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Les métaux, trop ou pas assez ?

Publié en ligne le 10 juillet 2025 - Environnement et biodiversité -
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Un métal, c’est à la fois un élément chimique et un matériau. C’est un corps simple, le plus souvent dur, opaque et brillant. Les atomes des métaux sont unis entre eux par des liaisons dites métalliques, constituées d’électrons libres. Ces propriétés permettent une forte conductivité thermique et électrique ainsi qu’une plasticité et une fusion à plus grande température que les autres éléments. Les métaux peuvent être associés à d’autres éléments pour former des alliages, ce qui souvent donne un produit plus dur : c’est le cas de l’électrum, alliage d’or et d’argent, du bronze, alliage de cuivre et d’étain, ou encore de l’acier, alliage de fer et de carbone.

Leur utilisation a débuté il y a 10 000 ans environ, sans doute autour de la mer Noire : on a commencé par ramasser des pépites d’or et de cuivre oxydé dans les rivières. Exceptionnellement, on trouvait aussi de petits morceaux de fer issus des météorites. Ils étaient utilisés pour leur éclat, pour en faire des bijoux ou de petits objets du quotidien, comme des hameçons. Après avoir simplement ramassé des éléments métalliques qu’ils trouvaient dans leur environnement, les Hommes ont appris à valoriser les métaux présents dans le sol, ce qui a nécessité des fours à haute température [1]. Les métaux se conservent mieux que les autres matériaux et on a pris l’habitude au XIXe siècle de nommer les périodes archéologiques par le principal métal ou alliage utilisé : âge du cuivre (débutant vers 5 000 ans avant notre ère), âge du bronze (vers 3 000 ans) et âge du fer (vers 1 000 ans). Cette succession correspond à des températures de fusion des métaux de plus en plus élevées, et donc à la mise au point de fours de plus en plus performants.

De nos jours, la production et la consommation de métaux suivent une courbe de croissance impressionnante : elles ont été multipliées par dix depuis cent ans. À ce rythme-là, on peut s’inquiéter sur leur futur… Ne risque-t-on pas de manquer de métaux dans les prochaines années ? Et, en même temps, les impacts des métaux sur notre environnement, voire sur notre santé, sont sources d’inquiétudes. N’y aurait-il alors pas trop de métaux ? N’en consommons-nous pas trop ?

Les grandes familles de métaux

Du point de vue de leur utilisation, on distingue plusieurs grandes familles de métaux. Certains peuvent apparaître dans plusieurs catégories.

  • Les métaux ferreux. Le fer est le métal le plus commun sur Terre ; dans la seule croûte terrestre, il vient juste derrière l’aluminium. Les métaux ferreux sont constitués à 90 % de fer. Allié à du carbone, du nickel et du chrome, il peut constituer de l’acier ou de la fonte. Les matériaux ferreux sont utilisés en sidérurgie et servent à la construction des infrastructures et de nombreux objets, dont les véhicules. Ils sont en général faciles à travailler, résistants, mais sensibles à la corrosion.
  • Les métaux de base. Ils tirent leur nom de leur large utilisation dans de nombreux domaines artisanaux et industriels. Les métaux de base comprennent le plomb, le zinc, le cuivre, l’étain, le nickel.
  • Les métaux précieux. Il s’agit de l’or, de l’argent, du platine. Rares, ils ont une grande valeur économique ; on les retrouve aussi dans de nombreuses utilisations industrielles où ils sont très demandés pour leurs propriétés de résistance à la corrosion ou encore de conductivité électrique.
  • Les métaux technologiques. Il s’agit du titane, du nickel, du chrome, du cobalt et de nombreux autres dont les métaux alcalins (lithium, sodium, potassium, rubidium et césium) et des métaux radioactifs (comme l’uranium et le thorium). Ils sont particulièrement utilisés dans des industries technologiques telles que l’aéronautique, les transports, l’énergie ou le biomédical. On trouve aussi ici les « terres rares », un groupe de 17 éléments métalliques ; elles ne sont pas rares dans la croûte terrestre, mais sont souvent en faibles concentrations, avec des propriétés assez semblables, ce qui complique leur séparation.

