Transition énergétique, numérique, environnement, risques de guerre
Va-t-on manquer de minéraux et métaux ?
Publié en ligne le 9 avril 2025 - Environnement et biodiversité -
Ce dossier se décompose en deux parties. Dans ce numéro de Science et pseudo-sciences sont principalement abordées les questions relatives à l’amont de la chaîne : mines et carrières, ressources et réserves, aspects environnementaux et sociaux. Dans le numéro suivant seront traités différents thèmes relatifs à l’aval de la chaîne (recyclage, substitution, applications dans les domaines de la mobilité, de l’énergie ou du numérique).
Avec l’accroissement de la population mondiale, sa rapide urbanisation, l’augmentation des revenus et du niveau de vie moyens à l’échelle planétaire, la consommation des matières premières a fortement augmenté. Selon le bilan établi par le Programme des Nations unies pour l’environnement, avec 100 milliards de tonnes par an en 2024, l’extraction de ces matières premières a été multipliée par trois au cours des cinquante dernières années et continue de croître en moyenne de plus de 2,3 % par an [1]. Les matières premières incluent ici la biomasse (produits de l’agriculture et de la sylviculture, textiles, etc.), les combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole, etc.), les métaux et les minéraux non métalliques (construction, industrie chimique, engrais, céramiques, etc.). Toutefois, reflétant la transformation des économies passant d’une prépondérance de l’agriculture à un poids majeur de l’industrie, métaux et minéraux non métalliques représentent aujourd’hui près de 60 % du tonnage total extrait (55 milliards de tonnes). Le taux de croissance attendu pour les années à venir est très variable selon les ressources. Ainsi, le cobalt pourrait voir une croissance annuelle de consommation de l’ordre de 7 à 10 % [2].
Les minéraux et les métaux
L’histoire de l’humanité est intimement liée à l’usage des ressources du sous-sol de notre planète. Des sites miniers remontant à plus de 40 000 ans ont été identifiés, et cette activité a jalonné toute notre histoire, jusqu’aux enjeux géostratégiques d’aujourd’hui (voir l’article de Jérémie Melleton, Johann Tuduri et Anne-Sophie Serrand, « Ressources minérales : de quoi parle-t-on ? »).
Jusqu’où l’augmentation de cette consommation de ressources minérales va-t-elle se poursuivre ? Les débats sont vifs et anciens. Le Club de Rome, fondé en 1968 et rassemblant des scientifiques, économistes, industriels et fonctionnaires, a produit en 1972 un rapport désormais célèbre intitulé « The Limits to Growth ». Régulièrement mis à jour, ce rapport utilise un modèle mathématique pour établir des trajectoires différenciées d’« états du monde » dans les cent années à venir dans lesquelles sont mises en évidence des dynamiques d’effondrement, principalement en raison de la pollution et des ressources naturelles limitées [3]. Il a fait l’objet de nombreuses critiques et, malgré la forte croissance de la consommation observée, les progrès technologiques permettent d’exploiter de nouvelles ressources, certes de moins bonne qualité, mais dans des conditions économiques similaires. Le problème pourrait alors moins être, à court et moyen terme, celui de l’épuisement des ressources que celui, géostratégique, de l’accès à ces ressources (voir l’article de Michel Jébrak, « Les métaux, trop ou pas assez ? »).
L’évolution des usages et les enjeux géostratégiques
L’industrialisation d’un pays se caractérise par la construction d’infrastructures (industrie, logement, transports, énergie…) faisant appel principalement à des matières premières « structurelles » (par exemple, granulats, fer ou bauxite servant respectivement à la fabrication du béton, acier et aluminium) [4]. Les roches et minéraux industriels sont ainsi présents dans tous les domaines d’activité (voir l’article d’Éric Marcoux, « Roches et minéraux industriels : des matériaux de notre quotidien »).
Quand l’économie d’un pays évolue vers des technologies de pointe (numérique par exemple), d’autres matières premières sont requises. À cela s’ajoutent les exigences de la transition vers des énergies bas carbone, ce qui conduit à la consommation d’une grande quantité de métaux et ressources minérales spécifiques, avec les conséquences géopolitiques que l’on observe aujourd’hui, illustrées récemment par les enjeux autour de l’Ukraine et du Groenland mais qui concernent de très nombreux pays, conduisant parfois à des conflits armés (voir l’article d’Emmanuel Hache et Candice Roche, « Les métaux de la transition bas-carbone et numérique »).
