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Mourir pour un crapaud...

Publié en ligne le 15 janvier 2012
Mourir pour un crapaud…
Un authentique drame scientifique

Catherine Bousquet
Le Pommier, 2011, 132 pages, 13 €

Dans ce livre, Catherine Bousquet, biologiste et journaliste scientifique, retrace, de façon romancée, un épisode précoce de l’histoire de la génétique qui trouve pourtant des échos modernes dans les découvertes récentes.
Dans le premier chapitre, l’auteure met en scène la naissance de la génétique : les conditions de la publication de l’article de Hugo De Vries qui, en 1900, fonda la discipline en « redécouvrant » les lois de Mendel 1. Cette nouvelle discipline s’inscrit dans les discussions entre darwiniens qui s’interrogent sur les processus en jeu dans l’évolution des espèces.
Quelques années plus tard, à la faculté de Vienne, en Autriche, un jeune biologiste, recruté pour s’occuper des élevages de reptiles et de batraciens, s’intéresse à l’origine des variations observées chez les individus d’une espèce et à leur rôle dans l’évolution. C’est lui le personnage central de l’histoire qui nous est contée : Paul Kammerer (1880-1926).

Kammerer, travaillant sur une espèce de crapaud terrestre (Alyte obstetricans), affirmera avoir mis en évidence des rugosités nuptiales au niveau des pouces des mâles. Ces structures anatomiques 2 seraient apparues à cause des conditions humides dans lesquelles Kammerer élève ses crapauds, puis se seraient transmises au cours des générations. Devant une telle découverte, les savants enquêteront mais ne parviendront pas aux mêmes conclusions que Kammerer. Le 23 septembre 1926, Kammerer se donne la mort, quelques mois après qu’un article de la revue Nature suggère qu’il aurait fraudé dans ses expériences sur le crapaud accoucheur.

Dans les deux derniers chapitres, l’auteure met en perspective, d’un point de vue contemporain, les interrogations en suspens dans cette « affaire Kammerer » : tout d’abord, avec une réflexion sur la fraude en science et sa détection ; puis, avec une relecture qui s’appuie sur un article 3 publié fin 2009 dans lequel un biologiste chilien, Alexander Vargas, tente d’expliquer les résultats expérimentaux de Kammerer en mobilisant les connaissances actuelles sur l’épigénétique, cette forme d’hérédité non génétique, conditionnée par l’environnement et qui fait actuellement l’objet de nombreuses recherches.

C’est toute cette histoire que raconte, en quelques pages, C. Bousquet dans un style agréable et accessible qui rend vivantes les péripéties successives.

1 On relèvera un oubli dans cette mise en scène : la première publication de De Vries en 1900 qui ne faisait pas référence à Mendel (sa communication lue à l’Académie des sciences de Paris, le 26 mars : Sur la loi de disjonction des hybrides). Ce n’est qu’après la réception d’un manuscrit de Carl Correns par la Société allemande de botanique que De Vries rectifiera sa publication dans la revue de cette Société en mentionnant Mendel. Voir Giannini A. (2008), Trente-cinq ans plus tard, Les génies de la science, 35 : 72-78.

2 Elles sont caractéristiques des batraciens vivant en milieu aquatique où elles servent aux mâles pour maintenir le corps de la femelle lors de l’accouplement, mais n’existent pas chez les espèces terrestres.

3 Vargas A. O. (2009), Did Paul Kammerer Discover Epigenetic Inheritance ? A Modern Look at the Controversial Midwife Toad Experiments, J. Exp. Zool Mol. Dev. Evol, 312 (7) : 667-78.