Accueil / Notes de lecture / Tempête sur l’homéopathie

Tempête sur l’homéopathie

Publié en ligne le 19 janvier 2007
Tempête sur l’homéopathie

Docteurs Élie Arié et Roland Cash
Les Asclépiades, 2006, 222 pages, 18 €

Si les ouvrages vantant les merveilles de l’homéopathie sont légion, ceux démystifiant cette pratique sont bien plus rares. Il y a eu, en 1989, la publication de l’excellent livre de Michel Rouzé, Mieux connaître l’homéopathie, malheureusement épuisé et non réédité. Depuis, rien ou presque 1. Il convient donc de saluer la récente sortie de Tempête sur l’homéopathie des Docteurs Élie Arié et Roland Cash. Disons-le d’entrée : ce livre est à recommander vivement. D’une écriture agréable, très complet, très argumenté, il fait preuve d’une grande rigueur.

Qu’est-ce que la médecine, qu’est-ce que l’homéopathie ?

Les auteurs s’interrogent en préalable sur ce que sont la maladie, la médecine, et un médicament. Pour conclure qu’« il n’y a pas de médecines parallèles, perpendiculaires, obliques, naturelles, antinaturelles, douces, dures ou molles », mais d’un côté des pratiques médicales qui s’appuient sur des faits constatés selon des méthodes que l’on voudra rendre aussi objectives que possible, et que des théories cherchent ensuite à expliquer, et d’un autre côté, de simples pratiques s’appuyant sur des usages, des croyances et des « théories » a priori, sans aucun fait objectivement constatable. Dès lors, il n’est pas surprenant que les médicaments homéopathiques aient recherché un statut juridique dérogatoire, ne pouvant pas s’accommoder des procédures d’agrément applicables à tout médicament, fondées sur la preuve de l’efficacité (voir sur ce sujet l’article de Pierre Bienvenu dans ce numéro de Science et pseudo-sciences).

Élie Arié, cardiologue, a écrit de nombreux articles et ouvrages dont L’hypertension artérielle aujourd’hui, nominé pour le prix de la revue médicale Prescrire.
Roland Cash, normalien, médecin et économiste de la santé, est l’auteur de : Où passe l’argent de la sécurité sociale ?
Les auteurs sont chargés de cours au Conservatoire National des Arts et Métiers en économie de la santé.

Les fondements de la pratique et de la théorie homéopathiques sont alors rappelés : principe de similitude, dilutions, « dynamisation », individualisation de la démarche thérapeutique. Un état de la pratique homéopathique dans le monde révèle sans surprise que la France apparaît comme un des pays où la croyance est la plus répandue. Mais ce n’est pas le seul. Pakistan, Brésil, Argentine, Mexique connaissent un développement récent et important de cette pratique. Les auteurs font remarquer qu’il s’agit là de pays « où existe une importante population qui n’a pas accès aux médicaments “classiques” du fait de son faible pouvoir d’achat et de l’absence de systèmes d’assurance maladie efficaces ». Si, en France, il faut être médecin pour pratiquer l’homéopathie, ce n’est en général pas le cas ailleurs. Enfin, la France est un des rares pays à admettre un remboursement, même partiel, des médicaments homéopathiques.

L’effet placebo fait l’objet d’un chapitre à part entière, avec ce rappel introductif : « contrairement à une idée répandue, ce n’est pas parce qu’un symptôme est mesurable et physiquement constatable qu’il est inaccessible à une action d’ordre psychologique ». Dire qu’un médicament a un effet placebo, ce n’est pas dire qu’il n’a pas d’action, qu’il est inefficace, ou que le sujet serait faible ou perturbé. En réalité, toute action thérapeutique a une part d’effet placebo. Une grande partie des protocoles mis en œuvre pour évaluer l’efficacité d’un nouveau traitement consiste justement à mesurer la part qui ne revient pas à l’effet placebo. Ce dernier existe aussi dans la relation avec le médecin : le temps passé, l’écoute, l’empathie, la délivrance ou non d’une ordonnance… À ce propos, les auteurs soulignent une autre singularité française : l’indispensable ordonnance qui doit conclure toute consultation, faute de quoi le patient pourrait avoir l’impression de ne pas avoir été pris au sérieux. Ainsi, en France, 90 % des consultations se terminent par une prescription de médicaments (contre, par exemple, 43 % aux Pays-Bas).