L’accès aux ressources est donc un enjeu géostratégique majeur. L’Union européenne a identifié une liste de métaux et minéraux critiques définis comme ayant une grande importance économique et un risque élevé en termes d’approvisionnement. Ces matières premières sont en particulier indispensables dans le cadre des transitions écologique et numérique et dans des secteurs clés tels que la défense ou l’aérospatiale [5].
En 2023, 34 matières critiques ont ainsi été reconnues [6].

En France, le gouvernement a confié au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) l’identification des ces ressources critiques. Des « monographies » détaillées sont produites. Des « fiches de criticité » synthétiques leur sont associées, incluant une matrice à deux dimensions évaluant à la fois l’importance stratégique pour l’industrie française et les risques sur les approvisionnements (sur une échelle de cinq valeurs allant de « très faible » à « très fort ») [7]. En janvier 2022, le gouvernement a décidé d’initier une stratégie pour « sécuriser l’approvisionnement en métaux critiques » sur la base d’un rapport qu’il avait commandité (le « rapport Varin ») [8]. L’évaluation du potentiel minier sur le territoire est un des éléments de cette stratégie (voir l’article d’Éric Marcoux, « Les ressources françaises en métaux : un approvisionnement souverain est-il possible ? »).
Les impacts environnementaux et sociaux
La production des ressources minérales provient principalement de l’extraction dans la croûte terrestre. Le recyclage, malgré ses avantages évidents justifiant l’importance de le promouvoir, rencontre aujourd’hui des limites en termes technique, économique et politique 1.
L’extraction des ressources peut se faire dans des mines ou des carrières. Contrairement à une idée répandue, les mines ne sont pas nécessairement souterraines et les carrières ne sont pas toujours à l’air libre : la différence entre mine et carrière est d’ordre réglementaire, avec également des implications en termes de propriété ; elle porte sur la nature des ressources extraites.
Les impacts environnementaux et sociaux concentrent la plus grande partie des inquiétudes : l’image grand public est celle d’une industrie très polluante, aux conditions de travail proches de celles décrites dans le roman Germinal d’Émile Zola. De fait, l’exploitation de ressources naturelles se fait nécessairement avec des impacts environnementaux et sociaux [1].
Dans les pays développés
Dans les pays développés, l’activité minière en général a laissé des traces toujours visibles. Selon les chiffres du gouvernement français, « en novembre 2024, 11 016 sites et sols pollués (ou potentiellement pollués) appelant une action des pouvoirs publics sont recensés en France en raison de son passé industriel : les anciennes régions minières en concentrent la moitié. Ces pollutions résultent soit de rejets de polluants non maîtrisés, soit d’accidents ou de mauvais confinements » [9]. En outre, après leur fermeture, et en dépit des travaux de mise en sécurité, des mouvements résiduels de terrain peuvent se produire, affectant éventuellement les bâtiments, la voirie ainsi que les réseaux de gaz ou d’eau [10]. Avec la fermeture des mines, de nombreux opérateurs disparaissent et c’est l’État qui devient garant des dommages causés [11].

Aujourd’hui, en France comme au niveau européen, une réglementation très stricte a progressivement été mise en place et encadre tous les projets, couvrant la prospection et les études d’impact, l’exploitation et la réhabilitation des sites après fermeture, ainsi que les conditions de travail [12] (voir l’article de Jean-Luc Marchand, « Mines et carrières : quel cadre réglementaire ? »).
Un rapport académique et institutionnel (ministères et instituts de recherche) publié en 2017 décrit de façon détaillée les impacts de l’activité minière [13]. Sur le plan social et économique, il décrit des retombées positives (création d’emplois directs et indirects, retombées économiques locales, etc.) et des retombées négatives (occupation des sols et emprise géographique, nuisances sonores, etc.). Il met en avant un certain nombre de « bonnes pratiques » permettant de limiter les effets négatifs.
