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Nouvelles techniques génomiques : le retour du fils du monstre OGM ?

Publié en ligne le 10 décembre 2024 - Science et médias -
Les avis exprimés dans cet article n’engagent que leur auteur et ne sauraient être considérés comme une prise de position officielle de ses employeurs ou des agences pour lesquelles il agit comme expert ou conseiller. Merci à Fabien Nogué, Josep Casacuberta, Philippe Guerche et Loïc Quevarec pour leur relecture critique, et à Jean-Paul Krivine pour son excellent travail d’édition.

En janvier 2024, le Parlement européen a adopté un texte concernant les variétés de plantes cultivées modifiées par les « nouvelles techniques génomiques » (NTG) [1]. Il s’agit d’une étape vers une future réglementation européenne initiée en juillet 2023 [2] et rendue nécessaire par l’émergence de nouvelles technologies permettant de modifier les génomes. La plus connue d’entre elle porte le nom Crispr-Cas9 et repose sur un mécanisme naturel de défense permettant aux bactéries de reconnaître et d’éliminer les ADN viraux. Ces technologies permettent la modification précise d’un seul nucléotide parmi les milliards que compte l’ADN d’un être vivant (plante ou animal), mais aussi des insertions et des délétions ciblées. Cette véritable révolution technologique ainsi que le projet de nouvelle réglementation ont réactivé le débat concernant l’opportunité d’utiliser les plantes génétiquement modifiées (souvent désignées dans le débat public par OGM, pour organismes génétiquement modifiés), dont la culture est toujours quasi inexistante dans l’Union européenne, tandis qu’elle est autorisée depuis 25 ans dans plusieurs autres régions du monde.

Le Semeur, Vincent van Gogh (1853-1890)

Qu’est-ce qu’un organisme génétiquement modifié (OGM) ?

Le concept d’OGM est juridique et a été forgé à la fin du XXe siècle pour mettre en place des réglementations d’utilisation des variétés végétales issues du génie génétique. Dans l’Union européenne, une directive de 2001 définit les OGM comme des « organismes, à l’exception des humains, dont le matériel génétique a été modifié́ d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » [3]. La notion de modification « non naturelle » fait référence aux techniques permettant la construction de molécules d’ADN in vitro et leur insertion dans les génomes, quelle qu’en soit l’origine. Ces techniques ne permettaient pas le ciblage précis des molécules insérées dans l’ADN de la plante, les résultats intéressants étant triés a posteriori.

Cette définition réglementaire des OGM ne porte pas sur l’état final du génome obtenu, mais sur le fait que le processus d’obtention n’aurait pas pu se faire naturellement. Il serait d’ailleurs probablement impossible de définir biologiquement ce qu’est un OGM, tant l’éventail des modifications génétiques spontanées (naturelles) est important, et encore incomplètement connu (voir encadré ci-après).

Les entreprises désirant obtenir l’autorisation de commercialiser des semences ou de permettre l’importation de tous produits issus de variétés classées OGM doivent soumettre un dossier détaillé à l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA, European Food Safety Authority) [4].

Le Cerisier, Berthe Morisot (1841-1895)

Ce dossier doit décrire précisément les modifications moléculaires réalisées et présenter des analyses de toxicologie et de composition des plantes concernées, comparées aux plantes non-OGM correspondantes. Le dossier contient également des informations concernant l’éventualité et les conséquences d’une dissémination des transgènes (les fragments d’ADN insérés) dans l’environnement. À l’issue d’une longue procédure d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, un avis est rendu et sert de support à l’autorisation d’importation ou de culture [5]. La décision revient, comme il se doit, aux pouvoirs publics (Commission européenne et États membres). Selon le registre tenu à jour par l’Union européenne, depuis 2003, 171 demandes d’importation d’OGM ont été soumises concernant l’alimentation humaine ou animale ; 148 sont actuellement autorisés, les autres étant soit en cours d’examen, soit retirées ou expirées [6]. Chaque année, ce sont ainsi entre 30 à 50 millions de tonnes de produits, majoritairement des céréales issues de variétés OGM, qui sont importés.

