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Attentats du 11 septembre 2001 : les premières théories du complot 2.0

Publié en ligne le 19 décembre 2021 - Conspirationnisme -

Si les théories du complot ont essaimé tout au long du XXe siècle, le développement massif d’Internet au début du XXIe siècle ne pouvait que faciliter leur diffusion. On peut même parler de théories du complot 2.0, c’est-à-dire apparues et répandues au travers d’Internet et des réseaux sociaux. Celles autour des attentats du 11 septembre ont été précurseurs en la matière...

Le choc du 11 septembre

Le 11 septembre 2001, des avions sont détournés et percutent les tours du World Trade Center à New-York, qui culminaient à plus de 400 mètres de hauteur. Des terroristes se sont emparés des commandes et ont choisi de frapper les tours jumelles emblématiques de Manhattan. En parallèle, le Pentagone, siège du ministère de la Défense et autre symbole de la puissance étasunienne, est aussi visé et touché quelques minutes plus tard par un troisième avion. Un quatrième et dernier détournement est, lui, contrecarré par les passagers : l’avion s’écrase en rase campagne avant d’atteindre sa cible.

Les Quais du fleuve Hudson à New York City, Colin Campbell Cooper (1856-1937)

L’incrédulité est totale, tellement semble impensable le fait que la superpuissance américaine puisse être frappée de la sorte sur son sol. Plus de 3 000 victimes périront.

Le choc est mondial et les conséquences immenses, à la fois sur le plan national et international. D’abord, aux États-Unis, il est demandé des comptes aux services de renseignement américains pour comprendre comment ils ont pu ne pas repérer de tels commandos opérant sur le sol national. Ensuite, au niveau international, avec une guerre en Afghanistan pour traquer Ben Laden, commanditaire des attentats, qui s’y est réfugié, puis une autre en Irak accusé indûment de détenir des armes de destruction massive, chimiques ou autres.

Comment le doute s’instille

Avec la guerre menée en Irak en 2003, puis la publication du rapport de la commission d’enquête sur les attentats en 2004, des doutes sur la véracité des déclarations du président Bush et son administration apparaissent : les armes de destruction massive n’ont jamais été découvertes en Irak, de nombreux passages du rapport sont supprimés pour ne pas froisser l’allié saoudien, pays dont étaient originaires la plupart des pirates de l’air. En outre, le 13 septembre 2001, un groupe de ressortissants saoudiens sont exfiltrés des États-Unis sans être interrogés.

Tout cela renforce le doute qui s’est déjà manifesté lors de manifestations sporadiques en septembre 2002 : ces cachoteries masqueraient-elles autre chose ? Les familles de victimes demandent des comptes et la levée du secret-défense sur de nombreux documents ou passages du rapport censurés.

Mais comme souvent, c’est à partir de ces zones d’ombre que les premiers fantasmes et théories du complot émergent. Les premières, plutôt prudentes, évoquent un laisser-faire délibéré de l’administration Bush (LIHOP pour Let It Happen On Purpose) visant à faciliter l’action des terroristes. D’autres, plus sophistiquées, affirment un pilotage complet des attentats par le gouvernement américain (MIHOP pour Make It Happen On Purpose) et des procédés très différents de ceux décrits dans les rapports d’enquête.

Vous avez dit théorie du complot ?

Aux États-Unis, les personnes cherchant à percer ces secrets – véritables ou fantasmés – ont constitué le Truth Movement (mouvement pour la vérité) et se font appeler les truthers (chercheurs de vérité). Si certains veulent assez légitimement lever les doutes sur plusieurs zones d’ombre de l’enquête ou du rapport (sur le rôle de l’Arabie saoudite notamment) d’autres vont beaucoup plus loin et donnent corps à ce qu’on va appeler les théories du complot autour du 11 septembre.