Le silicium et le tellure sont des métalloïdes, partageant certaines de leurs propriétés avec les métaux.

Leur prix de vente sur les marchés mondiaux dépend de leur concentration dans la croûte terrestre : d’une manière générale, moins ils sont abondants, plus ils coûtent cher (voir figure page suivante). Mais ces prix varient beaucoup avec l’offre et la demande.
Plus récemment, on a défini les matériaux critiques et stratégiques (souvent des métaux) qui apparaissent d’importance croissante pour nos sociétés [2]. Ils sont à la base des industries électroniques, des innovations pour la transition énergétique : lithium, nickel, cobalt et graphite pour les batteries, terres rares pour les moteurs électriques et les éoliennes, indium et gallium pour les panneaux solaires… Ces matériaux sont essentiels à la fabrication de plusieurs technologies du quotidien, dont les téléphones, les ordinateurs, les véhicules électriques, etc.

Consomme-t-on trop… ou pas assez ?

La consommation de métaux est en hausse constante. Trois exemples pour l’illustrer : à la fin du XIXe siècle, c’est la Belle Époque, le développement des chemins de fer, de la tour Eiffel, des premières automobiles, etc. La consommation mondiale de fer est alors de moins de 100 millions de tonnes par an [3]. Pour se faire une idée de ce que cela représente : la tour Eiffel pèse environ 10 000 tonnes de fer ; 100 millions de tonnes sont équivalentes à 10 000 tours. Cette consommation est aujourd’hui de 2,5 milliards de tonnes, soit trente fois plus [4]. Même constat pour le cuivre, qui passe d’une consommation de 500 000 tonnes en 1900 à 22 millions de tonnes aujourd’hui, soit quarante fois plus… [5]. Quant au lithium, le métal essentiel des batteries électriques, on en consommait un peu plus de 5 000 tonnes en 2010. C’est presque 100 000 tonnes cette année, et ce devrait être 500 000 tonnes en 2030, cent fois plus en vingt ans [6].

Les Mines de fer (étude), Elsa Jemne (1887-1974)

Cette augmentation de la consommation se fait par vagues successives. Ainsi, pour le fer, ce sont les États-Unis qui en consommaient le plus en 1960, puis, c’est le tour de la Chine quarante ans plus tard. Les disparités mondiales restent gigantesques. Ainsi, en moyenne, un Américain ou un Chinois consomme dix fois plus de métaux qu’un Indien [7]. Et il y a fort à penser que les habitants de l’Afrique voudront consommer comme les Occidentaux dans les années qui viennent, avec des infrastructures comparables, des réfrigérateurs, des autos et des climatiseurs. L’option frugale, voire la décroissance, n’est pas à l’agenda de toute la planète.

De plus, l’augmentation de la consommation n’est pas que quantitative ; elle concerne également la diversité des métaux utilisés. Leur nombre a augmenté continuellement : une dizaine au début du XXe siècle, une trentaine après la Seconde Guerre mondiale, et quasiment tous les métaux aujourd’hui. De nombreux objets techniques sont composés de plusieurs dizaines de métaux : un téléphone portable en contient ainsi plus de soixante [8]. Et ce sont ces métaux qui lui confèrent ses propriétés exceptionnelles : les terres rares indispensables aux haut-parleurs et le lithium à la batterie, le tantale au fort pouvoir condensateur qui permet de réduire le poids de l’appareil, et même l’or pour les connexions électroniques ! Alors que l’on procédait encore par tâtonnements au siècle dernier pour choisir les métaux utiles, les progrès de la thermodynamique et de la chimie permettent aujourd’hui de prévoir et de modéliser comment on peut améliorer leurs propriétés et les assembler intelligemment.

