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Voir sous la forêt : l’apport du lidar à la recherche archéologique en Amazonie

Publié en ligne le 13 août 2025 - Technologie -
Rubrique coordonnée par Kévin Moris

Au fil du temps, la déforestation menée en Amazonie a révélé la présence, en de nombreux endroits, de traces archéologiques précédemment cachées par la couverture végétale. Ces dernières années, la technique du lidar (light detection and ranging), également utilisée dans d’autres régions tropicales du monde, a permis de systématiser la recherche de tels restes à des échelles spatiales précédemment inaccessibles.

Le lidar opère selon un principe similaire à celui du radar et du sonar pour mesurer la distance à une cible : au lieu d’utiliser des micro-ondes (radar) ou des ondes acoustiques (sonar), il émet des impulsions laser dans le domaine infrarouge (inoffensives pour le monde vivant) et mesure pour chacune son temps et son angle de retour après qu’elle a rencontré un objet. Une fois que tous les signaux reçus sur une scène donnée ont été traités en tenant compte de la position et de l’orientation du scanner, qui sont enregistrées en continu, un nuage de points 3D géolocalisés est obtenu, représentant l’ensemble des cibles rencontrées (voir figure). Un lidar aéroporté (installé sur avion, hélicoptère, ULM ou drone) survolant une forêt peut ainsi enregistrer de très nombreuses informations sur la répartition spatiale des éléments de végétation – feuilles, branches, troncs – et sur la topographie de la surface du sol sous-jacent. C’est pourquoi le lidar est de plus en plus utilisé en foresterie (détermination de l’architecture de la canopée, de sa biomasse, de sa biodiversité végétale, etc.), mais aussi en archéologie car il permet, en s’affranchissant des structures végétales, de « voir » des vestiges indétectables par les techniques de télédétection plus classiques, notamment en zone forestière.

Coupe verticale d’un nuage de points 3D acquis par lidar, montrant une portion de la ripisylve (végétation en bord de cours d’eau) du Ciron, en Gironde (mesures du 3 octobre 2019, avec une densité moyenne de 68 points/m² et une précision altimétrique et planimétrique de 5 cm). UMR Tetis, Inrae.

Cette révolution dans la documentation de sites archéologiques a conduit plusieurs équipes à cartographier, dans différents pays du bassin amazonien, des zones de plusieurs centaines de km² à une résolution décimétrique. A ainsi été révélée sur de nombreuses zones l’existence, sous la canopée, de « paysages anthropiques élaborés » d’origine préhispanique (s’avérant pour certains âgés de 2 000 à 3 000 ans) [1], montrant une grande diversité de formes : assemblages de structures urbaines et agricoles, centres urbains constitués pour certains de groupes de « plateformes rectangulaires en terre » et de monticules de différentes tailles, connectés par des réseaux routiers ; enclos entourés de murs, collines arasées, fossés, terrasses, champs drainés, canaux et réservoirs. L’ensemble de ces éléments montre une remarquable cohérence spatiale et certains sites de peuplement mis en évidence ont pu être qualifiés de « monumentaux » [2].

Ces découvertes remettent en cause deux visions traditionnelles de la forêt amazonienne. D’abord, elles montrent la présence ancienne, dans la région, de peuples ayant eu la capacité de domestiquer le paysage, de créer des centres urbains, de pratiquer l’agriculture et d’établir des réseaux de communication à des échelles régionales jusqu’alors insoupçonnées. De fait, on ne peut plus la considérer comme la « forêt vierge » habituellement dépeinte, qui serait l’une des dernières forêts primaires du globe [3] ; mais plutôt comme une forêt « de reconquête » [4], qui s’est naturellement régénérée après l’abandon de sites « ouverts, aménagés, habités, irrigués et exploités ».

L’utilisation du lidar confirme ainsi « l’exceptionnel potentiel archéologique de l’Amazonie » [1] et promet de futures découvertes de grand intérêt sur les civilisations préhispaniques, notamment dans les régions de faible accessibilité et de dense végétation.

Références

1 | Rostain S et al., “Two thousand years of garden urbanism in the Upper Amazon”, Science, 2024, 383 :183-189.
2 | Prümers H et al., “Lidar reveals pre-Hispanic low-density urbanism in the Bolivian Amazon”, Nature, 2022, 606 :325-328.
3 | Rostain S, La Forêt vierge d’Amazonie n’existe pas, Le Pommier, 2021.
( Bonnes feuilles : « La forêt vierge d’Amazonie n’existe pas » — The Conversation )
4 | Chouquer G, « Le renversement des termes de l’histoire agraire, en Amérique latine », Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, 2023, fiche n° 13.06.Q01.

Publié dans le n° 352 de la revue


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L'auteur

Yves Brunet

Yves Brunet est directeur de recherche à l’Inrae (UMR Ispa, Bordeaux) et travaille notamment sur la dispersion (…)

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