Loin de supposer un simple laisser-faire, ils vont échafauder plusieurs théories, remettant en cause ce qu’ils appellent « la version officielle » et les conclusions des rapports techniques. Ces thèses et leurs variantes ne peuvent bien sûr être listées de manière exhaustive tellement l’imagination des truthers est fertile. Le mille-feuille argumentatif joue un grand rôle de conviction 1. Citons les principales allégations :

  • les tours du World Trade Center ne se seraient pas effondrées en raison de l’impact des avions et des gigantesques incendies qu’ils ont déclenchés, mais grâce à des explosifs placés au préalable dans les tours ;
  • les dégâts sur le Pentagone n’auraient pas été occasionnés par un avion, mais par « autre chose », un missile ayant même été évoqué ;
  • des résidus d’un explosif surpuissant classé secret-défense se trouvaient dans les poussières qui ont recouvert Manhattan lors de l’effondrement des Twin Towers.
Envol d’un biplan type Wright, Jean Béraud (1849-1935)

Ce qu’il faut souligner, c’est que la science est souvent invoquée pour donner crédit à chaque théorie avancée. Cependant, dans chaque domaine abordé (aéronautique, mécanique, chimie, etc.), les spécialistes du sujet ont vite fait de déceler les erreurs, incohérences voire contresens, qui sont exposés.

Attentats du 11 septembre
La rumeur confrontée à la science

Le sommaire du numéro 296 hors-série de Science et pseudo-sciences publié à l’occasion des dix ans des attentats du 11 septembre.

  • « Les théories conspirationnistes autour du 11 septembre » (Phil Molé)
  • « Comment assure-t-on la sécurité des constructions ? » (Denys Breysse)
  • « Les effets du feu » (Pierre Carlotti)
  • « L’effondrement des Twin-Towers » (entretien avec Matthys Levy)
  • « Vous avez dit démolition contrôlée ? » (entretien avec Jean-Pierre Muzeau ) ël Kruppa et Bin Zhao)
  • « Affabulation autour des débris métalliques » (entretien avec Michel Brillich)
  • « Pas d’avion sur le Pentagone ? » (Jérôme Quirant)
  • « Quelques considérations aéronautiques... » (entretien avec Jean Belotti)
  • « La chimie à la rescousse » (Emeric Steng)
  • « Quand la sismique se met en branle... » (Jérôme Quirant)
  • « Des statistiques molestées en plein Web par les truthers » (entretien avec Nicolas Gauvrit)
  • « “9/11 Truth Movement” entre politique et science » (Valery Rasplus)
  • « Sur le net » (recension de Valery Rasplus)
  • « Comment fonctionnent les rumeurs » (Gérald Bronner)
  • « Si j’étais la CIA attaquant les tours jumelles » (Nicolas Gauvrit)
  • « 11-Septembre – L’énigme de la “chip” mystérieuse résolue… c’était bien de la peinture ! » (Jérôme Quirant, version en ligne uniquement)

Réfutation ou « débunkage » des rumeurs

C’est pour répondre à ce salmigondis à prétention scientifique qu’en 2011, pour les dix ans des attentats, Science et pseudo-sciences avait consacré un numéro spécial au démontage des principales rumeurs. Nous renvoyons pour l’essentiel les lecteurs à ce numéro spécial, mais à titre d’illustration des faiblesses scientifiques des thèses avancées par les truthers, nous reprenons ici (voir encadré) la prétendue démonstration de la présence d’explosifs dans les tours en vue d’une « démolition contrôlée ».

Le travail de démystification est gigantesque car il impose d’avoir recours à des spécialistes du domaine sur chaque affirmation lancée. Il en est ainsi selon la loi de Brandolini [1] : lorsqu’une assertion même farfelue est énoncée, l’énergie nécessaire pour la réfuter est souvent d’un ordre largement supérieur à celle initialement déployée pour la répandre, ce qui prend parfois des mois ou des années pour l’éteindre, si tant est qu’elle puisse disparaître complètement.

C’est là le propre des théories du complot : une assise scientifique proche de zéro mais une propagation de bouche à oreille qui fait boule de neige chez les « initiés ». Avec en plus, et pour la première fois concernant celles gravitant autour du 11 septembre, la mise en branle d’un vecteur qui a révolutionné le marché de l’information : Internet.

Nanothermite ou écailles de peinture ?