La hausse de la consommation de métaux n’est pas près de s’arrêter. La transition énergétique qui débute implique de remplacer autant que possible la consommation des combustibles fossiles par des sources non carbonées : solaire, éolien, nucléaire notamment. Et pour cela, il va falloir mobiliser de grandes quantités de métaux pour extraire l’énergie, la stocker, la transporter et l’utiliser. Parmi les métaux essentiels à cette transition, le cuivre joue un rôle particulier car il est utilisé à toutes les étapes de la chaîne : une voiture électrique contient deux fois plus de cuivre qu’une voiture à essence. On estime que le monde aura besoin de plus de quarante millions de tonnes de cuivre par an en 2050, soit le double de la consommation actuelle [9]. Pourra-t-on les trouver ?

Les grandes classes de métaux et leur prix de vente

Grandes classes de métaux selon leur abondance dans la croûte terrestre et leur prix de vente sur les marchés mondiaux en 2024 (l’échelle est logarithmique : chaque graduation correspond à une multiplication par dix de l’unité). Les prix sont au kilogramme de métal, sauf la potasse exprimée sous forme de chlorure de potassium. Le gadolinium appartient au groupe des terres rares.

Le graphique est de l’auteur, dans une version actualisée

Référence
Jébrak M, Quels métaux pour demain ? Les enjeux des ressources minérales, Dunod, 2015.

Produit-on trop ou… pas assez ?

Des métaux en abondance sur Terre, mais souvent dispersés

La Terre est pleine de métaux, et surtout son cœur à 6 350 km de profondeur : le noyau et le manteau sont composés de fer et de magnésium à très haute température ; mais ces zones sont bien trop profondes pour que l’on puisse envisager d’y accéder. Le forage le plus profond sur Terre dépasse à peine douze kilomètres. Il s’agit d’un forage commencé en 1989 sur le territoire russe dont l’objectif scientifique était d’atteindre la « discontinuité de Mohorovičić », le « moho » qui est l’interface entre la croûte et le manteau terrestres [10]. La mine la plus profonde du monde n’atteint que quatre kilomètres (une mine d’or en Afrique du Sud).

La Paix embrassant l’Abondance, Pierre Paul Rubens (1577-1640)

En surface, la croûte terrestre contient plusieurs métaux en abondance, comme l’aluminium avec plus de 8 %, le fer qui dépasse 5 % ou encore les métaux alcalins et le magnésium qui dépassent 1 %. Cependant, la plupart des métaux de base (zinc, cuivre, nickel, plomb) mais aussi certaines terres rares présentent des teneurs moyennes bien plus faibles, entre 10 et 100 grammes par tonne (ppm – ou partie par million), soit quelques millièmes de pourcent.

Leur exploitation ne sera possible que dans les « gîtes minéraux », des concentrations naturelles où leur abondance est dix à mille fois plus forte. Ces processus de concentration sont dits métallogéniques. Il y en a de toutes sortes, la Terre offrant de nombreuses occasions de concentrer les éléments. On les rencontre dans de nombreux contextes géologiques. Par exemple, la simple circulation de l’eau et du sable dans les rivières permet de concentrer les minéraux suffisamment denses, telles des pépites d’or ou d’argent, dans les plages. Certains marais salants, au-delà du sel, accumulent aussi du bore, du magnésium ou du lithium. Le volcanisme concentre le soufre, le cuivre, l’étain et l’or. Dans les phénomènes hydrothermaux, les métaux sont dissous sélectivement selon leurs propriétés chimiques dans les roches, puis concentrés dans des sources thermales. Ainsi, la source Vichy est enrichie en lithium, Châtel-Guyon en magnésium, etc. Ces sources-là ne sont pas exploitables pour extraire des minéraux. Les spectaculaires sources thermales sous-marines, toutes noires, sont enrichies en cuivre, en zinc et en fer. Elles peuvent déposer sur les fonds marins des minéraux qui deviennent exploitables sous forme d’amas dans les chaines de montagne. On est encore très loin d’avoir découvert l’ensemble des ressources de la planète, et l’origine des concentrations des métaux reste encore souvent mal connue, au cœur de l’activité de recherche dans le monde entier.

