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Technosolutionnisme ou sobriété : un faux dilemme

Publié en ligne le 9 octobre 2024 - Technologie -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°350 (octobre 2024)
Technosolutionnisme ou sobriété : un faux dilemme

Évoquer les possibles remèdes aux grands défis auxquels nos sociétés sont confrontées (changement climatique, énergie, biodiversité, alimentation…) suscite souvent de vives controverses. Un terme souvent mal défini a fait son apparition : « technosolutionnisme ». Employé dans sa version la plus extrême, il désigne la position de ceux pour qui il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter ni de changer nos comportements : des solutions techniques seront mises au point qui résoudront tous nos problèmes. L’essayiste Evgeny Morozov, qui a théorisé ce concept en 2014 dans son ouvrage Pour tout résoudre, cliquez ici ! (Éditions Fyp), vise en particulier quelques grands entrepreneurs de la « tech » américaine qui « veulent nous faire croire que grâce à l’Internet et aux nouvelles technologies, tous les aspects de notre vie seront améliorés et la plupart des problèmes du monde disparaîtront » (4e de couverture). Il suffirait donc de s’atteler au développement de ces solutions.

Ceux qui se revendiquent explicitement de ce technosolutionnisme extrême semblent plutôt rares. Mais, par extension, ce terme est aussi utilisé pour dénigrer l’idée que les progrès techniques peuvent contribuer à résoudre les défis de l’humanité. Ainsi, considérer que le nucléaire contribue à limiter les émissions carbone de la production électrique, affirmer que les nouvelles techniques génomiques d’amélioration des plantes sont des atouts pour une agriculture durable capable de répondre aux besoins de la population mondiale, ou encore suggérer l’utilité d’explorer de nouvelles voies comme la capture et le stockage du dioxyde de carbone relèverait d’un technosolutionnisme irresponsable.

Pour l’ancien député Cédric Villani [1], le technosolutionnisme doit être combattu et « une critique de la technologie est indispensable ». Nous serions victimes d’une « redoutable intoxication collective » aux technologies, drogue dont il s’agirait de se sevrer en ne considérant que « les solutions actuellement disponibles ». Cela implique de « changer nos habitudes » et « bouleverser des intérêts établis ». Certains, dans la même logique [2], estiment que le technosolutionnisme, « en occultant les causes, […] dépolitise le débat ». Tous y opposent une politique fondée sur des changements de comportements individuels et collectifs (aussi appelée « sobriété »).

Mais peut-on vraiment opposer l’un à l’autre ? La récente crise sanitaire que nous avons traversée illustre à sa manière qu’inciter aux changements de comportements et favoriser les innovations technologiques sont deux dimensions complémentaires des politiques publiques. Vaccins, confinements, gestes barrière, masques, réorganisation sociale en ont été les ingrédients.

Il est par ailleurs intéressant de constater que les alternatives fréquemment opposées aux « technosolutions » requièrent souvent des développements techniques et industriels majeurs. Le 100 % renouvelable, donc sans l’énergie nucléaire réputée « technosolutionniste », suppose la mise au point de solutions de stockage d’électricité qui ne sont pas disponibles aujourd’hui. Si les moteurs électriques commencent à apparaître comme des alternatives crédibles aux moteurs thermiques pour le transport routier, c’est grâce à de nombreuses innovations scientifiques et industrielles. Sans les progrès majeurs réalisés autour de l’ARN messager, les vaccins contre la Covid n’auraient pas été disponibles aussi rapidement.

Enfin, fonder une politique sur les seuls changements de comportement, sur la seule sobriété, n’est pas sans risque en termes sociaux, risques que les innovations technologiques peuvent contribuer à atténuer. Inversement, toute innovation technique bénéfique suppose, pour son déploiement, une acceptation sociale. La complémentarité semble donc de mise. Le Giec, dans son dernier rapport, la met en avant en plaidant à la fois pour des « changements de comportement et de mode de vie », des « instruments réglementaires et économiques » et « l’amélioration des systèmes d’innovation technologique » [3].

Science et pseudo-sciences

Références

1 | Villani C, « Crise climatique préservez-nous du technosolutionnisme », Usbek & Rica, page web, 8 novembre 2022. Sur usbeketrica.com

2 | Legros C, « Le “solutionnisme technologique”, cette foi en l’innovation qui évite de penser le changement », Le Monde, 22 mars 2023.

3 | Giec, “Headline statements”, AR6 synthesis report, 2023.
. Sur ipcc.ch