Dans les pays en développement
Dans les pays en développement, la situation est bien plus défavorable. Il faut tout d’abord noter que l’écrasante majorité des personnes travaillant dans les mines le fait dans le cadre de « mines artisanales et à petite échelle » [14], échappant souvent à toute réglementation et à tout contrôle, parfois victimes du crime organisé sur fond de trafic illégal de minéraux [15]. On estime que 40 millions de personnes y travaillent, contre 7 millions pour les mines industrielles (voir l’encadré « Les exploitations minières artisanales et à petite échelle »). Le travail des enfants dans le secteur minier est un véritable fléau. Il concerne plus d’un million d’enfants dans le monde, le plus souvent dans les mines artisanales et à petite échelle (voir l’extrait d’un rapport de l’Organisation internationale du travail).
Les conséquences environnementales sont lourdes : pollution des eaux, pollution des sols, déforestation et perte de biodiversité, érosion et dégradation des sols, transformation des paysages et stérilisation de foncier, bruit, poussières, etc. L’activité des grands groupes miniers est soumise à des réglementations internationales de plus en plus contraignantes, tant sur le plan environnemental que social. Si, de façon générale, de nombreux pays miniers sont signataires de ces réglementations, leur application effective est souvent insuffisante. Il est fait appel à l’engagement volontaire des acteurs industriels (voir l’article de Manoelle Lepoutre, « Les mines dans les pays en développement : aspects environnementaux »). Mais cet engagement volontaire peut-il se substituer à une réglementation contraignante et appliquée ?
Selon un rapport corédigé par le Programme des Nations unies pour le développement et publié en 2016 [16], « l’industrie extractive a l’opportunité et le potentiel nécessaire pour contribuer de façon positive à l’ensemble des 17 objectifs du développement durable » (voir encadré).
Les ressources sous-marines
Les mers et océans recouvrent 71 % de la surface du globe et les fonds marins abritent de nombreuses ressources minérales non énergétiques. On distingue les zones économiques exclusives (ZEE) appartenant à un État (200 miles du littoral, soit environ 370 kilomètres) des eaux internationales. La France possède la seconde plus importante ZEE (10,2 millions de km2 – dont 97 % outre-mer), derrière les États-Unis (11,3 millions de km2) et devant l’Australie (8,1 millions de km2) et la Russie (7,6 millions de km2). Ces fonds marins sont, à ce jour, peu connus et peu exploités en raison de leur difficulté d’accès. Mais ils suscitent un fort intérêt. L’impact environnemental, ainsi que le potentiel économique sont encore incertains. Il se pourrait que ce potentiel soit loin des espérances parfois affichées. Plusieurs pays, dont la Chine, la Russie et la France, ont obtenu des contrats d’exploration dans les eaux internationales (voir l’article d’Erwan Pelleter et Anaïs Marechal, « L’exploration des ressources minières marines »).
Un rapport corédigé par le Programme des Nations unies pour le développement, publié en 2016 [1], met en avant que « l’industrie extractive a l’opportunité et le potentiel nécessaire pour contribuer de façon positive à l’ensemble des 17 objectifs du développement durable ». Elle peut par exemple « favoriser le développement économique en offrant des opportunités d’emploi décent, de développement de l’activité, de recettes budgétaires et de liens entre les infrastructures ». Sa production est un des éléments jugés « essentiels pour les technologies, l’infrastructure, l’énergie et l’agriculture » au niveau mondial. Cependant, note le rapport, « l’exploitation minière a par le passé contribué à de nombreux problèmes que les objectifs du développement durable tentent de résoudre : dégradation de l’environnement, déplacement des populations, creusement des inégalités économiques et sociales, conflits armés, violence sexiste, fraude fiscale et corruption, risque accru pour de nombreux problèmes de santé, et violation des droits de l’Homme ». Si, au cours des dernières décennies, d’importantes avancées ont été observées, le rapport conclut que « l’industrie extractive doit passer à la vitesse supérieure en termes d’engagement, de partenariat et de dialogue avec les autres secteurs de l’industrie, le gouvernement, la société civile et les communautés locales ».
Référence
1 | Programme des Nations unies pour le développement, « Cartographie de l’exploitation minière en fonction des objectifs de développement durable », 2016. Sur undp.org
Conclusion
Le sujet est sensible et les controverses sont vives. Surtout quand il s’agit d’une activité qui est localisée ou relocalisée près de chez soi. Les roches, minéraux et métaux sont présents partout dans notre quotidien, et pour certains, sont des éléments vitaux pour nos sociétés, et stratégiques pour les transitions bas-carbone et numérique. Si tout le monde souhaite bénéficier des applications qui en découlent – et la plupart ne sont pas hostiles par principe aux projets d’infrastructure –, peu acceptent les impacts sur leur propre environnement [17].
