BIAIS COGNITIF EXPRESS
Peut-on se passer des stéréotypes ?
Publié en ligne le 12 mars 2025 - Esprit critique et zététique -

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Le processus de catégorisation mentale, qui consiste à regrouper ce qui se ressemble, permet de faire des inférences sur le monde en appliquant des règles globales à des situations similaires. Chaque catégorie créée en mémoire peut ainsi être associée à différentes régularités qui s’appliquent à l’ensemble des éléments de la catégorie, avec d’éventuelles exceptions. Ainsi, la plupart des individus auront en tête une catégorie « oiseaux », avec des caractéristiques telles que le fait de pouvoir voler, d’avoir un bec, de posséder deux pattes, même si certains ont plus de mal que d’autres à voler (voire ne volent pas, comme l’autruche ou le manchot). Ces règles se construisent avec l’apprentissage, de manière explicite ou non. Elles permettent ensuite d’affecter un nouvel objet (ou un individu) à une catégorie selon qu’il respecte l’essentiel des règles de cette catégorie, ou d’induire certaines caractéristiques au regard de leur catégorie.
Au sein d’une même catégorie, certains éléments vont alors suivre un plus grand nombre de régularités, les rendant plus représentatifs du groupe. Ils peuvent être alors considérés comme des prototypes de la catégorie. Sans correspondre à un élément particulier, un tel prototype peut aussi être un simple portrait-robot qui regrouperait l’ensemble des régularités de la catégorie. Autour de ce(s) prototype(s), les autres éléments disposent d’un degré de similarité qui détermine leur degré d’appartenance au groupe.

Cela s’applique également aux catégorisations sociales, pour les groupes auxquels on appartient (famille, village, pays, club sportif, groupe religieux, groupe politique...), comme pour ceux dont on ne fait pas partie. Dans le second cas, soit par méconnaissance du groupe externe, soit par choix délibéré, l’individu que l’on estime être prototypique du groupe n’est pas forcément celui que les membres du groupe considèrent comme le plus représentatif. C’est par exemple le cas de la représentation d’une personne d’un autre pays qui ne sera pas forcément perçue comme représentative par les citoyens de ce pays.
La catégorisation des individus en groupes sociaux, comme la catégorisation d’objets ou de concepts, peut reposer sur des règles subjectives, arbitraires, peu fondées ou floues. Cela peut être le cas notamment lorsqu’on déduit une causalité d’une simple corrélation et que l’on regroupe ainsi dans une même catégorie des individus parce qu’ils semblent présenter une même caractéristique. Par exemple, quand on habite en Haute-Savoie, on est proche des sommets alpins, mais les habitants de Haute-Savoie ne sont pas nécessairement tous de bons skieurs.
Ce sont ces règles peu fiables ou naïves qui définissent les stéréotypes relatifs à des groupes d’individus. Ces derniers sont le fruit du processus « naturel » de catégorisation. Ils sont en grande partie inconscients et influencent nos comportements ; ils sont une conséquence inévitable de l’organisation des catégories mentales autour de prototypes (voir l’expérience en ligne).
Les stéréotypes sont d’autant plus forts qu’ils sont renforcés par un biais d’accentuation des différences entre les groupes qui pousse chacun à renforcer la cohérence de ceux auxquels il appartient et leur identité contre d’éventuels groupes différents. Ce biais d’accentuation peut tendre à ancrer des règles d’identification de la catégorie, même si elles ne sont pas valides.
Un autre biais est celui de disponibilité en mémoire. Le prototype du groupe social, construit potentiellement sur des règles non vérifiées, est généralement partagé par les membres du groupe ; il est donc, par processus de reconstruction mnésique, consolidé comme élément clé de la catégorie, renforçant le stéréotype.
Les stéréotypes influencent nos jugements, ce qui les rend extrêmement insidieux. Les actions pédagogiques de prévention centrées sur la déconstruction des stéréotypes sont utiles. Elles présentent néanmoins l’inconvénient de réactiver le stéréotype en mémoire, renforçant le biais de disponibilité. Une approche complémentaire consiste à faire prendre conscience de l’influence automatique des stéréotypes de façon à corriger les raisonnements hâtifs lorsqu’ils surviennent. L’être humain n’est donc pas totalement désarmé face à la puissance d’influence de ses propres stéréotypes, mais il s’agit d’un combat de chaque instant, car la catégorisation intervient dans chaque activité mentale. De la « prototypie » sur laquelle repose chaque catégorisation aux préjugés aux conséquences délétères (discrimination, sexisme, racisme...), il n’y a qu’un petit pas, franchi inéluctablement de temps à autre, qu’il s’agit de brider autant qu’il est possible.
Publié dans le n° 350 de la revue
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L'auteur
À seconde vue

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