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Terra incognita

Publié en ligne le 6 février 2023
Terra incognita
Une histoire de l’ignorance
Alain Corbin
Albin Michel, 2020, 288 pages, 21,90 €

Le livre de l’historien Alain Corbin se propose d’exposer le processus de réduction des ignorances en matière scientifique depuis le milieu du dix-huitième siècle (marqué par le catastrophique tremblement de terre de Lisbonne) jusqu’à la fin du dix-neuvième. Le domaine d’étude choisi concerne la Terre, sa géographie, sa composition et les phénomènes qui l’animent (météorologie, désastres, etc.). Le propos s’attache non seulement à l’apparition et à l’évolution des théories et connaissances, mais aussi à la diffusion de ces connaissances au sein de la population. Le livre présente une structure chronologique en trois parties, subdivisées en autant de chapitres que de sujets d’ignorance, de connaissances et d’interrogations.

Au siècle des Lumières, l’ignorance sur les fonds marins, l’intérieur de la Terre, son passé, les phénomènes météorologiques et d’autres aspects encore de notre planète est presque totale au sein de l’ensemble de la population, même chez les plus savants et les plus érudits. Cependant, la soif grandissante de découvertes et de savoir conduit certains à explorer le monde et consigner leurs observations. De plus, quelques avancées techniques marquantes, sans donner accès à la compréhension des phénomènes observés, posent les premiers jalons d’une progression : l’invention du paratonnerre dompte les dangers de la foudre, celle du voyage en ballon donne accès à des altitudes jusque-là décrites comme le siège des dieux.

C’est pendant la première moitié du dix-neuvième siècle que l’ignorance commence réellement à reculer, sous les coups d’une persistante soif de savoir à laquelle on consacre des moyens accrus. La connaissance du monde effectue quelques percées comme la découverte des rivages de l’Antarctique, la classification des nuages, ou bien la mesure de la température des profondeurs marines. Par ailleurs, le romantisme triomphant – roman, peinture, poésie – se nourrit tout aussi bien des reculs que de la persistance de l’ignorance ; les artistes y donnent des phénomènes naturels et des régions inconnues du globe une vision fascinante, mystérieuse ou terrifiante. Ainsi, la soif de savoir ne se cantonne pas à quelques cercles de savants et d’explorateurs mais gagne une large part de la population.

La seconde moitié du dix-neuvième siècle voit le développement de la vulgarisation via celui, considérable, de la presse et l’apparition de réseaux de bibliothèques populaires. Ainsi, la population commence à avoir accès aux nouvelles connaissances. Mais prend alors aussi fin un certain universalisme de l’ignorance, remplacé par des disparités grandissantes de culture scientifique et technique. Le « feuilletage des ignorances » ainsi constitué ne cessera désormais de voir ses strates se multiplier et s’épaissir.

Ce livre constitue une intéressante introduction au développement des connaissances scientifiques au cours des temps modernes. On regrettera peut-être le trop grand saupoudrage des thématiques, qui donne du sujet une vision assez superficielle, mais aussi le fait que le livre n’évoque que la France et quelques autres pays occidentaux : le reste du monde est totalement absent.