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Mediator et thalidomide : un virage s’est-il produit dans l’éthique de la recherche médicale ?

Publié en ligne le 5 décembre 2011 - Intégrité scientifique -

L’affaire du Mediator a suscité, outre la réprobation de l’opinion publique, une grande implication des milieux professionnels et politiques aboutissant à une demi-douzaine de rapports et à des décisions du ministère de la Santé, prises pour prévenir un autre désastre sanitaire consécutif à l’utilisation d’un médicament.

Cette affaire évoque inévitablement celle du thalidomide, bien qu’elle remonte maintenant à 50 ans. À l’époque, la survenue d’effets tératogènes, non révélés par la toxicologie, avait montré l’insuffisance du dispositif réglementaire. Si la France avait été épargnée par ce désastre en raison de la lenteur du processus d’agrément du dossier, elle adopta une modification des obligations d’études toxicologiques, visant à renforcer le pouvoir de détection des produits embryotoxiques, en spécifiant que les études devaient être faites sur au moins deux espèces « dont l’une n’appartient pas à l’ordre des Rongeurs ». L’éthique avait ainsi mis en priorité la protection de l’Homme avant celle de l’animal.

Les travaux relatifs à l’affaire du Mediator, de manière étonnante, ne se sont pas lancés dans une exégèse des dossiers toxicologiques. Pourtant, il y avait peut-être là des informations utiles ? En réalité, lorsqu’il est fait allusion aux propriétés pharmaco-toxicologiques, il n’est discuté que de l’effet anorexigène et, rarement, quelques autres effets sont-ils cités. Sans doute les dysfonctionnements qui ont affecté l’ensemble de la chaîne du développement, de la réglementation et du suivi des effets indésirables, ont-ils orienté d’emblée les professionnels de santé et les responsables politiques vers un objectif de remise en ordre du dispositif existant, ce qui vient d’être fait.

On ne peut s’empêcher de penser, cependant, que l’analyse pharmacotoxicologique aurait mérité plus d’attention, partant du principe que plus la détection d’une anomalie est précoce, moins les risques encourus par l’Homme sont élevés. Alors que la mise sur le marché remonte à 1976, c’est en 2005 qu’une suggestion d’étude spécifique sur l’animal a été faite, dans le contexte de cas humains déjà suspectés, afin d’évaluer le pouvoir producteur d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Cette proposition restera d’ailleurs sans suites.

Si, avant que son autorisation de mise sur le marché ne soit donnée, une étude toxicologique avait été planifiée pour évaluer son pouvoir générateur d’HTAP, suspect en raison de son appartenance à une famille de molécules présentant cet effet, sa dangerosité aurait probablement pu être identifiée plus tôt. Mais c’est finalement, la pire situation qui s’est produite : c’est la révélation de troubles sévères chez les patients qui aura conduit à cette mise en évidence.

La Déclaration d’Helsinki, dans sa version initiale (1964), précisait dès son article 1 que « la recherche bio-médicale portant sur les êtres humains... doit être basée sur une expérimentation... sur l’animal ». Curieusement les « amendements » apportés à ce texte depuis une dizaine d’années ont fait disparaître cette clause, qui était l’un des garants éthiques de la recherche pharmaceutique. Cette disparition résulte peut-être de la pression des protecteurs des animaux ou d’industriels du médicament voulant alléger le dispositif pré-clinique. Peu importe, les deux auront satisfaction, car c’est maintenant la pharmacovigilance qui précise les effets adverses de haute gravité. L’éthique est-elle réellement gagnante ?

Publié dans le n° 298 de la revue


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L' auteur

Henri Brugère

Henri Brugère est vétérinaire, Professeur émérite à l’École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort et président (...)

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