En ce qui concerne les demandes pour la culture de plantes OGM, quatre sont arrivées à terme et ont reçu un avis favorable de l’EFSA mais une seule a reçu une autorisation de l’Union européenne (le maïs MON810, résistant aux insectes). Il n’est actuellement cultivé qu’en Espagne et au Portugal. La différence entre le nombre de demandes pour l’importation et pour la culture résulte de la réticence des États européens à autoriser la culture d’OGM, conduisant les entreprises à ne plus soumettre de demandes à cette fin. Il est intéressant de mettre ces chiffres en perspective avec les milliers de nouvelles variétés produites par la sélection variétale conventionnelle et inscrites chaque année au catalogue européen des variétés et semences [7]. Ces variétés ne sont pas soupçonnées de faire courir des risques sanitaires ou environnementaux, bien que leurs variations génétiques soient le plus souvent inconnues.

Afin d’illustrer l’écart entre les inquiétudes entretenues autour des OGM et la réalité génétique, imaginons qu’un agriculteur biologique remarque, dans son potager, une nouvelle forme de courge. La réglementation européenne de l’agriculture biologique permet d’effectuer le commerce, la propagation et la distribution des graines sans contrôle particulier, quelles que soient les variations génétiques à son origine, de nature et de conséquences inconnues [8]. Nous pourrions frissonner en réalisant que certaines courges sauvages toxiques sont parfaitement capables de s’hybrider avec les courges cultivées. Heureusement, leur amertume prévient rapidement le consommateur [9].

Les variations génétiques spontanées


Du fait de l’imprécision des processus biologiques, l’ADN subit de nombreux accidents génétiques fournissant la matière première à la diversité et à l’évolution. Ces variations sont la base de la domestication des plantes par les humains et à sa continuation dans l’amélioration des plantes cultivées.

Mutations. Il s’agit des changements de faible ampleur dans la séquence nucléotidique de l’ADN (substitution d’une base en une autre, courtes insertions et délétions). Leur fréquence est de l’ordre d’une mutation pour 140 millions de nucléotides par génération. Les grains d’un hectare de blé (dont le génome contient 15 milliards de nucléotides) contiennent plus de 200 millions de mutations transmises puisque les agriculteurs ressèment une partie de leur récolte. Chaque année, tous les 900 millions de nucléotides du génome des milliards de tomates cultivées sont mutagénisés plusieurs centaines de fois.

Recombinaisons. Ce sont les échanges aléatoires que subissent les chromosomes lors de la formation des gamètes. Chaque paire de chromosomes subit de un à trois échanges par génération, le plus souvent entre séquences homologues. Des recombinaisons non homologues conduisent à la création de nouveaux gènes produisant, par exemple, de nouveaux allèles de résistance aux maladies, prisés par la sélection conventionnelle, ou à la perte de fragments entiers d’ADN.

Polyploïdie. La diploïdie (deux copies de chaque chromosome) est l’état le plus fréquent chez les organismes à reproduction sexuée. La multiplication des chromosomes, ou polyploïdie, intervient spontanément lors de la formation des gamètes et permet la restauration de fertilité chez les hybrides interspécifiques. Chez les plantes, on estime qu’un individu sur cent mille est polyploïde, conduisant à des créations d’espèces. Les polyploïdes ont des organes plus gros et ont été fréquemment sélectionnés lors de la domestication des plantes. Le blé hexaploïde contient les génomes additionnés de trois graminées, la pomme de terre est tétraploïde, le fraisier est octoploïde. Pour modifier l’activité d’un gène présent en deux copies chez un diploïde, il faut donc deux mutations, quatre mutations chez un tétraploïde, six mutations chez un hexaploïde, etc.

Introgressions. Lorsqu’elles ne se sont pas trop éloignées, les croisements entre espèces sont souvent possibles. Ils sont largement utilisés pour introduire des gènes d’intérêt agronomique comme la résistance aux maladies. Près de 10 % du génome de la tomate Lycopersicon esculentum provient d’autres Lycopersicon sauvages. Les gènes d’intérêt sont souvent associés à de nombreux autres gènes de fonctions inconnues. Chez les hominidés, des croisements entre Néandertaliens et Sapiens ont causé l’introgression d’ADN d’origine néandertalienne il y a environ 50 000 ans.

ADN mobile. Découverts par la généticienne des plantes Barbara McClintock (prix Nobel 1983), ce sont des fragments d’ADN qui se déplacent à l’intérieur des génomes. Ils peuvent être considérés comme des parasites génomiques et représentent une fraction substantielle des génomes. Chez le maïs, 80 % de l’ADN est composé d’ADN mobile ou anciennement mobile. Dans l’ADN humain, qui en comprend environ 40 %, un élément actif cause une nouvelle insertion tous les trente individus. L’ADN mobile est à l’origine de modifications évolutives importantes comme la transformation du téosinte sauvage en maïs cultivé ou l’apparition du placenta des mammifères, mais aussi celle des variétés de raisin blanc, des oranges sanguines et des pommes rouges.