Les principaux éléments de la controverse autour de l’efficacité de l’homéopathie sont analysés en détail, comme par exemple les dilutions extrêmes, au-delà du « seuil d’Avogadro », à un niveau tel que la chimie nous enseigne qu’il n’est plus possible de trouver la moindre molécule de la substance mère. Avec humour, les auteurs mettent au défi les pharmacologues d’un laboratoire homéopathique de reconnaître un de leurs médicaments, présenté sans l’étiquetage, sur la seule base de l’analyse de sa composition.

Le volet économique

Un à un, les arguments opposés par les homéopathes sont discutés : l’approbation par le grand public comme « preuve d’efficacité » ; l’explication « à venir, un jour » de l’action des produits hautement dilués ; l’impossibilité affirmée de l’évaluation par les méthodes scientifiques classiques d’une pratique individualisée ; et enfin, les prétendus nombreux essais thérapeutiques démontrant l’efficacité de l’homéopathie. Bien entendu, la pierre angulaire de la controverse reste l’efficacité constatée. À ce jour, aucune étude probante ne montre un quelconque pouvoir de l’homéopathie, au-delà du réel et très présent effet placebo. Si les auteurs sont bien entendu de fervents partisans de la « médecine basée sur les preuves », ils en soulignent néanmoins les limites actuelles et les difficultés rencontrées.

Le débat se développe « sereinement » !

Le syndicat des homéopathes (SNMHF) a également lu le livre Tempête sur l’homéopathie. Il n’a pas apprécié « l’attaque ou plutôt la charge de deux auteurs reprenant les éternels mêmes arguments éculés contre l’homéopathie ». Mais qu’avance l’organisation des homéopathes à l’encontre de ces « arguments éculés » ? Des menaces 2 : « Le SNMHF n’accepte pas des condamnations aussi calomnieuses et infondées car c’est la liberté de choix des patients qui est en jeu, et se réserve des possibilités de ripostes à l’encontre des auteurs qui, pour avoir semé le vent, pourraient récolter une tempête, qui, elle, ne sera pas homéopathique ».

Pourquoi « pas homéopathique » ? Une tempête homéopathique n’aurait-elle aucune efficacité ?

La controverse a aussi un volet économique. Face aux risques d’un déremboursement des produits homéopathiques, les laboratoires Boiron font valoir un argument, repris depuis par le ministre de la santé Philippe Douste-Blazy : les produits homéopathiques représentent une très faible part des dépenses de santé (120 millions sur 18 milliards), et le déremboursement provoquerait un report sur d’autres médicaments plus coûteux.

Faible part, certes, mais les petites rivières font les grands fleuves… Et alors, pourquoi retirer du remboursement les veinotoniques, les vasodilatateurs, par exemple, « pas moins méritants que les granules homéopathiques », et également « petites rivières » face au grand fleuve du déficit ? Élie Arié et Roland Cash suggèrent en réalité d’élargir le débat au « panier de soins », c’est-à-dire à « l’ensemble des biens et services (produits, actes médicaux, etc.) que la collectivité doit juger utile et pertinent de rembourser, en totalité ou en partie ». L’absence de décision volontariste et rationnelle fait qu’aujourd’hui ce panier des soins inclut l’homéopathie, des prescriptions à service médical jugé insuffisant ou nul, mais exclut pour l’essentiel les lunettes et les prothèses dentaires.

Quant au report sur d’autres médicaments plus coûteux, aucune étude ne vient étayer cette affirmation. Mais pour Élie Arié et Roland Cash, c’est très peu probable : on imagine mal les adeptes de l’homéopathie se tourner vers des anti-inflammatoires, des antibiotiques ou des antidépresseurs en lieu et place des granules hahnemanniens. Et de pronostiquer que les passionnés continueront tout simplement d’avoir recours aux petits granules… sans être remboursés, sans modification de l’efficacité perçue. Le remboursement n’a en réalité aucune action thérapeutique en soi. Que l’on songe à certaines pilules contraceptives, au Viagra®, à la « pilule du lendemain », au Maalox®, à la chirurgie esthétique, aux consultations de diététique, de psychologie. Efficacité et utilisation ou fréquentation ne semblent pas en souffrir.

