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Pourquoi détruit-on la planète ?

Publié en ligne le 18 novembre 2022
Pourquoi détruit-on la planète ?
Le cerveau d’Homo sapiens est-il capable de préserver la Terre ?
Thierry Ripoll
Éditions Le Bord de l’eau, 2022, 263 pages, 20 €

Dans cet ouvrage, Thierry Ripoll, sur la base de recherches scientifiquement étayées ou d’études comportementales documentées, nous amène à réfléchir sur les leviers qui inexorablement conduisent l’Homme à sous-estimer ses impacts sur l’environnement, à remettre à plus tard les actions urgentes et à attendre de l’avenir, de la science et de technologies futures des solutions à la crise environnementale et climatique en cours.

Dès le titre, avec ces deux questions provocatrices, l’auteur nous interpelle tous ! Son livre vise à répertorier et analyser les leviers psychosociologiques qui engagent notre futur vers des actions aboutissant à la destruction de l’environnement et à notre propre destruction. T. Ripoll est professeur de psychologie cognitive et sciences cognitives, doublé d’un écologiste de terrain qui étudie les cétacés in situ. Ses analyses du comportement de l’Homme montrent qu’il existe des obstacles psychologiques, neuronaux, anthropologiques, sociologiques, économiques et politiques qui limitent voire empêchent de se rendre compte de la situation dans un premier temps et dans un second temps de résoudre la crise environnementale que la « pullulation » des hommes sur Terre a engendrée.

Le principal de ces obstacles, selon l’auteur, est la consommation effrénée qui découle d’un souhait légitime : la recherche du bonheur. Les recherches de psychologues, de neuroscientifiques, d’économistes, d’anthropologues sur le bonheur se sont multipliées au cours des cinquante dernières années. En 1974, les travaux de l’économiste américain R. Easterlin 1 ont montré qu’il existait une relation faible mais réelle entre richesse et bonheur : les pays les plus « heureux » sont aussi ceux dont le PIB est le plus élevé 2, 3. En revanche, l’accroissement de ce dernier n’entraîne pas une amélioration de l’indice de bonheur. Cet apparent paradoxe peut s’expliquer pour trois raisons : en premier lieu, le PIB (donnée objective) peut s’accroître à l’infini alors que l’indice de bonheur (propriété psychologique) est borné entre 0 et 10 4. Le second facteur est que l’impact du niveau de richesse est à relativiser en fonction de son voisinage ; cette relativité se traduit par une compétition intraspécifique et effrénée à tous les échelons de notre société. Enfin la troisième explication du paradoxe est d’ordre psychophysique : il s’agit de l’habituation qui conduit à ce qu’un événement agréable mène à un niveau de satisfaction éphémère qui s’estompe rapidement dans le temps.

Selon l’auteur, cette recherche de bonheur au travers de la possession de biens se traduit donc par un consumérisme insatiable, une volonté permanente de croissance et finalement une surexploitation des ressources naturelles qui constituent le bien commun de l’humanité.

Quelles sont les origines de ce processus destructeur ? D’après T. Ripoll, cette évolution trouve son origine dès le Néolithique lorsque les sociétés humaines ont basculé du statut de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs-éleveurs. Cette transition a conduit l’Homme à stocker des denrées alimentaires à la base de la création de richesse. Dès lors, un engrenage destructeur à terme pour l’humanité s’est engagé, qui vise à accumuler toujours plus dans une logique de compétition et source d’inégalité se traduisant par des comportements agressifs. T. Ripoll montre ainsi dans son ouvrage que dès lors que les besoins de base (nourriture, logement, santé…) sont satisfaits, la consommation, si elle procure des satisfactions éphémères, ne conduit pas à un accroissement durable du bonheur. Ce constat est étayé par des études sur les principaux contributeurs au bonheur (autonomie, capital social, niveau de démocratie, justice sociale…). Ces éléments ne sont liés ni à une valeur marchande ni à une action de consommation 5. Il ressort que cette frénésie consommatrice n’apporte aucune satisfaction personnelle. En revanche, elle conduit à une compétition entre les individus qui a pour conséquence une destruction des ressources naturelles, énergie, eau, biodiversité… Selon T. Ripoll, cette logique conduit l’humanité à se comporter comme une espèce invasive qui n’arrive pas à admettre la finitude de la planète. Bien que l’Homme fût déjà un redoutable prédateur, la société des chasseurs-cueilleurs se caractérisait par une population assez stable et relativement égalitaire. L’avènement du Néolithique il y a 10 000 ans n’aurait pas amélioré nos conditions de vie et constitue le point de départ d’une domination sans partage de l’Homme sur la planète.