Transferts horizontaux. Il s’agit de transfert d’ADN entre organismes indépendamment de la reproduction, pouvant prendre de nombreuses voies. L’une d’elle, permettant le transfert d’ADN entre les bactéries et les plantes, est exploitée par les généticiens pour modifier les génomes végétaux. Elle est la cause de la présence d’ADN bactérien chez près de 7 % des espèces d’angiospermes. La résistance du blé à la fusariose fongique provient d’un transfert horizontal venant des champignons. La comparaison des génomes montre que ces événements concernent de nombreuses espèces végétales, certains mécanismes impliquant probablement de l’ADN mobile.

OGM et nouvelles techniques génomiques : le droit et la science malmenés

Plus de 3 000 variétés cultivées dans le monde résultent de techniques de mutagenèse utilisant des rayonnements ionisants ou des agents chimiques. On y trouve des variétés de pamplemousses sans pépins, des variétés de cerisiers autofertiles, d’orge de brasserie et bien d’autres plantes [10]. Ces techniques créent de très nombreuses mutations aléatoires dont certaines sont retenues pour leur intérêt agronomique. Jusqu’en 2018, ces variétés étaient exclues du champ d’application de la directive sur les OGM car, au moment où la réglementation européenne s’est mise en place, elles étaient déjà cultivées sans conséquences sanitaires ou environnementales et bénéficiaient donc d’un historique d’utilisation sûre [11].

L’émergence des nouvelles techniques génomiques permettant des mutations ciblées et connues a conduit à la nécessité de déterminer si les variétés qui en dérivent devaient être considérées comme des OGM. En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par le Conseil d’État français, lui-même saisi par des ONG environnementalistes, a statué que c’était bien le cas [12]. Dans la même décision, la cour a précisé que les variétés issues de mutagenèse étaient également des OGM, mais qu’elles pouvaient néanmoins être exemptées des obligations attachées aux OGM dès lors que les organismes obtenus « ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications » et que leur « sécurité est avérée depuis longtemps ». Cela a conduit certains acteurs de l’écologie politique à qualifier les plantes cultivées issues de mutagenèse d’« OGM cachés ». Dans un nouvel avis rendu en février 2023, la CJUE a finalement déterminé que les organismes issus de mutagenèse étaient exclus de la directive OGM, ajoutant un peu plus de confusion sur le sujet [13]. Ainsi, des variétés présentant un nombre inconnu de mutations, probablement proche de plusieurs dizaines ou centaines, de nature inconnue, sont exemptées de réglementation. Paradoxalement, d’autres variétés, produites par NTG, contenant des mutations précisément connues, sont soumises à une réglementation longue et coûteuse, ouvrant la voie à leur éventuelle interdiction. Ni le droit, ni la science ne sortent indemnes d’une telle situation.

Les différentes méthodes de sélection
Avec indication OGM ou non-OGM selon la réglementation



Variations génétiques spontanées (naturelles). Des mutations interviennent sous l’influence de facteurs naturels (rayons UV, radioactivité naturelle) ou du fait de l’imprécision des processus biologiques. Certaines peuvent produire un caractère utile qui sera sélectionné.

Croisements. Une propriété souhaitée (par exemple une résistance à une maladie) est transmise à une variété existante par croisement avec une variété possédant la propriété recherchée. Les descendants sont sélectionnés et recroisés sur plusieurs générations.

Mutagénèse artificielle. Le patrimoine génétique est modifié de façon aléatoire en soumettant la plante à des agents mutagènes (irradiation ou traitement chimique). En plus de la mutation souhaitée engendrée aléatoirement, de très nombreuses autres modifications interviennent. Il faut alors sélectionner et recroiser sur plusieurs générations pour éliminer partiellement les mutations non voulues.

Transfert d’ADN (« OGM classique »). Un ou plusieurs gènes issus d’une autre espèce (transgénèse) ou de la même espèce (cisgénèse) sont introduits dans des endroits aléatoires du génome. Il faut alors sélectionner et recroiser sur plusieurs générations pour obtenir le résultat souhaité.