Certains acteurs de ces controverses (voir par exemple [18]) affirment que « la possibilité de mines et forages “propres et responsables” » est une illusion et s’opposent à ce qu’ils appellent « l’extractivisme ». Selon eux, un moindre usage, des produits plus durables et un meilleur recyclage suffirait.
La plupart des rapports scientifiques et institutionnels reconnaissent que les besoins ne feront que croître à court et moyen terme. Ils ne pourront être satisfaits que, principalement, par l’activité d’extraction et de transformation. Les débats de société qui en découlent sont importants : niveau de consommation, réglementation, etc.
Par ailleurs, à court ou moyen terme, c’est moins des limites physiques ou géologiques qui s’imposent que des considérations économiques, sociales et environnementales.
Ce dossier de Science et pseudo-sciences apporte un éclairage scientifique, forcément incomplet, pour que chacun puisse se faire une opinion. Dans le prochain numéro de Science et pseudosciences, nous développerons certains thèmes esquissés ici : recyclage, utilisation des métaux et ressources minérales dans certaines industries (batteries, nucléaire, etc.).
1 | International Resource Panel, “Global critical minerals outlook”, rapport, 2024. Sur resourcepanel.org
2 | Comité pour les métaux stratégiques, « Fiche de criticité : cobalt », synthèse, janvier 2021. Sur mineralinfo.fr
3 | Site “The club of Rome”. Sur clubofrome.org
4 | Vidal O, « Ressources minérales, progrès technologique et croissance », Temporalités, 2018, 28.
5 | Journal officiel de l’Union européenne, « Règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques », 2024. Sur eur-lex.europa.eu
6 | Union européenne, “Study on the EU’s list of critical raw materials”, rapport, 2020. Sur op.europa.eu
7 | Mineral Info, « Substances critiques et stratégiques : les analyses par substance ». Sur mineralinfo.fr
8 | Ministère de l’Économie, « Le Gouvernement dévoile sa stratégie pour sécuriser l’approvisionnement en métaux critiques », 11 janvier 2022. Sur economie.gouv.fr
9 | Ministère de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique, « Les sols en France : synthèse des connaissances en 2024 », 10 février 2025. Sur statistiques.developpement-durable.gouv.fr
10 | Géorisque, « Risque minier », fiche risque. Sur georisques.gouv.fr
11 | Site de « Après-mine opérationnelle », Département prévention et sécurité minière du BRGM. Sur dpsm.brgm.fr
12 | Mineral Info, « Extraction responsable en France ». Sur mineralinfo.fr
13 | BRGM, « Exploitation minière et traitement des minerais », La mine en France, 2017, 6.
14 | Intergovernmental Forum on Mining, Minerals, Metals and Sustainable Development, « Exploitation minière artisanale et à petite échelle », 2024. Sur igfmining.org
15 | Office des Nations unies contre la drogue et le crime, « Lutter contre l’exploitation minière illégale et le trafic de métaux et de minéraux », Guide de bonnes pratiques législatives, 2023. Sur sherloc.unodc.org
16 | Centre Columbia sur l’investissement durable, « Cartographie de l’exploitation minière en fonction des objectifs de développement durable », atlas, 2016. Sur undp.org
17 | Connaissance des énergies, « Acceptabilité sociale et “NIMBY” : de quoi s’agit-il ? », 2025. Sur connaissancedesenergies.org
18 | Les Amis de la Terre France, « Creuser et forer, pour quoi faire ? Réalités et fausses vérités du renouveau extractif en France », rapport, 2016. Sur amisdelaterre.org
1 Ce sujet sera développé dans la seconde partie de notre dossier, dans le prochain numéro de Science et pseudo-sciences.
Publié dans le n° 352 de la revue
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Les auteurs
Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
Plus d'informationsSandra Rimey

Géographe, secrétaire générale Minéraux industriels-France, et administratrice à la Société géologique de France.
Plus d'informationsEnvironnement et biodiversité

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