En 2009, deux scientifiques du Truth Movement, un danois (Niels Harrit) et un américain (Steven Jones), publient un article dans une revue scientifique [1] prétendant « prouver » que des chips (petites écailles) trouvées dans les poussières du World Trade Center sont de la nanothermite, un incendiaire surpuissant, très secret, que seule une incroyable perspicacité leur a permis de déceler. Nous expliquions alors que non seulement l’aspect extérieur de ces débris, mais aussi l’ensemble des expériences menées dans l’article ne validaient absolument pas que ces écailles étaient ce que les truthers prétendaient avoir découvert [2]. Il a fallu attendre de longs mois avant que des debunkers 2 américains trouvent, dans les milliers de pages des rapports techniques et en annexe, la composition des peintures utilisées en protection sur l’acier du World Trade Center, pour que la preuve soit enfin amenée que ces chips étaient bel et bien... de simples écailles de peinture ! Pour plus de détails, voir [3].

Références
1 | Harrit N et al., “Active Thermitic Material Discovered in Dust from the 9/11 World Trade Center Catastrophe”, The Open Chemical Physics Journal, 2009, 2 :7-31.
2 | Steng E, « La chimie à la rescousse », SPS n° 296, juin 2011.
3 | Quirant J, « 11-Septembre – L’énigme de la “chip” mystérieuse résolue… c’était bien de la peinture ! », 17 janvier 2012, sur afis.org.

Théories du complot 2.0

La montée du « mouvement pour la vérité » s’est accompagnée aux États-Unis de la création d’une multitude d’associations regroupant les truthers par catégories professionnelles : les « architectes et ingénieurs pour la vérité », les scientifiques, les pilotes, les pompiers, etc. Chacune dispose de son réseau, organise ses conférences et anime son forum de discussion où tout le monde peut y aller de sa théorie sur comment les choses ont dû se passer... C’est en cela que les théories du complot autour du 11 septembre peuvent être considérées comme les premières théories 2.0 : un mouvement participatif qui s’est développé mondialement grâce à Internet et un activisme forcené, renforcé ensuite par l’essor des réseaux sociaux.

Le mouvement s’appuie également sur quelques figures de proue qui font de grandes tournées à travers le globe pour faire sa promotion et recueillir des fonds. C’est le cas notamment de Richard Gage, un architecte américain qui défend la thèse de la démolition par explosifs pour les tours du World Trade Center. Ses conférences sont diffusées sur Internet et alimentent abondamment le discours de ses partisans qui interviennent sur les forums pour convaincre de nouveaux sympathisants.

La France en pointe…

Mais si les États-Unis sont l’épicentre des théories du complot du 11 septembre, la France occupe aussi une place à part puisque la théorie phare autour du Pentagone (pas d’avion mais « autre chose ») a été popularisée par la famille Meyssan. Amorcée sur Internet au travers d’un « jeu des sept erreurs » par le fils, Raphaël [2], elle est déroulée par le père, Thierry, dans un livre écrit en 2002 pour dénoncer « l’effroyable imposture ». Un lancement encore très XXe siècle en somme, puisqu’il fera la promotion de cet ouvrage au petit écran, dans une émission de Thierry Ardisson. Mais surtout, il développe ses « démonstrations » avant même que les rapports techniques ne sortent et donnent les détails du crash : trajectoire, relevé radar, impact, traces ADN des passagers.

C’est en 2006, avec la création de l’association ReOpen911 que des truthers français se structurent pour demander, eux aussi, la réouverture (reopen) des enquêtes. Avec un site Internet bien conçu, une participation active sur tous les forums de discussion francophones, ils recueillent une certaine audience. Le mouvement prend de l’ampleur et trouve des relais : « Arrêt sur Images » consacre une émission au sujet [3], Jean-Marie Bigard réalise des clips vidéos humoristiques et Mathieu Kassovitz se révèle truther dans une émission de Frédéric Taddeï sur France 3 [4]. Guillaume Durand consacre alors deux émissions en 2010 au sujet sur France 2, invitant Kassovitz et Bigard à exposer leurs points de vue. C’est là le point culminant du mouvement.

Le déclin

Avec le dixième anniversaire des attentats en 2011, les truthers de ReOpen911 souhaitaient frapper l’opinion en organisant une manifestation d’envergure à Paris [5]. Le succès très mitigé de ce rendez-vous marquera en réalité le début du déclin pour le mouvement.