Édition génomique. Le génome d’une variété est modifié de façon ciblée et précise. Des gènes entiers peuvent être intégrés.

ou

selon les cas (réglementation en discussion)

En 2023, à l’issue de longues consultations, la Commission européenne a initié une révision de la réglementation des OGM. L’idée directrice générale est que certaines modifications issues des NTG pourraient être déréglementées si elles sont équivalentes à ce que pourrait produire la variation génétique spontanée (naturelle). Les variétés résultantes, nommées « NTG de catégorie 1 », seraient dispensées d’évaluation approfondie. L’équivalence est reconnue quand la différence avec la plante non modifiée est inférieure à vingt changements de nucléotides (selon des modalités techniques précises – voir l’annexe du projet de réglementation [2]). Le transfert de gènes entre plantes pouvant se croiser naturellement (cisgenèse) serait également autorisé. Les plantes dont les modifications génétiques excédent le seuil défini resteraient soumises à la réglementation des OGM sous le nom de « NTG de catégorie 2 ». Des discussions sont en cours et des amendements importants sont proposés.

Les OGM dans le monde

Les plantes génétiquement modifiées sont cultivées depuis plus de 25 ans dans différents pays, il est donc possible d’établir un bilan permettant d’éclairer les intérêts futurs des NTG dans l’Union européenne.

Nature morte aux fleurs, fruits, coquillages et insectes(détail), Balthasar van der Ast (1593/94-1657)
Comme bon nombre d’artistes de l’Âge d’Or de la peinture flamande (le XVIIes.), van der Ast travaille beaucoup la nature morte. Il n’hésite pas à y intégrer des insectes qui piquent et abîment les fruits mûrs : il renforce ainsi le principe de la vanitas, cette peinture allégorique qui rappelle que la vie est fragile et fugace.

En 2022, les plantes génétiquement modifiées étaient cultivées sur 202,2 millions d’hectares, soit environ 10 % des surfaces cultivées [14]. Les pays les plus utilisateurs étant les ÉtatsUnis (74,7 millions d’ha), le Brésil (63,2), l’Argentine (23,5), l’Inde (12,4) et le Canada (11,3). La plupart de ces cultures concernent le maïs, le soja, le colza et le coton. Dans leur très grande majorité, les caractères introduits concernent la résistance à certains insectes ravageurs et la tolérance à divers herbicides dont le glyphosate. Notons également des blés génétiquement modifiés pour accroître leur tolérance à la sécheresse et cultivés depuis 2021 en Argentine [15]. À une échelle plus réduite, signalons la culture d’aubergines résistantes aux insectes lépidoptères cultivées au Bangladesh, des courges et des papayes résistantes à des virus à Hawaii et en Chine, des peupliers à croissance rapide en Chine et des œillets présentant de nouveaux dégradés de mauve produits en Colombie et en Équateur [16]. Dans l’Union européenne, seuls l’Espagne et le Portugal autorisent la culture de 100 000 ha de maïs résistant aux insectes.

Un bilan économique a été établi dans une étude publiée en 2023 et portant principalement sur l’Amérique du Nord [17]. En cinq ans, entre 1996 et 2020, grâce à la culture d’OGM, la production du soja et du maïs a progressé de 330 millions de tonnes et de 595 millions de tonnes respectivement, conduisant à une augmentation de revenu pour les agriculteurs de 261 milliards de dollars. L’augmentation du rendement à surface cultivée égale permet de limiter les intrants agricoles (produits phytosanitaires, engrais, recours en eau et usage des engins mécanisés), contribuant à réduire les émissions de CO2. Les plantes génétiquement modifiées résistantes aux herbicides permettent en outre d’éviter le labour, générateur de gaz à effet de serre à cause de l’usage de carburants des tracteurs d’origine fossile et de la respiration des micro-organismes exposés à l’oxygène par le travail du sol. L’exemple de la province canadienne du Saskatchewan est donné, où l’hectare moyen était émetteur net de carbone entre 1991 et 1994, alors qu’il est devenu puits de carbone entre 2016 et 2019, stockant 0,12 t de CO2 par an, du fait de l’abandon du labour et du rendement plus élevé.

La même revue estime que si les plantes génétiquement modifiées avaient été cultivées dans l’Union européenne, les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture européenne auraient pu diminuer de 7,5 %, correspondant à 33 millions de tonnes de CO2 par an [18]. L’Europe serait aussi moins dépendante des importations alimentaires pour le bétail en provenance d’Argentine ou du Brésil, elles-mêmes émettrices de gaz à effet de serre.