La question se pose de savoir si ces déterminismes psycho-sociologiques sont liés à l’évolution de l’espèce humaine et sont dès lors inéluctables, ou si au contraire un changement radical de mode de pensée et de vie conduirait à prendre le contrepied de cette attitude humaine millénaire. La première hypothèse conduit à un fatalisme dont on peut imaginer l’issue. Dans la seconde hypothèse, la proposition de l’auteur vise à évaluer les ressources disponibles sur la planète et les diviser par le nombre d’habitants afin de connaître les quantités « allouées » à chacun pour vivre sans remettre en cause la survie des autres. De ce calcul simple quoiqu’un peu simpliste, l’auteur en déduit un compte individuel d’impact écologique (CIIE). Celui-ci a pour objectif de limiter les inégalités d’une logique libérale issue de l’évolution humaine. En effet, il permettrait de limiter les surconsommations qui conduisent aux excès qui se font au détriment de biens communs. De fait, cette proposition se traduirait par un arrêt de la croissance débridée, conséquence du système libéral, et par une société de consommation décroissante. L’auteur rejette aussi la « fable cornucopienne » qui propose de ne pas consommer moins mais de consommer mieux sous couvert de progrès technologiques à venir. Mais comment croire que le développement des technologies peut améliorer la situation alors que c’est justement cette course aux nouvelles technologies qui nous conduit à ces excès ? D’autant que l’histoire montre que ces progrès, présentés comme plus vertueux en termes de sobriété, conduisent le plus souvent à des augmentations de consommation. Cet effet rebond, de nature psychologique, a des conséquences dévastatrices dans la mesure où toute économie énergétique liée à un progrès technologique conduit à un inévitable accroissement de consommation. Les exemples sont nombreux : informatique, ampoules basse-consommation…

T. Ripoll ne rejette cependant pas les progrès techniques mais estime que c’est « une vaine espérance d’une résolution technique pour un problème qui est avant tout d’ordre politique et psychologique ». Ce choix entre croissance et décroissance doit donc aborder sereinement mais rapidement le rôle d’un développement technologique « encadré » et simultanément d’un contrôle démographique rationnel.

Cet ouvrage est préfacé par S. Bohler, auteur du Bug humain, et postfacé par G. Bronner, auteur d’Apocalypse cognitive dont je rejoins les réserves. En présentant un avenir terrifiant, inéluctable et sidérant tant il est lié à des comportements ancestraux de l’Homme, le livre de T. Ripoll aboutit à une proposition de décroissance et conjointement à la réduction des libertés individuelles, avec le risque d’une inaction en matière de déploiement technologique dont on mesure mal les conséquences.

1 Easterlin R, “Does economic growth improve the human lot ? Some empirical evidence” ; Nations and Households in economic growth, 1974, 89:89-125.

4 « Bonheur » est ici la traduction de happiness, welfare, ou well-being qui sont fréquemment utilisés dans cette littérature. Ils font référence à une estimation globale du niveau de satisfaction que l’on a dans sa vie. L’auteur précise que la rigueur voudrait que l’on parle de sentiment subjectif de bonheur. L’indice de bonheur résulte de sondages dans les populations sur une échelle dite de Likert : de 0 (très malheureux) à 10 (totalement heureux).

5 Ushida Y, Oïchi S, “The happiness of individuals and the collective”, Japanese Psychological Research, 1974, 58:125-141.