Ces phénomènes métallogéniques, bien que variés, sont rares et c’est pourquoi la distribution des gisements minéraux est très inégale, certains pays étant mieux dotés que d’autres. Cela est notamment dû à l’histoire géologique : la Terre était plus active géologiquement au Précambrien (la plus ancienne période géologique de l’histoire de notre planète, couvrant tout ce qui remonte au-delà de 572 millions d’années), de très grands gisements minéraux se forment à cette époque. Plus récemment, la ceinture de feu du Pacifique résulte de l’enfouissement de la plaque Pacifique sous les continents bordiers, ce qui forme à la fois des volcans actifs et des gisements de cuivre représentant plus de la moitié de la production mondiale.

L’exploration minière se heurte à cette rareté : il faut explorer plus de cinquante zones a priori favorables avant d’en découvrir une exploitable. C’est une activité à haut risque technique et financier.

D’une manière générale, il y a beaucoup plus de gisements à faible teneur, faiblement concentrés, que de gisements très riches à forte teneur. La distribution suit une loi mathématique appelée loi de Lasky. L’essentiel des métaux se situe dans les gisements à faible teneur et de très grandes dimensions.

Les gisements exploités de moins en moins riches

On exploite des gisements de cuivre de moins en moins riches, avec une teneur décroissante, mais de plus en plus nombreux et avec une production journalière de plus en plus forte (graphique de l’auteur, réalisé à partir des données USGS et Codelco).

Un risque d’épuisement des ressources ?
On observe effectivement que la teneur des gisements exploités est de plus en plus faible. On pourrait penser qu’à force d’exploiter les gisements, on finira par épuiser la Terre.

Mais c’est une illusion qui ne tient pas compte de la loi de Lasky. Celle-ci montre que l’abondance des gisements minéraux est inversement proportionnelle à leurs teneurs : plus la teneur d’exploitation est faible, plus il y a de gisements disponibles. Quand on a effectivement exploité les minerais à forte teneur, il devient plus difficile d’en produire, et le prix du métal monte. Ce faisant, ce nouveau prix permet alors d’exploiter des gisements à plus faible teneur, et donc des gisements bien plus nombreux [11]. C’est une question d’opportunité économique. Ainsi, les gisements peuvent s’épuiser localement, mais il y en a toujours d’autres qui prennent le relais. Des pénuries temporaires peuvent se produire, par exemple lors de la fermeture d’un gros gisement. Mais alors le marché s’ajuste : les prix montent et des gisements plus pauvres et plus gros deviennent économiquement rentables ; la production journalière augmente considérablement sur ces nouveaux gisements.

C’est pourquoi, malgré une consommation et une production croissantes, nos réserves de minerai de métal sont toujours plus abondantes [12]. Un paradoxe qui se vérifie depuis des dizaines d’années. Par exemple, les réserves de cuivre dans le monde en 1995 étaient de 310 millions de tonnes. Elles sont aujourd’hui d’un milliard de tonnes, trois fois plus [13]. Les gisements du futur seront beaucoup plus gros que ceux d’aujourd’hui bien qu’ils soient à plus basse teneur. Ce qui explique le paradoxe. Ce n’est pas un épuisement de la ressource qui va contraindre son usage, mais un prix de marché trop important qui rendra l’exploitation des minéraux économiquement impossible.

Les Casseurs de pierres, Gustave Courbet (1819-1877)

Il y a cependant un gros hic : produire à partir de minerai à plus faible teneur consomme généralement beaucoup plus d’énergie, dégrade davantage les paysages et génère bien plus de déchets qui sont presque toujours laissés sur place. Par exemple, pour produire un gramme d’or on devra exploiter, broyer et laisser presque une tonne de roche stérile, pauvre en or. La lente baisse des teneurs d’exploitation des mines pose donc des enjeux environnementaux croissants.