Les plantes résistantes aux herbicides (qu’elles soient génétiquement modifiées ou issues de sélections classiques) sont souvent menacées par l’émergence d’adventices (mauvaises herbes) résistantes. Un amendement au projet de réglementation propose qu’elles ne fassent pas partie des NTG de catégorie 1, probablement aussi en lien avec l’augmentation de l’utilisation d’herbicides qu’elles impliquent et la perception négative de leur emploi, comme c’est le cas du glyphosate.

La conséquence la plus remarquable de l’adoption des plantes génétiquement modifiées est certainement la diminution de l’utilisation des insecticides, pouvant aller jusqu’à 80 % pour le maïs et le cotonnier (représentant une réduction de 339 millions de kg de matière active pour les cultures de coton dans le monde entre 1996 et 2000) [19]. Grâce à leur sélectivité (seuls les insectes prédateurs de la plante sont ciblés), les variétés résistantes aux insectes permettent aussi la réduction des insecticides sur les cultures conventionnelles avoisinantes : par effet collatéral, les insectes prédateurs, auparavant détruits indistinctement par les insecticides à large spectre, prolifèrent et peuvent consommer les insectes phytophages [19].

Marché de coton en Guinée, Henri Félix Cayon (1878-1943)

En Inde, le coton résistant aux insectes a permis une augmentation de 45 à 63 % des rendements [17]. En Afrique du Sud, seul pays africain en autorisant la culture, le maïs résistant aux insectes a permis de doubler le rendement [17]. Les aubergines (Brinjal) résistantes aux insectes, cultivées depuis 2014 au Bangladesh par près de 25 000 agriculteurs ont permis l’accroissement du rendement et des revenus pour les agriculteurs de 19,6 % et 21,7 % respectivement [20].

Un autre succès des plantes génétiquement modifiées a été l’introduction en 1998 à Hawaii de papayers transgéniques résistants à un virus qui décimait les plantations. L’efficacité a été telle que le virus a pu être éradiqué et que la culture de papayers non transgéniques est redevenue possible [21]. Des papayers équivalents sont aussi cultivés en Chine du Sud [22].

En 2019, les essais de cultures génétiquement modifiées comprenaient le blé, le riz, la banane et le cacao résistants aux champignons ; le riz, le maïs et le soja tolérants à la sécheresse ; le riz et la banane résistants aux bactéries ; le riz tolérant au sel et enfin le manioc et la banane résistants aux virus. Au Kenya, des pommes de terre résistantes au mildiou sont actuellement testées, alors que cette maladie détruit jusqu’à 20 % des récoltes mondiales [23].

Qu’attendre des nouvelles technologies génomiques ?

La révision de la réglementation jugée inadaptée est souhaitée par la plupart des organismes scientifiques et de nombreux chercheurs du domaine (voir par exemple [24]). Elle est devenue quasi inévitable avec les incohérences découlant des décisions de la CJUE en 2018 et 2023. De plus, la stratégie « de la ferme à la table » (farm to fork) du Pacte vert européen (Green Deal) inclut clairement le potentiel du génie génétique végétal pour une agriculture plus durable. Rappelons que le Pacte vert est la stratégie de l’Union européenne pour lutter contre le réchauffement climatique (avec pour objectif la neutralité carbone à l’horizon 2050) et que, dans ce cadre, la stratégie « de la ferme à la table » vise « à rendre les systèmes alimentaires équitables, sains et respectueux de l’environnement » [1].

Pour la Commission européenne qui propose une nouvelle réglementation, « l’application de la législation actuelle sur les OGM aux nouvelles techniques génomiques n’est pas propice à la mise au point de produits innovants potentiellement bénéfiques pour les obtenteurs, les agriculteurs, les exploitants du secteur alimentaire, les consommateurs et l’environnement » [2]. Elle induit par ailleurs une forte distorsion de concurrence, le coût d’un dossier réglementaire de plusieurs millions d’euros réduit les demandes aux entreprises prééminentes du secteur des semences, situées hors de l’Union, contrairement à l’objectif de soutien des PME européennes (80 entreprises de sélection variétale opèrent en France). Enfin, les mutations ciblées, rendues possibles grâce aux nouvelles techniques génomiques, n’étant pas distinguables de la variation spontanée, on ne peut pas construire une réglementation dont l’objet n’est ni défini, ni traçable.

Guidées par les connaissances de la biologie et de la pathologie végétale, les nouvelles techniques génomiques de catégorie 1 permettent en principe de modifier de nombreuses caractéristiques des plantes cultivées telles que la tolérance aux stress biotiques (insectes, bactéries, virus, champignons, etc.) et abiotiques (sécheresse, température, salinité, etc.), la qualité nutritive ou le rendement [25].