Car dans le même temps, avec les dossiers spéciaux consacrés aux théories du complot non seulement par Science et pseudo-sciences, mais aussi des magazines scientifiques à grande audience comme Science & Vie [6] ou Sciences et Avenir [7], le public a eu accès à des réfutations détaillées des principales allégations des truthers.

Ainsi, avec le temps, le mouvement s’essouffle et peine à trouver de nouveaux sympathisants. À partir de 2012, la dynamique connue pendant les trois ou quatre années précédentes décline et, aujourd’hui, le site et le blog de l’association ReOpen911 n’offrent plus guère d’articles ou informations : il n’y a plus d’« actualités » depuis 2017 sur le blog, une moyenne de seulement quatre articles produits par an sur les trois dernières années, le forum est atone [8]. Rien de comparable avec ce qu’a pu connaître l’association de 2008 à 2012.

Mais cette apathie est aussi le reflet d’un autre déclin, aux États-Unis cette fois : si les théories du complot autour du 11 septembre ont été les premières à bénéficier des potentialités d’Internet, elles sont détrônées aujourd’hui par bien d’autres. Même Alex Jones, l’une des personnes les plus actives dans la propagation des théories conspirationnistes aux États-Unis [9], banni de YouTube et Facebook pour diffusion de fausses informations, s’intéresse à d’autres sujets : chemtrails (les traînées blanches laissées par les avions dans le ciel proviendraient d’épandages de produits chimiques dans l’atmosphère pour mieux contrôler les populations [10], enfants esclaves sur Mars [11], pénis de Michelle Obama [12], mouvement QAnon 3, etc. Les sujets ne manquent pas et, sûrement pour partie par un effet de mode, de nouvelles théories du complot en chassent d’autres plus anciennes.

Références


1 | « La loi de Brandolini ou l’asymétrie dans l’argumentation », éditorial de Science et pseudo-sciences n° 332, octobre 2017.
2 | « Raphaël Meyssan, du révisionnisme post-11-Septembre à la mémoire de la Commune », Conspiracy Watch, 1er avril 2021.
3 | Émission « La guerre de l’information sur le 11 septembre », Arrêt sur Images, 25 avril 2008.
4 | Émission « Ce soir ou jamais », France 3, 15 septembre 2009.
5 | « Grande manifestation à Paris pour la Paix et la fin du silence sur le 11/9 : dimanche 11 septembre 2011 », site de ReOpen911, 26 août 2011.
6 | Science & Vie n° 1128, septembre 2011, 98-121.
7 | Sciences et Avenir n° 775, septembre 2011, 8-12.
8 | Le site de ReOpen911 : reopen911.info (consulté le 6 mai 2021).
9 | « La petite entreprise d’Alex Jones ne connaît pas la crise », Conspiracy Watch, 15 mai 2013.
10 | Quirant J, « Chemtrails : pour dissiper la brume… », Science et pseudo-sciences n° 302, octobre 2012.
11 | « Accusée par des complotistes, la Nasa obligée de nier qu’il y ait des enfants-esclaves sur Mars », Le Monde, 3 juillet 2017.
12 | Farand C, “Michelle Obama is transgender, we all know it’ : Alex Jones claims he has ‘proof’ the former First Lady is a man”, Independent, 25 août 2017.

2 Démystificateurs qui traquent les théories du complot.

3 Voir QAnon et le « complot pédophile » de Véronique Campion-Vincent et Eymeric Manzinali dans ce dossier.

Publié dans le n° 337 de la revue


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L' auteur

Jérôme Quirant

Jérôme Quirant est agrégé de génie civil, Maître de conférences au Laboratoire de Mécanique et Génie Civil de (…)

Plus d'informations

Conspirationnisme

Conspirationnisme et théories du complot sont des concepts aux frontières parfois floues. La sociologue Eva Soteras propose quatre « piliers » qui peuvent permettre de caractériser une théorie du complot : 1. l’absence de hasard ou de coïncidences ; 2. tous les événements sont le fruit d’actions cachées (« à qui profite le crime ? ») ; 3. tout n’est qu’illusion (« on nous ment ») 4. et tous les événements qui font l’histoire sont liés entre eux.