Cette baisse des teneurs ne sera cependant pas éternelle. Si les coûts de production deviennent prohibitifs, on met en place des solutions de substitution : les toitures qui étaient en cuivre ont été remplacées par des toitures en zinc, puis en tôle de fer ; et le bronze, un alliage d’étain et de cuivre, a été souvent remplacé par du plastique. Une technologie chasse l’autre. Comme l’indique l’aphorisme plusieurs fois relayé par le Cheik Yamani quand il était ministre du Pétrole d’Arabie saoudite : « L’âge de pierre ne s’est pas terminé parce que le monde a manqué de pierres. » Il argumentait alors pour expliquer que l’âge du pétrole ne s’arrêtera pas parce que nous manquerons de pétrole mais parce que des solutions alternatives seront, le cas échéant, trouvées [14].

Ressources et réserves


Pour toute exploitation minière industrielle, on doit définir au démarrage quelle va être la cadence de la production et la durée de vie de la mine. Cela conditionne le montant des investissements, souvent considérables. Deux notions sont alors utilisées : les ressources et les réserves.

Les ressources représentent le tonnage de roches minéralisées tel qu’évalué par les géologues. Les réserves représentent le tonnage de minerai, donc de roches minéralisées, qui peut être exploité avec profit, tel qu’évalué par les ingénieurs miniers. C’est une notion économique.

Les réserves sont toujours plus petites que les ressources. Au cours de la production, les travaux miniers permettent chaque année de découvrir de nouvelles zones et d’ajouter ainsi des réserves.

Le recyclage
Le recyclage est d’un intérêt majeur puisqu’il permet de produire, généralement à bon marché, de nouveaux produits métalliques. Théoriquement, les métaux peuvent être recyclés à l’infini : pour cela, on les fait fondre dans un four, souvent à plus de 1 000 oC, et l’état liquide obtenu permet de récupérer des métaux comme neufs [15]. Le recyclage fonctionne très bien pour certains métaux comme le fer, l’aluminium ou le plomb. Mais avant de recycler les métaux, il faut parfois attendre très longtemps. Les métaux sont souvent utilisés dans les infrastructures pérennes : un pont, un immeuble, une ligne électrique sont construits pour des dizaines, voire des centaines d’années, durée pendant laquelle on n’aura pas accès aux métaux. Par ailleurs, les métaux sont parfois piégés dans des appareils complexes très coûteux à désassembler : l’électronique par exemple. Ainsi, le recyclage des métaux ne suffit pas à remplacer la production, d’autant que la demande augmente chaque année. Il est cependant indispensable de favoriser le maximum de recyclage, pour des raisons environnementales, mais aussi parce que cela coûte généralement moins cher de recycler que d’exploiter de nouveaux minerais [16].

Selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, en 2011, moins d’un tiers des 60 métaux étudiés sont recyclés à 50 % ou plus et 34 éléments ont des taux de recyclage en fin en vie inférieurs à 1 %, ce qui signifie qu’ils ne sont pas recyclés (cité dans [17]).

Des enjeux pour aujourd’hui

Les ressources en métaux vont-elles s’épuiser ?

La réponse est claire : c’est « non », malgré tout ce que l’on peut parfois lire ou entendre dans les médias. Pouvons-nous avoir des pénuries ? La réponse est « oui », essentiellement parce que la production ne suit pas bien la consommation.