Conclusion

L’évolution biologique est loin d’avoir produit toutes les solutions adaptatives possibles et de nombreux traits d’intérêt pour l’agriculture ont évolué chez certaines espèces, mais pas chez d’autres. Des facteurs favorisant la tolérance à la sécheresse venant d’autres plantes plus adaptées ont ainsi été introduites, avec des résultats encourageants, chez le blé ou le riz [26]. L’autorisation du transfert de gènes entre des espèces qui peuvent être naturellement hybridées (cisgenèse) dans les NTG de catégorie 1 aurait pu être étendue au pool génétique global des plantes cultivées. Les risques seraient équivalents à la sélection conventionnelle puisque les plantes cultivées sont le fruit d’une domestication qui les a rendues consommables par les humains et les animaux depuis des milliers d’années, seules ou en mélange.

Rizières à Hanalei, William Twigg-Smith (1883-1950)

La polyvalence des NTG de catégorie 1 n’est pas aussi grande que celle des NTG de catégorie 2 (OGM) qui permettent en principe d’exploiter toute diversité génétique vivante ou synthétique. Il ne sera ainsi pas possible avec les NTG de catégorie 1 d’utiliser les gènes bactériens conférant la résistance aux insectes, ni les constructions génétiques antivirales. Dans une logique de durabilité et de protection environnementale, on peut déplorer que les variétés contenant ces transgènes, cultivées depuis plus de 25 ans sans conséquence négative, ne bénéficient pas d’une réglementation allégée ou exemptée. De nombreuses plantes ont été rendues résistantes à différents virus, leur usage plus répandu permettrait probablement de mieux contrôler ces maladies [27], qui représentent 47 % des maladies émergentes des plantes [28].

Enfin, les NTG de catégorie 1 seront très probablement exclues de l’agriculture biologique, ce qui est incohérent si elles sont considérées équivalentes aux variétés conventionnelles. L’agriculture biologique, excluant les phytosanitaires de synthèse, pourrait pourtant tout particulièrement en bénéficier pour limiter les pertes de rendement par rapport à l’agriculture conventionnelle.

En matière d’innovation scientifique, la distance avec le sujet est parfois source d’enchantement. C’est ce que l’on observe par exemple dans les recherches biomédicales ou l’exploration spatiale : les acteurs directs perçoivent les limites et les difficultés des technologies développées tandis que les plus éloignés peuvent y placer souvent des espoirs ou un enthousiasme démesuré. Dans le cas du génie génétique végétal, cette relation est inversée, alors que des progrès significatifs ont été obtenus rapidement, comme la réduction de l’utilisation des insecticides. Une explication possible est l’exploitation précoce et délibérée d’inquiétudes existentielles liées à la génétique, pour des raisons plus politiques que scientifiques, amplifiée par une méconnaissance généralisée de l’histoire des plantes cultivées. Le souci de protection du consommateur est légitime mais le résultat a été contre-productif et pénalise aujourd’hui l’agriculture européenne.