Par contre, le maintien du remboursement risque de jeter le doute sur une politique de santé publique dont un des volets affichés est de s’appuyer sur le « service médical rendu ». Mais, « on ne peut rien faire contre une profession dont chaque membre voit trente électeurs par jour » rappellent les auteurs en citant Konrad Adenauer.

Les dérives

Beaucoup plus grave est l’évocation de certains scandales liés à l’homéopathie. Le risque d’une non-prise en charge adaptée de maladies graves est écartée en France car « nous ne pouvons penser que des médecins puissent commettre de telles erreurs de jugement ». Si nous avons dans Science et pseudo-sciences relevé quelques cas dramatiques liés à un aveuglement homéopathique (parfois dans le cadre de pratiques sectaires), il faut reconnaître que le statut de médecin, préalable à la pratique homéopathique en France, atténue ce risque. Par contre, les auteurs sont bien moins compréhensifs, et à juste titre, devant la promotion des traitements homéopathiques dans les pays du tiers-monde. Ils dénoncent, comme nous l’avions fait nous-mêmes (SPS n° 264, octobre 2004) l’action d’Homéopathes sans frontières : « il ne s’agit plus ici de traitements de petits bobos, mais de questions de vie ou de mort. Les enfants des pays sous-développés meurent essentiellement de carences alimentaires, de paludisme, de diarrhées et de maladies virales telles que la rougeole (deuxième cause de mortalité infantile évitable dans le monde) ou du SIDA. Ils ont besoin d’apports alimentaires, d’anti-paludéens, d’antibiotiques et d’antiseptiques intestinaux, d’eau potable et de réhydratation, de vaccins antirougeole et de trithérapies anti-SIDA. À leur place, beaucoup d’entre eux se verront distribuer, en toute bonne foi, des produits homéopathiques totalement inefficaces, seront considérés comme ayant été “soignés”, et en mourront… mais loin des caméras de télévision ». Au nom de quoi les plus pauvres devraient-ils se passer de vrais médicaments 3 ?

Mais pourquoi croit-on en l’homéopathie ? Il n’existe pas de réponse simple et définitive à cette question. On retrouve la dénonciation d’une prétendue « science officielle », figée et réfractaire à toute nouveauté venant chambouler les théories établies, le mythe du génie solitaire incompris de ses pairs, etc. Mais également les insuffisances et les limites actuelles (et bien réelles) de la médecine et de la pharmacie. Pour autant, ces dernières ne justifient en rien de se tourner vers « le mythe radical [plutôt] que la réalité imparfaite ».

« Au médecin, la médecine scientifique et objective fondée sur des preuves, à la charge de la collectivité ; au gourou-guérisseur-homéopathe, les rituels traditionnels et irrationnels et les diverses croyances à la charge financière de leurs clients, charge à laquelle ceux qui ne partagent pas ces croyances n’ont pas à contribuer : le principe de laïcité devrait aussi s’appliquer à la sécurité sociale ! » Toujours avec Élie Arié et Roland Cash, « rêvons à une médecine inspirée davantage par la Raison et l’Esprit des Lumières que par les lois du marché, les croyances séculaires et l’électoralisme à la petite semaine ».

1 Signalons cependant le livre de notre collaborateur Jean Brissonnet, Les pseudo-médecines (book-e-book.com) qui consacre un chapitre entier à l’homéopathie.

3 Les Laboratoires Boiron, premier producteur mondial de médicaments homéopathiques emboîtent le pas d’HSF. Voir la brève d’Agnès Lenoire, « L’ambition de monsieur Boiron » dans la rubrique « Petites nouvelles, gourous, voyants... » de ce numéro de SPS.

Publié dans le n° 274 de la revue


Partager cet article


Auteur de la note

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences

Plus d'informations