C’est ce qu’on appelle l’inélasticité du marché des ressources minérales [18] : une forte demande de métal se traduit par une augmentation des prix. Mais le temps que cette nouvelle valeur permette de découvrir et exploiter de nouveaux gisements, il peut s’écouler plusieurs années. Par exemple, en Amérique du Nord, plus de quinze ans peuvent séparer la découverte d’un gisement et l’ouverture d’une mine pour son exploitation [19]. Cela est dû à des raisons financières, techniques et administrative. Financières, car il faut trouver des investisseurs prêts à assumer le risque, le prix des métaux variant en continu. Techniques, car il faut explorer la géologie, délimiter le gisement et mettre au point les procédés d’extraction. Administratives, car toute ouverture de mine de métaux exige des dizaines, voire des centaines d’autorisations. Au point que, face à l’urgence climatique, les gouvernements, tant en Amérique qu’en Europe, essaient de simplifier les procédures [20], de réduire les consultations et les demandes d’autorisation, suscitant les inquiétudes des écologistes qui y voient un risque d’évaluations bâclées [20].

Le prix des métaux a baissé en continu à la fin du XXe siècle, grâce notamment aux gains d’efficacité des technologies et à la mondialisation. Cela a conduit les pays occidentaux à délaisser les activités d’extraction de métaux sur leur territoire, préférant exploiter les mines dans des pays moins avancés. Mais la croissance rapide de l’économie chinoise transformant plusieurs centaines de millions de paysans en citadins a provoqué une explosion de la demande. Face aux enjeux du contrôle de l’accès aux métaux, les États ont développé un « nationalisme des ressources » se manifestant par des nationalisations ou des restrictions commerciales : embargo de la Chine sur l’exportation des terres rares au Japon (2010), embargo de l’Indonésie sur celle du minerai brut de nickel en Chine (2020), et même récemment, embargo de l’Europe sur celle des minerais russes (2023) [21]. Le présent climat de guerre économique redistribue les circuits de production et de transformation des métaux. L’Europe se trouve prise au dépourvu, manquant de ressources minérales [22] : elle doit alors faire appel à son réseau de relations géopolitiques pour répondre aux nouvelles demandes métalliques de la transition énergétique : Canada, Kazakhstan, Chili, Maroc… Et elle entre alors en compétition tant avec les Russes qu’avec les Chinois.

Qu’est-ce qui rend une mine exploitable ?


Un gisement minier est une concentration minérale exploitable économiquement et acceptable socialement.

Concentration minérale
Dans un gisement, les éléments intéressants sont fortement concentrés. Ainsi, alors que la teneur moyenne de la croûte terrestre en cuivre est de 60 ppm, soit 0,06 %, aujourd’hui, un minerai de cuivre doit avoir une teneur minimale de 0,6 % pour être économiquement exploitable. Le cuivre extrait se présente sous forme de minéraux telle que la chalcopyrite qui contient également du soufre et du fer.

Exploitable économiquement
Il faut que valeur du minerai soit supérieure aux coûts de production. S’il faut dépenser plus de capital que la valeur du gisement, il est inutile de l’exploiter. Par exemple, une tonne de minerai à 0,6 % de cuivre contient 6 kg de cuivre. Au prix actuel du cuivre, cela vaut environ 50 euros. Une telle valeur est bien supérieure à ce qu’il en coûte pour ouvrir une mine en surface, exploiter le minerai, séparer le cuivre et payer des impôts. C’est donc rentable. En revanche, cela ne le serait pas s’il fallait exploiter une mine souterraine, deux fois plus chère, ou si la mine était difficilement accessible, ce qui entraînerait des coûts de transport élevés.

Acceptable socialement
Chaque nouvelle mine soulève des enjeux sociaux et environnementaux. Malgré des progrès technologiques, il s’agit d’une industrie polluante, surtout quand l’exploitation se fait en surface. Et ce sont le plus souvent les pouvoirs centraux qui récupèrent les impôts, laissant bien peu aux populations locales qui sont pourtant les plus affectées sur le long terme. De plus, les entreprises n’assurent pas toujours la bonne remise en état des sites miniers après leur exploitation. L’acceptabilité sociale est aujourd’hui un enjeu revendiqué par les compagnies minières.