Références


1 | Parlement européen, « Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines techniques génomiques », 29 janvier 2024. Sur europarl.europa.eu
2 | Commission européenne, “New techniques in biotechnology”, 5 juillet 2023. Sur food.ec.europa.eu
3 | « Directive du Parlement européen et du Conseil sur la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement », EurLex, 12 mars 2001.
4 | European Food Safety Authority, “GMO applications”, page web, consultée le 10 juin 2024. Sur efsa.europa.eu
5 | Ministère de l’Agriculture, « OGM : le cadre réglementaire », page web, janvier 2023. Sur agriculture.gouv.fr
6 | Commission européenne, “EU Register of authorised GMOs”, site web, consulté le 10 juin 2024. Sur webgate.ec.europa.eu
7 | Euroseeds, « Catalogue européen des variétés et semences », site web, consulté le 10 juin 2024. Sur euroseeds.eu
8 | Chable V, « Retour sur le combat pour les semences paysannes en Europe », The Conversation, 3 octobre 2022.
9 | Anses, « Cette année encore, attention aux courges amères ! », 31 octobre 2023. Sur anses.fr
10 | International Atomic Energy Agency, “Joint FAO/IAIEA Mutant Variety Database”, 2023. Sur nucleus.iaea.org
11 | Constable A et al., “History of safe use as applied to the safety assessment of novel foods and foods derived from genetically modified organisms”, Food Chem Toxicol, 2007, 45 :2513-25.
12 | Cour de justice européenne, « Les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM », communiqué de presse, 25 juillet 2018. Sur curia.europa.eu
13 | Cour de justice européenne, « Techniques de modification génétique : la Cour précise le statut de la mutagenèse aléatoire in vitro au regard de la directive OGM », communiqué de presse, 7 février 2023. Sur curia.europa.eu
14 | Agbioinvestor, “Global GM crop area review”, mai 2023. Sur fundacion-antama.org
15 | “Argentina first to market with drought-resitant GM wheat”, Nat Biotechnol, 2021, 39 :652.
16 | International Service for Acquisition of Agro-biotech Applications, “Biotech crop highlights in 2019”. Sur isaaa.org
17 | Paarlberg R, Smyth SJ, “The cost of not adopting new agricultural food biotechnologies”, Trends Biotechnol, 2023, 41 :304-6.
18 | Kovak E et al., “Genetically modified crops support climate change mitigation”, Trends in Plant Science, 2022, 27 :627-9.
19 | Brookes G, “Genetically Modified (GM) crop use 1996–2020 : environmental impacts associated with pesticide use change”, GM Crops & Food, 2022, 13 :262-89.
20 | Shelton AM et al., “Impact of Bt brinjal cultivation in the market value chain in five districts of Bangladesh”, Front Bioeng Biotechnol, 2020, 8 :498.
21 | Gonsalves D, “The wayward Hawaiian boy returns home”, Annu Rev Phytopathol, 2015, 53 :1-17.
22 | Liang J et al., “The evolution of China’s regulation of agricultural biotechnology”, aBiotech, 2022, 3 :237-49.
23 | Ghislain M et al., “Stacking three late blight resistance genes from wild species directly into African highland potato varieties confers complete field resistance to local blight races”, Plant Biotechnol J, 2019, 17 :1119-29.
[24 | Association française pour l’information scientifique, « Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome : académies et scientifiques donnent leurs avis », communiqué, 22 janvier 2024. Sur afis.org
25 | Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées, « Nouvelles techniques génomiques et évaluation des variétés », Rapport, 8 décembre 2022. Sur agriculture.org.fr
26 | Gupta PK, “Drought-tolerant transgenic wheat HB4® : a hope for the future”, Trends Biotechnol, 28 décembre 2023.
27 | Cillo F, Palukaitis P, “Transgenic resistance”, Adv Virus Res, 2014, 35 :90-146.
28 | Anderson PK et al., “Emerging infectious diseases of plants : pathogen pollution, climate change and agrotechnology drivers”, Trends Ecol Evol, 2004, 19 :535-44.

Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome
Les avis des académies et des agences sanitaires

La plupart des entités académiques concernées par le sujet ont eu l’occasion de se pencher sur la question des risques et de leur encadrement. En France, il s’agit du CNRS, de l’Académie d’agriculture, de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies ou encore du Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer (voir le communiqué de l’Afis du 22 janvier 2024 [1]).

Elles reconnaissent toutes l’important potentiel de ces nouvelles technologies et la nécessité de faire évoluer la réglementation. Ainsi, par exemple, l’Académie d’agriculture se déclare « convaincue que [les applications des nouvelles technologies génomiques] font partie des solutions pour contribuer à relever les défis mondiaux urgents actuels : biodiversité, changement climatique, évolution de la population mondiale, et qu’elles peuvent s’inscrire dans les priorités politiques actuelles, comme l’agroécologie ou le bien-être animal » [2].

Elles prennent également en compte le passé et le « contexte culturel » de la controverse sur les OGM et préconisent différentes mesures pour permettre la meilleure gestion des risques associés à ces nouvelles technologies.

Ainsi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en janvier 2024 un avis et un rapport d’expertise collective [3] qui s’étaient donné plusieurs objectifs relatifs aux « plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CrisprCas9 » : « Établir un état des connaissances sur les effets non désirés potentiels au niveau du génome […] ; déterminer les requis spécifiques en termes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux […] ; déterminer comment le référentiel actuel d’évaluation des OGM pourrait être adapté […] ».

Dans un communiqué du 6 mars 2024 [4], l’agence précise que sa démarche vise à « éclairer les autorités et parties prenantes dans les discussions actuelles sur l’évolution de l’encadrement européen portant sur les OGM », constatant également « que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes [issues des nouvelles techniques génomiques] ».

