LO et al., “The origins of covid-19 : why it matters (and why it doesn’t)”, The New England Journal of Medicine, 2023, 388 :2305-8.
12 | State Council Information Office, “Full text : Covid-19 prevention, control and origins tracing : china’s actions and stance”, white papers, 30 avril 2015. Sur english.scio.gov.cn
13 | The White House, “Lab Leak, the true origins of Covid-19”, rapport, 2025. Sur whitehouse.gov
14 | Alwine JC, “A critical analysis of the evidence for the SARSCoV-2 origin hypotheses”, American Society for Microbiology, 2023, 8 :e00119-23.
15 | Terlford S, “No, Lyme disease is not an escaped military bioweapon, despite what conspiracy theorists say”, The Conversation, 26 juillet 2019.
16 | Krivine JP, « Le Pr Luc Montagnier ou la rumeur du virus fabriqué dans un laboratoire », SPS n° 333, juillet 2020. Sur afis.org
17 | Sallard E et al., « Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus », Médecine/sciences, 2020, 36 :783-96.
18 | Institut Pasteur, « Covid-19 : le tribunal correctionnel de Senlis condamne pour diffamation l’auteur d’une vidéo “fake news” », 4 novembre 2020. Sur pasteur.fr

1 Expériences visant à modifier génétiquement un virus pour lui conférer de nouvelles propriétés ou accroître certaines de ses capacités (transmissibilité accrue, virulence augmentée, résistance à des traitements ou aux défenses immunitaires accrue, capacité à infecter de nouvelles espèces, etc.).

Publié dans le n° 353 de la revue


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L'auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)

Plus d'informations

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