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Un « boulanger citoyen » ferait-il du meilleur pain ?

Publié en ligne le 9 avril 2013 - Science et décision -

Existerait-il une « science citoyenne » ? Le concept est à la mode. Une « fondation science citoyenne », où l’on retrouve des chercheurs tels que Jacques Testart et Christian Vélot au côté de la Confédération Paysanne ou de la philosophe Isabelle Stengers, se fixe pour objectif « la réappropriation citoyenne et démocratique de la science afin de la mettre au service du bien commun ». Être « chercheur citoyen 1 » serait un « plus » que tout scientifique responsable devrait acquérir. Pourtant, ce concept, non seulement ne coule pas de source, mais est largement porteur d’une idéologie anti-scientifique.

Tout d’abord, il faudrait s’entendre sur ce qu’est « le bien commun » auquel chacun se doit de contribuer, ainsi que la « responsabilité » dont tout chercheur devrait faire preuve. Pour Jacques Testart, l’un des promoteurs de ce concept, l’urgence absolue, c’est la décroissance. Pour d’autres, la priorité, c’est de s’opposer à l’utilisation des cellules souches, pour d’autres encore, c’est refuser toute manipulation génétique au nom d’une « humilité devant la nature ».

En supposant cependant qu’une telle définition consensuelle existe (ce qui n’est manifestement pas le cas), en quoi un chercheur partageant cette vision sociale produirait-il de la meilleure science ? Un chercheur xénophobe, raciste, partisan d’un régime dictatorial, par exemple, serait-il condamné à ne produire que de la mauvaise science ? William Shockley, prix Nobel de physique en 1956 pour l’invention du transistor, une des découvertes majeures du 20 e siècle, s’est également rendu célèbre par ses conceptions sur les inégalités intellectuelles entre ethnies, sur l’infériorité intrinsèque de l’intelligence des Américains d’origine africaine et sur la nécessité d’une amélioration de l’humanité par eugénisme. Rien de très « citoyen ». Pourtant, ses découvertes scientifiques sont présentes dans tous nos appareils électroniques.

Un « boulanger citoyen » ferait-il par essence du meilleur pain qu’un boulanger raciste et xénophobe ? À l’évidence, non. Par contre, en tant que consommateur, on peut préférer, ou non, acheter sa baguette chez le premier. Pour la science, il en va différemment. Et justement, les promoteurs de cette « science citoyenne » l’oublient et en arrivent à promouvoir de la mauvaise science, ou de la science invalidée, simplement parce qu’elle va dans le sens de leur propre « vision citoyenne » du monde. Les précédents historiques sont nombreux, et malheureusement, parfois de sinistre mémoire, que ce soit la biologie de Lyssenko, « science prolétarienne » de l’hérédité des caractères acquis, ou la « science eugéniste », justification de nombreuses épurations ethniques dans l’histoire.

C’est dans ce contexte que le CNRS annonce, de façon surprenante, la création en son sein d’une « mission "sciences citoyennes" », confiée à Marc Lipinski, Directeur de Recherche au CNRS et conseiller régional Europe-Écologie-Les-Verts. Ce dernier exprime dans un entretien 2 son souhait de « favoriser le dialogue et le rapprochement entre la recherche et les citoyens, essentiellement représentés et organisés dans des associations ». On suppose que c’est son engagement politique qui l’a qualifié pour sa nomination (et son implication militante dans les associations dont il affirme qu’elles « représentent les citoyens »), plutôt que sa compétence scientifique (biologie). Le CNRS est-il bien dans son rôle en faisant ainsi entrer l’idéologie dans les choix scientifiques ? (voir communiqué de l’AFIS 3).

Reste, bien entendu, que le chercheur, le scientifique, tout comme le boulanger, est un citoyen. À ce titre, il peut s’engager, s’il le souhaite. Mais ne mélangeons pas la science et l’idéologie, la meilleure manière de faire du pain et les opinions du boulanger. La science citoyenne n’a pas plus de validité que la science prolétarienne, la science bourgeoise, l’écologie politique, la chimie citoyenne, la biologie bouddhiste ou l’astronomie humaniste.

1 Citoyen est à considérer ici comme un qualificatif signifiant « au comportement citoyen ». Dans le Dictionnaire culturel en langue française, Alain Rey fixe à 1995, l’usage du terme citoyen comme adjectif en alternative de l’adjectif consacré qui est civique. Cet emploi tend à insister sur la connotation morale, républicaine et partisane. Ainsi, une attitude civique consisterait à remplir ses devoirs de citoyen, tandis qu’une « démarche citoyenne » (sic) afficherait une volonté d’intégrer dans ses actes des considérations éthiques et des finalités ou des solidarités sociales plus affirmées (Wikipédia).

Publié dans le n° 304 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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