Conclusion

Les métaux sont au cœur du fonctionnement de nos sociétés. Sans crainte d’épuisement des ressources, ils permettent des développements sophistiqués à l’origine de nombreux progrès technologiques ; ils doivent suivre des modes de production plus durables en respectant l’environnement et les communautés. Ainsi, la formule concernant leur exploitation pourrait être « ni trop, ni trop peu… mais mieux ! »

Références


1 | Louboutin C, « Naissance de la métallurgie », fiche pédagogique du musée des Antiquités nationales, Château de SaintGermain-en-Laye, 1988. Sur musee-archeologienationale.fr
2 | Agence internationale de l’énergie, “The role of critical minerals in clean energy transitions”, rapport, 2021. Sur iea.org
3 | Price L et al., “Sector trends and driving forces of global energy use and greenhouse gas emissions : focus in industry and buildings”, Laurence Berkeley National Laboratory, 1999. Sur scholarship.org
4 | US Geological Survey, “Mineral commodity summaries”, rapport, janvier 2024. Sur pubs.usgs.gov
5 | BRGM, « Le cuivre : revue de l’offre mondiale en 2019 », rapport, décembre 2019. Sur infoterre.brgm.fr
6 | Jébrak M, Hocquard C, Objectif lithium : réussir la transition énergétique, MultiMondes, 2021.
7 | Zhang-huang Y et al., “Proceedings of the 2016 4th International education, economics, social science, arts, sports and management engineering conference : study on copper consumption in China and abroad”, Atlantis Press, 2016, 720-5.
8 | Rohrig B, “Smartphones : smart chemistry”, American Chemical Society, avril 2015. Sur acs.org
9 | Hache E, Louvet B, Métaux, le nouvel or noir : demain la pénurie ?, Éditions du Rocher, 2023.
10 | « Peut-on atteindre le Moho ? Le défi des forages profonds », Futura Sciences, 22 décembre 2020. Sur futura-sciences.com
11 | Rötzer N, Schmidt M, “Decreasing metal ore grade : is the fear of resource depletion justified ?”, Resources, 2018, 7 :88.
12 | Jébrak M, Quels métaux pour demain ? Les enjeux des ressources minérales, Dunod, 2015.
13 | US Geological Survey, “Copper”, Mineral commodity summaries, Rapport 2024. Sur pubs.usgs.gov
14 | Yamani AZ et al., “Quote origin : the stone age did not end because the world ran out of stones, and the oil age will not end because we run out of oil”, Quote Investigator, 2018. Sur quoteinvestigator.com
15 | Roto P, « La transformation et le travail des métaux », Encyclopédie de sécurité et de santé au travail, 2004, 82. Sur ilocis.org
16 | Miquel G, « Les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals », Rapport d’office parlementaire n° 415, 1998. Sur senat.fr
17 | Menard Y, « Le recyclage des métaux en France : que fait-on aujourd’hui ? », Géosciences, 2022, 26. Sur debatpublic.fr
18 | Dedryver L, « La consommation des métaux du numérique : un secteur loin d’être dématérialisé », France stratégie, document de travail, 2020. Sur strategie.gouv.fr
19 | S&P Global, “Mine development times : the US in perspective”, rapport, 2024. Sur cdn.ihsmarkit.com
20 | Ministère de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique, « Simplification des procédures minières pour accélérer la transition énergétique et renforcer la sécurité d’approvisionnement française », communiqué de presse, 12 avril 2024. Sur presse.economie.gouv.fr
21 | European Commission, “Sanctions adopted following Russia’s military aggression against Ukraine”, 11 décembre 2024. Sur finance.ec.europa.eu
22 | Marcoux E, « Les mines métalliques d’Europe en 2016 », Mines & carrières, 2016, 251 :5-38. Sur lasim.org

Publié dans le n° 352 de la revue


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L'auteur

Michel Jébrak

Géologue et professeur émérite à l’université du Québec à Montréal (UQAM).

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