L’agence propose ainsi « d’adapter l’évaluation de ces plantes au cas par cas, dans une approche graduée, et recommande un dispositif global de suivi. Au-delà des enjeux sanitaires, l’Anses identifie également différentes motivations et préoccupations socio-économiques associées aux NTG en agriculture et appelle à appuyer les décisions à venir sur une mise en débat démocratique considérant, au-delà des risques, l’ensemble des enjeux. »

Cette démarche fait écho aux avis académiques sur le volet de l’évaluation des risques. Ainsi, le comité d’éthique Inra-Cirad-Ifremer recommande d’« encourager les recherches sur les risques éventuels pour la santé humaine, la santé animale et l’environnement liés à l’édition de précision des génomes végétaux et, le cas échéant, sur les moyens de les pallier » [5].

L’Académie des technologies, quant à elle, définit des critères distinguant, selon les cas, trois régimes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, allant d’une dispense d’évaluation jusqu’à une évaluation de type OGM [6].

L’Académie d’agriculture recommande « une évaluation systématique et interdisciplinaire des risques environnementaux » répondant à la nécessité de « maintenir le principe d’une autorisation préalable à toute dissémination après réécriture du génome […] » et d’« instaurer un suivi systématique avec des autorisations limitées dans le temps et révocables au vu des informations apportées par ce suivi » [2].

Dans sa proposition de réglementation, rappelons que l’Union européenne privilégie, pour les végétaux « qui pourraient également apparaître naturellement ou être produits par obtention conventionnelle » de les traiter « de la même manière que les végétaux conventionnels » [7]. Pour les autres, « l’évaluation des risques serait adaptée pour tenir compte de la diversité de leurs profils de risque et pour répondre aux difficultés liées à la détection ».

Science et pseudo-sciences

Références
1 | « Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome : académies et scientifiques donnent leurs avis », Communiqué de l’Afis, 22 janvier 2024.
2 | Académie d’agriculture de France, « Réécriture du génome, éthique et confiance », Avis, 8 janvier 2020.
3 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Risques et enjeux socioéconomiques liés aux plantes NTG », Avis de l’Anses et Rapport d’expertise collective, janvier 2024, 324p. 
4 | Anses, « Nouvelles techniques génomiques : l’Anses appelle à une réglementation adaptée », Communiqué, 6 mars 2024. Sur anses.fr
5 | Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer, « Avis n° 11 sur les nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes », mars 2018.
6 | Académie des technologies, « Avis sur les nouvelles technologies génomiques appliquées aux plantes », 15 février 2023.
7 | Commission européenne, « Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 », 5 juillet 2023.

Critères d’équivalence entre végétaux NTG et conventionnels
Selon le projet de réglementation européenne (5 juillet 2023)

Cette description, très technique, stipule qu’un végétal issu des nouvelles techniques d’édition du génome sera considéré comme équivalent à un végétal conventionnel, donc non soumis à la réglementation spécifique des OGM, s’il diffère en un nombre limité de séquences d’ADN de la plante dont il est issu. Le texte du projet de réglementation est le suivant :

« Un végétal NTG est considéré comme équivalent à un végétal conventionnel lorsqu’il diffère du végétal récepteur/parental d’un maximum de 20 modifications génétiques des types visés aux points 1 à 5, dans toute séquence d’ADN partageant une similarité de séquence avec le site ciblé qui peut être prédite au moyen d’outils bio-informatiques :

  1. substitution ou insertion de 20 nucléotides au maximum ;
  2. délétion de tout nombre de nucléotides ;
  3. à condition que la modification génétique n’interrompe pas un gène endogène :
     a) insertion ciblée d’une séquence d’ADN contiguë existant dans le pool génétique de l’obtenteur ;
     b) substitution ciblée d’une séquence d’ADN contiguë existant dans le pool génétique de l’obtenteur à une séquence d’ADN endogène ;
  4. inversion ciblée d’une séquence de tout nombre de nucléotides ;
  5. toute autre modification ciblée de toute taille, à condition que les séquences d’ADN qui en résultent soient déjà présentes [éventuellement avec les modifications acceptées conformément aux points (1) ou (2) dans une espèce du pool génétique des obtenteurs. »

Source : Proposition de règlement du Parlement européen, 5 juillet 2023. Sur eur-lex.europa.eu

Publié dans le n° 349 de la revue


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L'auteur

Christophe Robaglia

Professeur de biologie et chercheur à l’Institut de biosciences et de biotechnologies de l’université Aix-Marseille.

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